1 - Spiritualité oliérienne et Présentation de la Vierge-Marie au Temple
a) : La Présentation de Notre-Dame chez sainte Thérèse d’Avila b) : La Présentation de la Vierge-Marie au Temple chez J.J.Olier, vocable de notre paroisse c): La Présentation de la Vierge-Marie, une spiritualité ministérielle oliérienne
2 - « Marie, femme eucharistique »d’après S.S. Jean-Paul II
a) : La spiritualité sacerdotale mariale et le pouvoir eucharistique (1979-1986) b) : L’Année mariale comme année charnière pour les nouveaux ministères féminins (1987-1988) c) : Du Cénacle de la Pentecôte à la collégialité épiscopale (1989-2003)
1 - Spiritualité oliérienne et Présentation de la Vierge-Marie au Temple:
En quête des fondements du ministère ordonné depuis l’enfance, je porte spirituellement la question contemporaine des ministères ordonnés féminins. Ma formation théologique à la Faculté de Théologie de l’Université de Montréal et la contextualité de ma thèse de maîtrise consacrée à la spiritualité sacerdotale de saint Louis-Marie Grignion de Montfort me dirigeait vers la spiritualité de M. Jean-Jacques Olier, fondateur des prêtres de Saint-Sulpice. En ce lieu, je ressentis la force d’entreprendre mes recherches théologiques qui permettaient le passage entre la spiritualité mariale dite populaire du Traité de la Vraie Dévotion à la Sainte-Vierge vers une compréhension théologique ministérielle du Traité. Ayant travaillé pendant six ans à la paroisse La Présentation-de-la-Vierge-Marie de Dorval, mon intérêt envers le Traité grandissait de jour en jour. En ces moments précieux, je découvrais la spiritualité sacerdotale ministérielle mariale sous diverses facettes : Annonciation du Seigneur à Marie chez saint Louis-Marie Grignion de Montfort et Présentation de Marie au Temple chez Jean-Jacques Olier. Soudainement, je pris conscience que mes deux fils furent baptisés en ces fêtes mariales. Tous deux furent baptisés en ces jours mémorables à la paroisse Sainte-Rose-de-Lima, Laval, lieu de leurs naissances : Benoit, au jour de l’Annonce du Seigneur à Marie, le 25 mars 1962 et Bruno, en la fête de la Présentation de Marie au Temple, le 21 novembre 1964.
Tout au cours de mes études, je saisissais progressivement l’ouverture du Concile Vatican II et plus spécifiquement le rôle de la mère de Jésus-de-Nazareth, la Vierge Marie. En ce jour du 21 novembre 1964, notre Église vivait des moments de transformations fondamentales. C’était la fin de la 3e session du Concile Vatican II, initié par S.S. Jean XXIII. En cette fin de session, les pères conciliaires accueillaient la promulgation de la Constitution Dogmatique Lumen Gentium et les décrets sur l’Oecuménisme, les Églises orientales catholiques. Dans cette constitution, le Concile Vatican II intégrait la mission ecclésiale de Marie après un vote partagé de 1114 à 1074 voix.L’Assemblée conciliaire se scindait sous deux axes différenciés et complémentaires : l’indépendance de l’élément marial et la question de l’intégration des textes. Cela signifiait une prééminence de la piété et de la théologie liturgique et biblique .
C’est pourquoi, au début de cette deuxième partie, je tiens à souligner une constante dans mon cheminement de foi, soit les baptêmes des petits-enfants comme soutien à mes recherches ecclésiales et théologiques. Je soulignerai cette particularité en début d’analyse comme appui personnel au développement de ma pensée.
Sous ce regard de foi, je vous invite à percevoir la théologie spirituelle que sous-tend le vocable du Domaine de la Présentation acquis par Mlle Agathe De St-Perre. À cet effet, je me laisserai interpellée par la spiritualité mariale ministérielle de l’école bérullienne. Plus spécifiquement par la spiritualité oliérienne de la Présentation de Marie au Temple, vocable de notre paroisse ! Tout en redécouvrant son actualité, une perception nouvelle jaillira au dernier chapitre à partir de la pensée mariale de S.S. Jean-Paul II.
