Margo Gravel-Provencher                théologienne
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Sculpture représentant la Trinité, pensée fondamentale d'Adrienne von Speyr; pierre tombale réalisée par Albert Schilling, sculpteur.

RECENSION: BALTHASAR (VON),  Hans Urs, Premier regard sur Adrienne Von Speyr, titre original : Ester Blick auf Adrienne von Speyr (1968), (Oeuvres Complètes), Freiburg, Éditions Johannes Verlag, 2021, 215 p. 

MARGO GRAVEL-PROVENCHER, théologienne 

La nouvelle édition révisée du volume Premier regard sur Adrienne von Speyr nous parvient 50 ans après sa première publication en original allemand, présentée sous la thématique Ester Blick auf Adrienne von Speyr, un an après la mort d’Adrienne (1902-1967).  Dans une quête de fondements pour la réconciliation au sein du christianisme, l’œuvre commune d’Adrienne von Speyr et de Hans Urs von Balthasar constitue un point de référence fondamental pour le renouveau ecclésial attendu par sa vision d’ensemble du mystère de la foi, de la foi vécue, du témoignage de foi reçue. Par Marie et les Apôtres ! 

Méthodologie :  La méthodologie déployée dans cette oeuvre est celle des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola par le total abandon du don reçu à l’Église par l’intermédiaire de son confesseur. Fondamentalement, en ce lieu, on ne saurait dissocier la participation « homme - femme »,  à l’humanité divine du Christ (l’in persona Christi). L’oeuvre est immense. En plus de la trilogie de l’A. en 17 volumes dévoilant cet aspect unique par sa « valeur d’intégration », nous découvrons environ 60 monographies manifestant la transformation de cette pensée. Les volumes dictés par Adrienne sont publiés en 40 volumes dont 34 se trouvent en librairie au jour de son décès. Le volume Fragments biographiques (1978 ) permet l’approfondissement de ce Premier regard sur Adrienne.

Contextualité : Dès lors, Il devient intéressant de saisir le moment de sa parution. Publié un an après la mort d’Adrienne décédée le 17 septembre 1967, au jour anniversaire de la mort de celle qu’elle vénérait, sainte Hildegarde de Bingen (1179).   Premier regard sur Adrienne nous est offert après 27 années de collaboration entre les co-auteurs (1940-1967). Dans une vision d’ensemble par « sa valeur d’intégration », l’oeuvre commune ne prend fin qu’à la mort de l’A. le 26 juin 1988, quelques jours avant de recevoir  la pourpre cardinalice sous le pontificat de saint Jean-Paul II.   Reçu quelques années auparavant en audience privée à la demande du Saint Père, l’A. fut autorisé à intégrer les publications d’Adrienne dans sa trilogie et ce, non en s’appropriant silencieusement sa pensée mais en la citant et la nommant explicitement (1984).

Complément :  Toutefois, afin de saisir davantage la portée de ce Premier regard, il est beau, bon et vrai d’ajouter deux moments importants permettant de saisir leurs collaborations: une entrevue et un volume spécifique. L’entrevue fut accordée par l’A. à l’émission « Rencontres » de Radio-Canada avec l’animateur Marcel Brisebois (1980 ) ; le volume décrit la « genèse et les principes » de l’Institut St-Jean, paru à la même maison d’édition en original allemand (1984 ). Il est présenté dans le cadre du colloque romain portant la thématique suivante: « La mission ecclésiale d’Adrienne von Speyr », tenu à Rome du 27 au 29 septembre 1985. À cette fin, l’oeuvre complète d’Adrienne devait être publiée. Par sa « valeur d’intégration »,  la trilogie comprend dans un premier temps: la Gloire et la Croix, dont l’étude spécifique de « gloire » répond à la demande d’Adrienne (8 vol.) ; le Dénouement de sa Dramatique Divine, lieu d’intégration de la pensée d’Adrienne  (5/5), et la Théologique révélant l’acuité et l’ouverture d’Adrienne envers les missions féminines (3/3). En postface du volume, l’A. justifie la vision d’ensemble de l’oeuvre: « Le motif de ce livre, écrit-il, est le suivant:  empêcher qu’après ma mort, on essaie de séparer mon oeuvre de celle d’Adrienne von Speyr. Hans Urs von Balthasar ne peut se comprendre sans Adrienne von Speyr (Joseph Ratzinger).