Femme oubliée et rétablie Au coeur de la société civile En spiritualité ministérielle féminine
Proposée en trois temps, la spiritualité de la Présentation de Marie au Temple puisera dans un premier temps aux sources carmélitaines chez la réformatrice et le réformateur du Carmel, sainte Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix. Dans un deuxième et troisième temps, je ferai appel à la spiritualité sacerdotale ministérielle des réformateurs de l’École française de spiritualité au 17e siècle qui, depuis le 16e siècle, interpelle les fondateurs de communautés sacerdotales.
1. a) : La Présentation de Notre-Dame chez sainte Thérèse d’Avila
Dans ce parcours, il est intéressant de souligner comment la spiritualité de la Présentation de Notre Dame parvint en France. Pierre de Bérulle naît le 4 février 1575. Devenu cardinal, celui-ci accueille en France les moniales carmélitaines. Parmi elles, on reconnaît soeur Anne de Jésus à qui saint Jean de la Croix aurait remis le manuscrit du Cantique Spirituel. Carmélite, Anne de Jésus fut appelée par Pierre de Bérulle à fonder un des couvents des Carmes réformés en France. Le premier couvent est fondé à Paris en 1604 et Anne en devient la prieure. À cet égard, il est remarquable que le supérieur des prêtres de Saint-Sulpice, M. Raymond Deville, souligne l’engagement du futur cardinal : « Sait-on, dit M. Deville, que Pierre de Bérulle a introduit en France le Carmel et qu’il a contribué à la fondation de 43 Carmels en vingt-cinq ans ». M. Raymond Deville fut supérieur général de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice (1984-1996). Il est l’auteur du volume intitulé L’École française au 17e siècle : « Si le 17e siècle français fut reconnu comme le ‘grand siècle’ aux plans politique, littéraire et artistique ; à l’instar du 16e siècle espagnol, il a également été, tout comme ce dernier, ce qu’on a pu appeler ‘le grand siècle des âmes’ ». Et, fait remarquable, Pierre de Bérulle naît en 1575, au moment où Thérèse de Jésus (sainte Thérèse d’Avila) vivait les expériences mystiques décrites dans ses «relations spirituelles ».
Sous ce regard de foi, il devient particulièrement judicieux de connaître la spiritualité mariale de sainte Thérèse d’Avila, l’une des plus grandes mystiques de l’Église et reconnue en 1970 comme Docteure de l’Église par S.S. Paul VI. Par cette reconnaissance, le Saint-Père authentifiait la rigueur et la justesse de sa doctrine spirituelle ; c’est pourquoi, il est bon de saisir son sens profond. Le 18 novembre 1572, Thérèse de Jésus recevait cette faveur spéciale du Seigneur, jour où la Sainte Humanité du Christ ressuscité transformait sa vie spirituelle : « Tu auras soin de mon honneur, lui dit le Seigneur, comme ma véritable Épouse: mon honneur est le tien et ton honneur est le mien ». Cette révélation sera authentifiée par Juan de Yepes. Au Cantique Spirituel, strophe 36, 5, celui-ci unifie en même temps la pensée johannique et paulinienne : « Tout ce qui est à moi est à toi et tout ce qui est à toi est à moi (Jn 17, 10) ». Il poursuivait ainsi : « Le Christ, qui est la Tête (Col 1, 18), n’a point parlé en son nom seulement, mais au nom de son corps mystique tout entier qui est l’Église. (Col 1, 24) » . Conséquemment la spiritualité de la Présentation de Notre-Dame guidera la pensée de la réformatrice et du réformateur du Carmel, Jean et Thérèse. Personnellement, je crois qu’il n’est sûrement pas anodin que le décret de la SS. Congrégation de la Foi Inter Insigniores sur la question de l’admission des femmes au sacerdoce ministériel fut signé en la fête liturgique consacrée à sainte Thérèse d’Avila, le 15 octobre 1976. La Constitution dogmatique Dei Verbum et l’Apostolat des laïcs furent promulgués le 18 novembre 1965, jour anniversaire de la révélation du Seigneur à sainte Thérèse d’Avila. Personnellement, je crois à la communion des saintes et des saints. Sous cet aspect, la relecture de ses écrits et de ses relations spirituelles demande une attention particulière. Des liens peuvent être établis entre la foi personnelle du réformateur et de la réformatrice du Carmel au 16e siècle espagnol et l’école bérullienne au 17e siècle français. Ces questions existentielles ne peuvent être détachées des fondements théologiques qu’elles révèlent.
À cet effet, il est bon de rappeler qu’en tout temps de renouveau, il serait difficile de détacher l’expérience spirituelle des maîtres qui guide leur être profond et la spiritualité qu’ils proposent. En ce sens, la pensée des maîtres espagnols ouvre des horizons inédits. À cette fin, il devient fondamental de connaître les ancêtres du réformateur et de la réformatrice du Carmel espagnol, sainte Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix [Thérèse de Ahumada et Juan de Yepes Alvarez) car cela permet de transformer notre pensée.
Tous deux, Jean et Thérèse, portent en eux une culture religieuse multiconfessionnelle. Tous deux ne sont pas uniquement judéo-chrétiens par la foi mais en leur être profond, dans leurs généalogies. Tous deux sont issus du judaïsme et l’un d’eux du monde musulman par leurs parents ou leurs grands-parents. Chez nos réformateurs espagnols, il serait impossible d’ignorer les origines sémites qui ont sûrement influencé leurs perceptions de l’intégralité de l’être humain. Il suffit de noter que le grand-père de Thérèse était un marchand juif de Tolède qui se convertit au christianisme. Les parents de Jean de la Croix font aussi partie des conversos espagnols, de ces juifs convertis au christianisme. Le père de Juan de Yepes, Gonzalo serait d’ascendance juive et sa mère Catalina serait marane (juive de la péninsule Ibérique) et possiblement d’origine musulmane.
Sous ce regard de foi, si le dialogue interreligieux propose d’accueillir avec sérénité l’action du divin au sein de l’existence humaine, l’ouverture du concile Vatican II (1961-1965) permet d’accueillir l’attention du pape Jean-Paul II envers la foi juive, premier pape à visiter une synagogue juive. À cet égard, il aura fallu attendre près de 2000 ans pour qu'un Pape pénètre dans la grande synagogue de Rome. Au cours de cette visite du 13 avril 1986, le pape Jean-Paul II reconnaît les juifs comme nos « frères aînés dans la foi ». L'accolade entre S.S. Jean-Paul II et le Grand Rabbin Elio Toaff demeure un symbole fort du rapprochement judéo-chrétien. Elle ouvrait la voie à la reconnaissance de l'État d'Israël par le Saint-Siège en 1993 et l'établissement de relations diplomatiques.
Dès lors, il est important de rappeler que « culture et foi » sont indispensables à toute compréhension nouvelle qui émerge et, qui, en même temps, peut devenir cause de grandes difficultés suite à l’incompréhension de leurs contemporains. Jean de la Croix et Thérèse d’Avila portent en eux la foi de leurs ancêtres, juifs, chrétiens, musulmans. Il faut savoir qu’au 15e siècle espagnol, les Juifs d’Espagne n’hésitaient pas à se déclarer descendants de la tribu de Judas, arrivés dans la péninsule au 6e siècle av. J.-C., année de la destruction du Premier Temple (587). Cependant, afin de saisir davantage la pensée juive, il faut ajouter que pour eux l’être humain est perçu dans sa totalité, dans sa globalité ; pour eux, il n’y a pas de dichotomie entre le corps et l’esprit. Ainsi en eux et par eux, nous retrouvons l’unité de la pensée johannique et paulinienne. Dans son Cantique Spirituel, Jean justifie bibliquement et liturgiquement la révélation de Thérèse: « le Christ, qui est la Tête, écrit Jean de la Croix, n’a point parlé en son nom seulement, mais au nom de son corps mystique tout entier, qui est l’Église » . De là découle, la nouvelle perception ecclésiale de Vatican II, l’Église corps mystique du Christ.