Motif inspirant, la mère et l’enfant : Je termine ce préambule en relatant brièvement ma rencontre avec Adrienne. Dans un premier temps, je l’ai connue à partir de la pensée de l’A. Mon intérêt pour ce dernier provient d’une question qui m’interpelle depuis l’enfance : « la question de l’admission des femmes au sacerdoce ministériel et la tradition ininterrompue selon Inter Insigniores » ( 29 mars 1977).  En rédaction de ma thèse doctorale, un événement familial vécu au jour anniversaire de la mort d’Adrienne attirait mon attention.  Cet événement vécu par ma soeur Thérèse m’interpella. Voyant mon beau-frère rétablit, une jeune femme portant dans ses bras un enfant de 9 mois lui dit : « vous êtes vivant, je vous croyais décédé ».  À la demande des infirmiers, « cette jeune femme prit la main de mon beau-frère et pria » . Il subissait un AVC sévère et revint à la vie à la grande surprise des intervenants et des médecins. Émue, je pris le volume cité plus haut. On y lit ce qui suit: « Quelques jours plus tard, Adrienne voit Marie devant elle (pas en vision, mais vraiment présente, en chair et en os) avec l’enfant dans les bras ».  L’A. rappelle également l’impression terrifiante que lui laissa la biographie de Mary Ward  : « l’échec d’une grande mission par suite de l’indifférence des instances compétentes ».  Scrutant la pensée de saint Ignace, Adrienne affirme ce qui suit : « Il est tout à fait faux, dit-elle, de soutenir qu’Ignace n’a rien à faire avec les femmes » (ISJ, 41). Quelques jours auparavant, elle rencontrait le père Hugo Rahner, s.j., auteur du volume: Ignace de Loyola et les femmes de son temps (DDB 1963).  À cet effet, on y découvre la mission particulière de l’unique jésuitesse ordonnée dans l’histoire de l’Église, la princesse Jeanne d’Espagne mieux connue sous le pseudonyme Matteo Sanchez ( 24-06-1535/07-09-1576).

Le volume  Premier regard sur Adrienne von Speyr comprend trois parties: Première partie: VIE, MISSION ET OEUVRE D’ADRIENNE VON. SPEYRl ; Deuxième partie: ADRIENNE À PROPOS D’ELLE-MÊME ; Troisième partie: PRIÈRES SUR TERRE et DANS LE CIEL En CONCLUSION, l’A. permet de percevoir l’ACTUALITÉ de cette MISSION ECCLÉSIALE. Il propose trois clés de lecture: MÉDITATION, THÉOLOGIE, LIEUX THÉOLOGIQUES CENTRAUX.


                                                                 PREMIÈRE PARTIE:  VIE et MISSION THÉOLOGIQUE

1. VIE:

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Naissance et adolescence : Adrienne naît le 20 septembre 1902 à La Chaux-de-Fonds. Elle naît de l’union de Théodore Von Speyr et Laure Girard dans un milieu engagé au sein de la vie de l’Église. Avant la Réforme, ses ancêtres étaient fondeurs de cloches, peintres d’images sacrées et imprimeurs.  Parmi les fameuses « cloches de Bâle » des tours de la cathédrale, il s’en trouve encore quelques-unes qui portent le nom de l’atelier von Speyr. Ce milieu familial vit naître des médecins, des pasteurs, des hommes d’affaires et cela à toutes les générations.  Sa mère Laure était fille d’horlogers et de bijoutiers. Hélène est l’aînée, Wilhem son cadet est médecin, son second frère est directeur de banque. Malgré les difficultés vécues avec sa mère, Adrienne vit une vie paisible sans animosité envers elle. Très compatissante envers les pauvres, Adrienne accompagnera peu à peu son père auprès des enfants malades du centre hospitalier. Plus tard, son oncle Wilhem, directeur de la grande asile de Berne, la Waldau, acceptait que celle-ci visite les malades. Avec sa poupée, elle les rassurait en leur donnant la main et priant Dieu pour eux.

Profession, médecin :  Adrienne relate ses années de Lycée, approuvée par son père et désapprouvée par sa mère. Au décès de son père, la famille vivait des difficultés financières, Adrienne assumera en même temps la responsabilité des tâches familiales tout en poursuivant ses études et autres engagements.  Participant aux réunions de l’Armée du salut, celle-ci n’est guère enchantée par les « confessions publiques ». De là jaillit son intérêt de plus en plus marqué pour la « confession sacramentelle privée » des catholiques. Étudiante en médecine, Adrienne ne fait pas de différence entre les hommes et les femmes (cf. Gn 1, 27). À l’université, un ami devenu veuf,  le professeur Emil Dürr, un grand croyant et père de deux fils lui demande sa main. Tous deux se marient et vivent une vie maritale complète et harmonieuse. Un an après son mariage, Adrienne obtient son doctorat et le couple habitera une belle maison à Auf Burg, 4 place de la Cathédrale, au-dessus du Rhin.  À la mort d’Emil, le 12 février 1934, Adrienne demeure seule avec ses deux enfants. Deux années s’écoulent et elle épouse l’un des élèves d’Emil (1936), Werner Kaegi, professeur d’histoire à l’université de Bâle  qui lui survit.

Passage du « Je personnel au Nous divin » :  Son amour envers Marie, saint Ignace de Loyola (Noël 1908) et les jésuites, lui fit désirer une rencontre avec un prêtre catholique. Depuis la mort d’Emil, son premier mari, Adrienne souffre terriblement. Une prière qu’elle affectionnait, le Notre Père,  devînt très difficile à prononcer; plus spécifiquement la strophe suivante:  « Que ta volonté soif faite ».   Un prêtre protestant lui conseillait de prier autrement. Il en était ainsi lorsqu’un ami lui présenta l’A. Elle lui fit part de son désir de conversion tout en lui expliquant cette difficulté. C’est alors que l’A. transformait sa pensée  par le passage du Je au Nous divin.   En ce lieu, il ne s’agissait pas tant de lui offrir « mon  » oeuvre mais de lui présenter notre « disponibilité » à accueillir « Son » Oeuvre. Déjà baptisée, elle le fut de nouveau sous condition le 1er novembre 1940, en la fête de la Toussaint. Quelques jours plus tard, en la fête de saint Albert, leur ami commun Albert Béguin fut baptisé à son tour. Sa famille la délaissa suite à ces conversions. Toutefois, d’autres personnages se joignirent à leur cercle d’amis : Romano Guardini, Hugo Rahner, Erich  Przywara, Henri de Lubac, Reinhold Schneider, Annette Kolb, Gabriel Marcel.

Profession, médecin : Progressivement, sa famille lui revient et son cabinet de médecine fut bientôt rempli. Adrienne recevait plus de 60 à 80 patients par jour tout en leur portant une attention particulière. Attentive auprès des mères célibataires, on y dénombre un nombre considérable d’enfants qui sans son intervention et son aide n’auraient vécus.  Par ses conseils judicieux, des mariages se réconcilient. Adrienne pratiqua la médecine jusqu’au milieu des années cinquante.

Conversion et grâces mystiques : Aussitôt après sa conversion, écrit l’A. une véritable pluie de grâces mystiques se déverse sur elle qui la conduise dans toutes les directions. Avant tout,  les grâces de prières, de visions, d’apparitions sont offertes.  Elle converse avec la Sainte Vierge, saint Ignace dans un climat de respect.  Conséquemment, elle s’ouvre à la communion des saintes et des saints: la petite Thérèse, les Pères de l’Église, les apôtres, le curé d’Ars qu’elle aimait beaucoup. Un jour, revenant en voiture après ses consultations, elle vit une grande lumière. Une voix se fit entendre: « Tu vivras au ciel et sur terre ». Telle sera la clé d’or de son oeuvre (p.27). À son cabinet médical, de nombreuses  guérisons non présentées dans le volume sont notées dans les livrets de l’A. Parmi ses nombreuses grâces mystiques, il est souligné celle de la Passion, des stigmates et du Samedi-Saint. Ces expériences font l’objet du volume Kreuz und Hölle (Croix et enfer; p. 28 ).

La mystique, une mission au service de la Parole de Dieu en Église :  Entre temps, en 1943, Adrienne fut initiée à l’évangile de Jean. La « préparation » mystique atteint son but et son sommet dans le don de soi (marial) et l’indifférence (ignatienne) à toute demande .  La mystique devient une mission particulière, un service particulier pour l’Église, dans un total détachement, oubli de soi et disponibilité de la servante à la Parole de Dieu. Les états personnels sont considérés comme sans intérêt: toute introspection détourne de l’essentiel - la parole de Dieu - et défigure la mission. Ces dons particuliers lui furent offerts pendant de nombreuses années. De là découlent, les commentaires de l’évangile de Jean, de certains textes de saint Paul, les épitres catholiques, l’Apocalypse, des livres ou des parties de livres de l’Ancien Testament [première Alliance].  En dernière analyse, l’A. décrit son état de santé qui la rendit presque aveugle. Elle connait alors de grandes difficultés à pratiquer la médecine quelques heures par jour.  Cependant, elle poursuit toujours ses méditations bibliques qui seront publiées par l’A.