Considérant désormais l’être humain dans sa globalité, comment dissocier la spiritualité de la personne qui reçoit et qui se dit par son être profond ? L’être humain, homme ou femme, n’a-t-il pas à être accueilli dans l’entièreté de sa dimension corporelle et spirituelle. À la suite de saint Paul, il s’agit de percevoir l’être corporel dans sa dimension féminine ou masculine, sous cette perception englobante de l’être spirituel inscrit au coeur de tout être humain, homme ou femme. Dès lors, comment nous dissocier de la pensée juive, lieu où la foi de la mère, la matrilinéarité, constitue le fondement de la vie de foi de l’enfant à naître.
Dès lors, comment nous dissocier de l’être femme Marie, notre mère dans la foi : « Voici ta mère » (Jn 19, 27). Toute chrétienne et tout chrétien ne portent-ils pas en eux la foi de Marie ? Sous ce regard de foi, nous décelons alors les difficultés vécues par Thérèse. Brièvement à Séville, celle-ci les souligne dans ses « relations spirituelles » du 21 novembre 1575. Nous découvrons comment la mère de Jésus fut son soutien. Au jour de la Présentation de Notre Dame, celle-ci met en évidence sa spiritualité mariale :
J’entendis, dit Thérèse de Jésus, ces paroles : « O femme de peu de foi, sois tranquille ; les choses sont en très bonne voie » . C’était en 1575, le jour de la Présentation de Notre-Dame. Je résolus, poursuit-elle que, si la Sainte Vierge obtenait enfin de son Fils que nous nous vissions, notre Père et nous, délivrés de ces religieux (carmes mitigés), de demander à Sa Paternité qu’on célébrât tous les ans cette fête avec solennité dans nos monastères de carmélites déchaussées. Au moment où je prenais cette résolution, je ne me rappelais pas avoir entendu qu’il devait lui-même établir cette fête dont j’avais eu la vision. En relisant ce petit cahier, je me suis demandé si cette fête n’était pas celle de la Présentation » , poursuit Thérèse.
Dès lors, je souligne que cette fête qui fut officialisée par le pape Sixte IV, en 1472, disparut au concile de Trente en 1568. Or, en 1585, 10 ans après l’expérience spirituelle de Thérèse de Jésus, la fête sera réinscrite au calendrier liturgique en Occident. On la retrouve toujours chez nos contemporains. Le 21 novembre 2013, le père Joseph-Marie Verlinde, prédicateur de Notre-Dame de Paris la présente dans son lien à la première Alliance :
Cette fête, selon le père Verlinde, établit ainsi un lien entre le Temple ancien de pierre et l’Arche de la Nouvelle Alliance, qui est le sein très pur de la Vierge sur laquelle descendra bientôt la shekinah, la gloire du Dieu vivant. Prolongeant notre méditation, dit-il, à la lumière de l’enseignement de Saint Paul : « Vous êtes le temple de Dieu » (1 Co. 3,16), il apparaît juste et bon de « prendre chez nous » (Jn 19,27) Marie, afin qu’elle continue dans le Temple de nos cœurs, le service du Dieu vivant auquel elle s’est consacrée dans le Temple de Jérusalem dès sa petite enfance .
Dès lors, il devient intéressant de saisir pour notre temps l’acuité de cette spiritualité mariale devenue ministérielle au 17e siècle français chez Jean-Jacques Olier, co-fondateur de Montréal. Ce lieu permet l’interrelation entre le nom du Domaine civil de la Présentation et la spiritualité ministérielle qu’elle sous-tend.