Vers la fondation de l’Institut St-Jean : Peu après sa conversion, en 1940, elle perçoit l’intuition d’une nouvelle communauté tout en ne connaissant pas les « instituts séculiers » (Provida Mater, 1947). Priant avec ses novices, elle leur enseignait « verset par verset » l’évangile de Marc.  Toutefois, l’A. considérait comme dépassant les forces humaines cette part de responsabilité qui lui fut imposée quand elle l’incita à quitter l’Ordre des jésuites,  cet Ordre de prêtres, devant l’impossibilité de réaliser leur mission féminine à l’intérieur de la Compagnie. L’entrevue qu’il accordait à l’émission Rencontres de Radio-Canada en révèle la peine encourue. Cependant celui-ci ne le regretta jamais, assuré que telle était cette mission commune, voulue par saint Ignace lui-même (Pierrette Petit, Un grand théologien spirituel, Balthasar, Méridien, Montréal, Canada, 1985, p. 196 ).

La Trinité, coeur intime de sa théologie : Dans ce volet, l’A. relate la longue agonie d’Adrienne. Elle décède le 17 septembre 1967, jour de la fête de sainte Hildegarde de Bingen qu’elle vénérait. Celle-ci devint Docteure de l’Église sous le pontificat de SS. Benoît XVI (07-10-2012). Adrienne fut enterrée le jour de ses soixante-quinze ans (20-09-1967). Albert Schilling sculpta sa pierre tombale qui est un symbole de la Trinité: le coeur le plus intime de sa théologie que nous découvrons à travers l’oeuvre commune (p. 38).

2. LA MISSION THÉOLOGIQUE :
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Afin d’orienter la lectrice ou le lecteur de l’Oeuvre littéraire, l’A. décrit ce parcours en trois temps, non comme une vue de l’extérieur ressemblant à une forêt vierge mais, davantage par une « vision intérieure » comme un jardin à la française. Dans un premier temps, dit-il, partir de l’unique attitude fondamentale présente partout et la décrire brièvement. Dans un deuxième temps, montrer le lieu théologico-sotériologique de cette attitude et anticiper les conclusions à en tirer. Dans un troisième temps, en montrer le déploiement à partir du « centre » toujours identique dans les différents domaines d’application particuliers, du fait de la nature absolument charismatique des expériences et des intuitions reçues. Il ne faut pas s’y méprendre sur la direction indiquée ici; Adrienne veut simplement fournir quelques tables d’orientation à partir desquelles d’innombrables autres perspectives à travers l’oeuvre sont possibles.

L’attitude fondamentale, le « oui » marial : Le premier livre d’Adrienne von Speyr écrit de sa main fut son livre marial. Il s’intitule La Servante du Seigneur,  rédigé huit ans après sa conversion (1948). Le premier chapitre a pour titre « La lumière du oui », et commence par ces mots: « Comme une gerbe liée en son milieu se déploie à ses extrémités, la vie de Marie se noue en son oui…». Le fiat de la mère du Seigneur est la réalité la plus humble que la servante peut dire et réaliser, et par là justement la plus haute, sa perfection.

Double polarité du don reçu: Dès lors comment le définir ? Dans une double polarité, la perception divine (vu de Dieu) et la perception humaine. Vu de Dieu, le oui est la grâce suprême reçue ;  vu de l’être humain, le oui marial est la réalisation suprême rendue possible par la grâce. C’est la foi, l’espérance et l’amour tout ensemble qu’Adrienne  proposait dans l’un de ses volumes: la foi - Marie-Madeleine;  l’amour - Marie de Béthanie; l’espérance - la femme pardonnée chez Simon. Elles représentent, dit-elle, la manière dont Jésus s'est révélé « à travers elles » :  comment la foi, l’espérance et la charité se sont développées à son contact (Trois femmes dans le Seigneur ). C’est aussi le voeu primordial duquel découleront toutes les formes de lien chrétien définitif à Dieu et en Dieu. À cet effet, le « oui marial» l’ accompagnera toute sa vie:  mère des douleurs, femme de l’Apocalypse, reine du ciel en qui elle voit l’Église parfaite. 

Dualisme, ministère et mission d’amour ? Par cette attitude mariale fondamentale, Adrienne tente d’unifier cette solution insoluble, semble-t-il, au sein de la vie de  l’Église que sont  le dualisme « mission de l’amour et ministère ».  Telle qu’elle le soutenait  dans ses commentaires johanniques, lieu de naissance de l’Église, « Marie est la première à percevoir la prêtrise comme une prière » : Marie, dit-elle, est la première à comprendre la prêtrise comme une prière. Elle représente la fonction féminine de la prêtrise. Le ministère de Jean, poursuit-elle, n’est pas fondé exclusivement sur sa relation d’amitié avec le Seigneur. C’est une fonction propre. Et la Mère est introduite dans cette fonction. Le Seigneur l’a donné à Jean. Parce qu’elle lui a donné naissance, elle a un rôle à jouer dans la naissance de l’Église. (…) La mission d’amour de Jean ne provient pas d’un acte personnel unique, mais de leur mission commune (cf. Jn 21, 23; The Birth of the Church, Ignatius Press, USA, 1991,  p. 416). À cet égard, Adrienne présente un regard unifié : « le dualisme ministère amour - qui n’en est pas un cependant, dit-elle, parce que l’amour ne peut jamais être « d’un seul côté » - est dans l’Église des pécheurs rachetés la forme de participation au « oui de Marie rachetée par avance », qui doit devenir eschatologiquement le oui du peuple de Dieu tout entier » (p. 43). Elle reprend alors le beau mot d’anima ecclesiastica, âme de forme ecclésiale, (cf. Henri de Lubac, Méditation sur l’Église, [1955], Cerf, 2003 ). Le charisme d’Adrienne, dit l’A. ne se comprend exclusivement qu’à partir de cela. 

Détachement et reconnaissance, deux valeurs indissociables : A priori,  ce point de départ peut poser question. Cependant, il est fondamental de l’accueillir. La pensée méditative ignatienne exclusivement fondée sur la « grâce reçue » est  transmise à l’A., son confesseur, représentant de l’Église.  L’affaire se voit alors parfaitement réglée si bien que, la plupart du temps, elle disparaissait complètement de sa conscience.  Cependant, sur ce point particulier, je crois important de saisir la pensée de son co-auteur et confesseur pour qui la personne qui reçoit doit être reconnue car, elle est « fonction » de  « sa » mission ecclésiale: La grâce d’apercevoir un aspect particulier de la vérité révélée, dit l’A. qui était peut-être oublié ou trop peu considéré par la moyenne de la communauté ecclésiale; dans tous ces cas, ce n’est pas le sujet particulier qui est visé, mais l’Église dans son ensemble, et il s’agit d’un don de grâce accordé à l’individu en fonction de sa mission ecclésiale (Apparition, Gloire et la Croix, vol. 1, DDB., 1965; 1990, p. 519).

Tel est le fondement de l’oeuvre commune « en Dieu ».  En l’Année mariale, suite à une audience privée avec le Saint Père, l’A. intégrera de façon explicite la pensée d’une femme mariée à sa trilogie. Le beau précède le bon et le vrai et l’unifie. Le volume Apparition (1/8),  premier volume de La Gloire et la Croix oriente ces horizons sous les thématiques suivantes: l’évidence subjective (lumière de foi, expérience de foi, sens spirituels) et l’évidence objective, sa visée théologique. En ce lieu, la co-participation d’Adrienne prend toute sa forme et sa force, en la nommant et en citant les extraits de plus de 40 volumes dans le texte au volume Dénouement de sa Dramatique Divine (5/5).  En ce lieu, théologie spirituelle et fondation d’une nouvelle communauté féminine sont les fruits attendus en Église, Temple de son Corps  ( Jn 2, 21) ; Corps du Christ réconcilié (Ep. 2, 16 ).