1. b) : La Présentation de la Vierge-Marie au Temple chez J.J.Olier, vocable de notre paroisse
Afin de situer la « spiritualité qui a vu naître la Cité de Dorval », cette partie permet de percevoir comment M. Jean-Jacques Olier propose, à l’instar de Thérèse de Jésus, la fête liturgique de la « Présentation de la Vierge Marie au Temple ». Il la propose comme fondement de la spiritualité des prêtres de Saint-Sulpice. Par cette constante interaction entre la « culture et la foi », la pensée mariale du co-fondateur de Montréal, de Ville-Marie, et fondateur des prêtres de Saint-Sulpice de Paris poursuit l’oeuvre de ses prédécesseurs sous un axe particulier. À la suite des Vincent-de-Paul, François Bourgoing, Condren, la spiritualité mariale de l’école bérullienne interpellera aussi le fondateur Louis-Marie Grignion de Montfort (montfortains) et la fondatrice Marie-Louise Trichet (filles de la Sagesse) dont les filles et les fils sont venus en notre milieu environ 200 ans plus tard. Historiquement et pour notre milieu, il est fondamental de connaître la perception mariale de Saint-Sulpice, lieu de formation du père Montfort.
En sol montréalais, deux lieux historiques en témoignent. En premier lieu, la peinture proposée au début du quatrième chapitre présente la vierge Marie qui à peine âgée de 3 ans gravit seule les marches du Temple de Jérusalem. La toile fut réalisée en 1906-1907 par le peintre Joseph Saint-Charles (1868-1956). De très grand format et réalisée en atelier, la peinture a été marouflée sur la voute de l’abside de la chapelle du Grand Séminaire de Montréal en 1907. En second lieu, nous la retrouvons en notre milieu sur la verrière murale gauche de l’église de la Présentation-de-la-Vierge-Marie-au-Temple qui fut érigée au 20e siècle, vers 1900. Dès les origines de Ville-Marie, la spiritualité mariale ministérielle devient l’un des traits caractéristiques identitaires des Messieurs de Saint-Sulpice et de leurs successeurs. Le pape Paul VI décrit cette spiritualité comme suit : « Il existe des analogies et de rapports entre la fonction sacerdotale et l’indicible somme de charismes de Marie ».
À cet égard, j’effectuerai un bref aperçu historique de notre milieu davantage connu sous le vocable de la Présentation-de-la-Vierge-Marie. Au 17e siècle, les services religieux étaient rattachés à la municipalité de la paroisse Saint-Michel de Lachine. Comme point de départ, il suffit de rappeler un fait cocasse. Ce fait précède la fondation de Lachine qui provient d’un esprit aventureux en quête de découverte. Le nom de Lachine serait attribué à l’expédition aventureuse de Sieur Cavalier de La Salle qui croyait voir devant lui un passage vers la Chine (1669). Le voyage ayant échoué, on désirait se remémorer l’événement. Quelques années plus tard apparaissait cette paroisse Saint-Michel. Les registres de la paroisse Saint-Michel de Lachine furent ouverts en 1676. La paroisse sera érigée canoniquement le 30 octobre 1678. Dès lors, il est bon de rappeler ce fait car les paroisses de l’île de Montréal n’apparaîtront que 200 ans plus tard lors de la reconnaissance du diocèse de Montréal, le 18 juin 1836. Le district de la paroisse de Lachine appartenait au diocèse de Québec : « L’archidiocèse métropolitain de Montréal a été érigé le 18 juin 1886. Il devient le siège métropolitain le 10 mai 1887. Auparavant il avait été érigé en diocèse le 13 mai 1836 et en district le 1ᵉʳ février 1820 » . Il en fut ainsi pour les origines de notre cité. Près de 150 ans nous séparent des évènements relatés dans les chapitres précédents. Jusqu’à ce jour, du point de vue civil, le village de Dorval était dirigé par le dernier maire du village, M. Jean-Baptiste Meloche, petit-fils du premier arrivant de la famille Meloche. M. François Meloche vînt en ce lieu vers 1700, peu de temps après la vente du « Domaine de la Présentation » à Jean-Baptiste Bouchard Dorval (29 janvier 1691).