                                                                  DEUXIÈME PARTIE:  ADRIENNE, À PROPOS D’ELLE-MÊME

Les grands moments précédant sa conversion : Dans cette deuxième partie, Adrienne retient deux moments forts de son enfance précédant sa conversion:  vision mariale et rencontre avec saint Ignace.  En ce lieu, la Mère de Dieu lui apparut dans une vision comme dans un tableau entourée de plusieurs personnages un matin de novembre 1917. Or, nous savons que 1917 est une année marquante pour notre Église puisqu’elle rappelle les apparitions de Fatima. Adrienne est âgée de 12 ans et de foi protestante. Cette vision, elle la  confiait à l’une de ses amies, Madeleine.  Adrienne retient aussi sa rencontre avec celui qu’elle identifiera des années plus tard comme étant saint Ignace de Loyola qui lui apprit le SUSCIPE. Elle établit une relation particulière à Dieu dans la prière, dans l’amour des délaissés et chez les grands malades de la Waldau. 

La Bible dès sa tendre enfance : Dès sa tendre enfance, Adrienne vit dans l’amour de Dieu et dans l’amour du prochain. Elle découvre les Saintes Écritures dans des livres d’enfant. « La Bible, dit-elle, m’a beaucoup occupée, je la lisais avant tout comme un livre d’histoires » (p.123). Cependant, des évènements contraignants lui firent abandonner la lecture de la Bible au moment de la confirmation de sa soeur aînée, Hélène (1917).  Elle choisit alors d’établir une relation directe avec Dieu sans référence biblique. La lecture biblique reviendra quelques années plus tard lors de ses études en médecine mais, elle ne savait comment la lire.  Un jour, se dit-elle, je comprendrai. Depuis la mort de son premier mari, elle ne lit plus que l’Ancien Testament, bloquée à cette strophe du Notre Père: « Que ta volonté soit faite ».   Les trois grands mystères de sa vie: Les trois grands mystères de sa vie sont: 1) le grand mystère de son enfance et de sa jeunesse, soit la Vierge Marie, l’intuition d’une mission et les souffrances du Vendredi-Saint qui devaient être acceptées; 2) la recherche constante de Dieu, aussi bien dans ses années d’études en médecine que dans sa vie conjugale; 3) la conversion et les grâces qu’elle contient. Elle perçoit  les grâces de son enfance comme des pré-visions, comme un gage apportant la résilience. Adrienne situe le moment de sa conversion dans ce passage du je au nous à l’invitation de l’A.:  Priez tout le Notre Père. En fait, dit-elle, il me disait: « Ne comptez  pas sur ce que vous pouvez, mais sur la grâce ». Ce fut le grand tournant, l’extinction du ‘je’. À partir de là, s’ouvrait le chemin du baptême, de la confession et de la communion. Le ‘je’ qui reçoit les sacrements n’est pas du tout le ‘je’ que je crois être (p.134).


                                                                                                     TROISIÈME PARTIE: PRIÈRES
La troisième partie est entièrement consacrée à la prière, cette constante dans la vie d’Adrienne offre de nouveaux horizons ecclésiaux plus spécifiquement aux récits de l’Acocalypse.  Les prières sont partagées en deux parties, les prières de la terre et les prières du ciel, élément-clé de son oeuvre: « tu vivras comme sur la terre et comme au ciel » (p.27).

Prières de la terre :   Les prières de la terre sont consacrées à la liturgie: avant la messe, avant le sermon, avant la communion, au moment de la confession, devant le tabernacle, la vocation et prières au Christ par Marie. De cette partie, je retiens plus spécifiquement le SUSCIPE de saint Ignace qui, en fait, est l’acte d’abandon en Dieu de tout notre être dans une participation commune à sa volonté.

Prières du ciel et dimension trinitaire : Les prières du ciel présentent de l’inédit.  Au Notre Père, la strophe « Que ta volonté soit faite sur terre comme au ciel » nous introduit à sa dimension trinitaire.  « Tu as , Père, avec le Fils et l’Esprit une volonté unique, divine, sainte, indivisible. Fais-là advenir en nous  comme elle est advenue en ton ciel de lumière. Permets-nous de l’accomplir comme ton Fils nous a montré de l’accomplir » (p. 206).  L’Apocalypse de saint Jean propose une ouverture oecuménique insoupçonnée. En quelques sortes, cette méditation des diverses strophes du CREDO nous rappelle l’Apparition biblique vénérée au sanctuaire marial et liturgique de Notre-Dame de Knock, Irlande (1879): prières d’adoration des serviteurs et des servantes devant le trône de Dieu et de l’Agneau (p. 203).  Lors de la messe de clôture du concile Vatican II, saint Paul VI invitait l’évêque de ce lieu à concélébrer avec lui et autres recteurs de sanctuaires mariaux.  Sans omettre le rôle essentiel de Marie au sein de la vie de l’Église du Seigneur, cette méditation permet une ouverture biblique nouvelle pour l’unité de l’Église en tenant en compte des douze portes représentant ensemble les douze apôtres. En ce lieu, les églises chrétiennes sont fondées sur la grâce reçue en Église du Seigneur. « Tous égaux et différents dans le Christ » :   « le Symbole des Apôtres en ouvre les douze portes: non que chaque article du Credo soit attribuable à un Apôtre particulier ou ait pour lui une portée spéciale, mais l’esprit de la grâce des Apôtres, qui tous partagent entre eux leurs missions - car toutes procèdent de l’unique source du Seigneur - ouvre les douze portes de la cité. En même temps, les douze articles ne sont pas seulement annoncés par les Apôtres en commun, mais aussi par chacun d’eux à sa manière. Cette prière montre comment la profession de foi des Apôtres se présente à la lumière de la cité sainte; comment cette profession, dans l’esprit du ciel, peut devenir prière ». (p. 194)

Une nouveauté ministérielle attendue : Par cette prière méditative offerte, Adrienne permet de poursuivre notre réflexion en étant attentive et attentif à la dernière partie de la trilogie de l’A. De la Vérité du monde, premier volume de sa Théologique, issu de sa thèse doctorale intitulée l’Apocalypse de l’âme allemande, sera complété par Vérité de Dieu et Esprit de Vérité. En ce dernier lieu, l’A. revient à « genèse et principes » de l’Institut St-Jean et la biographie de Mary Ward (p. 41) qui devînt Vénérable sous SS Benoît XVI. Au dernier volume de la trilogie, l’A. revient sur cette préoccupation d’Adrienne envers cette mission non reçue :

Le ministère, dit l’A, a la charge particulier d’éprouver les esprits » ( mais d’après l Jn 4,1; l Th 5, 21, cette fonction doit être exercée par la communauté toute entière ). De  là découle l’apport des méditations apocalyptiques d’Adrienne. Un « esprit » charismatique peut également s’avérer authentique, même s’il formule une certaine critique à l’endroit de situations dans l’Église ou s’il a la charge d’introduire dans l’Église, une nouveauté conforme au temps, nouveauté dont l’évidence ne s’impose d’emblée au ministère, et qui est peut-être en avance sur son temps [cf. La tragédie de Mary Ward fondatrice de la première congrégation de spiritualité ignatienne].

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                                                                                                                   CONCLUSION 
                                                                                                             
                                                                                                                      NOTRE PÈRE
                                                                       Que ta volonté soit faite « sur la terre comme au ciel »
                 

En fin d’analyse, le volume Premier regard sur Adrienne von Speyr peut être reconnu comme lieu-source fondamental pour toute étude de l’oeuvre commune des co-auteurs.  Ce volume initie et corrobore l’ensemble. Il est offert à la méditation de l’Église pour notre temps (cf. Ga 2, 21;  3, 28; cf. Gn 1, 27 ). En ce lieu,  la prémisse de la Beauté est offerte à toute réflexion méditative et théologique. Elle représente l’aspect fondamental d’une oeuvre commune unique par la co-participation d’une femme mariée initiée à la spiritualité ignatienne par l’A. Les prières du SUSCIPE reçues dès l’enfance, la dimension trinitaire du Notre Père et l’ouverture de l’Apocalypse contiennent cette clé de lecture reçue au retour de ses visites médicales: « tu vivras au ciel et sur la terre ».  Les méditations de l’Apocalypse offrent un nouveau regard de foi unissant Marie et les apôtres au sein des églises chrétiennes dans leurs particularités et leur orientation unique: Ensemble, Église du Seigneur.  Présentées sous la dimension trinitaire de la foi reçue,  l’attitude mariale, le Notre Père, l’Apocalypse sont porteurs de renouveau.  Tel que l’affirme l’A., « la mystique se situe dans le réel ». « Adrienne von Speyr, une femme au coeur du XXe siècle ».  Adrienne au coeur d’une transformation ecclésiale attendue pour l’intégration de Marie et des  femmes au sein de la vie ministérielle de l’Église. 




en attente de publication
10 juillet 2022














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