Antoine Meloche, fils de François, premier de la lignée de mes ancêtres maternels devenait le troisième propriétaire du « Domaine de la Présentation » en 1708. Dans son volume intitulé, Dorval trois siècles d’histoire, M. André Duval écrit ce qui suit :
En 1708 les seigneurs de l’île de Montréal - les prêtres du Séminaire de St-Sulpice - concèdent une terre de la Côte de Lachine à un colon du nom de François Meloche. Cette terre se situe à l’est du Domaine de la Présentation alors propriété du sieur Jean-Baptiste Bouchard Dorval. (...) Après la déconfiture de Dorval, les Meloche figurent parmi ceux à qui ces malheurs ont profité. Ils acquièrent une couple de terres détachées du Domaine de la Présentation ainsi que les trois îles jadis concédées par Frontenac à l’abbé de Fénélon. Nous savons en effet que, le 18 juin 1753 Antoine Meloche - le fils de François - avait acheté de René de Coüagne (de la famille de Charles de Coüagne, le créancier de Bouchard Dorval) une « terre sise à la Chine au lieu nommé la Présentation » .
La paroisse de La Présentation de la Vierge-Marie au Temple n’apparaîtra qu’environ 140 ans plus tard. Le 5 décembre 1894, on accorde les changements demandés par les résidents et les résidentes du village de Dorval et de la Côte-de- Liesse. Tel qu’entendu, les documents furent affichés trois dimanches consécutifs aux portes des églises Saints-Anges, St-Laurent et de la chapelle de Dorval. Promulgué le 1er février 1895, le décret d’érection de la nouvelle paroisse fut lu aux messes dominicales des 12 et 19 février 1895. Il sera publié dans la Gazette officielle du Québec le 11 juillet 1895. À cet effet, une répartition pour la construction de l’église entrait en fonction. Le 4 février 1900, le Conseil de Fabrique reconnaît officiellement le don du terrain garanti dans le contrat d’achat des pères montfortains .
1. c ) : La Présentation de la Vierge-Marie, une spiritualité ministérielle oliérienne
Dans cette partie de mon analyse, je souligne mon intérêt envers le rôle de Marie dans ma vie personnelle et dans la vie de l’Église qui provient de ma tendre enfance. Personnellement, je ne crois pas que l’on puisse s’engager dans une recherche, sans que celle-ci soit l’objet de notre propre quête ou que l’on se dirige vers l’enseignement universitaire. « Dites-moi l’objet de votre thèse et je vous soulignerai votre problème », dit un professeur. À cet effet, si mon attention envers la spiritualité ministérielle de la Présentation de la Vierge Marie au Temple m’apparut soudainement lors de ma formation au 2e cycle universitaire à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal, les sources de ce questionnement proviennent d’un temps lointain. Aussi, je crois opportun de lever le voile sur ces moments qui m’encourageaient vers cette voie. Par la recherche, je devenais attentive au moment de la naissance du Cardinal Pierre de Bérulle; avec étonnement, j’étais née en ce jour anniversaire du 4 février.
Pour ma part, je vécus au sein d’une famille profondément engagée spirituellement où la vénération de Marie était sincère et profonde. Depuis l’enfance, je portais la spiritualité mariale du père de Montfort ; il va donc de soi de rappeler la dévotion de mes parents. Ceux-ci firent ériger une statue de l’Immaculée Conception sur le terrain familial, suite à une promesse faite. En ce temps-là, parole dite, parole accomplie ! Très jeune la question du rôle de la femme Marie au sein de la vie de l’Église vint me questionner. Je ne comprenais pas comment, en même temps et d’une façon cohérente, vénérer Marie sans admettre les femmes dans le ministère sacerdotal. C’est pourquoi, je désire souligner une coutume familiale. Cela consistait à « saluer » les croix de chemin et les différentes statues de saints ou de saintes qui étaient érigés tout au long d’un parcours. Vous pouvez deviner aisément que plus d’une fois à travers mes jeux d’enfant sur le terrain familial, je dis : « Bonjour Marie », « Salut Marie ». Lors des neuvaines printanières ou automnales offertes à tout le voisinage, ma mère me demandait de présenter des prières particulières. Sur ce terrain, je percevais la foi mariale de mes parents et l’ouverture de ma mère envers les diverses confessions de foi, autant juive que chrétienne. Cela m’interrogeait. De là découlent les questions des « pourquoi » et des « comment » qui n’ont jamais cessé de m’interpeller. Tel que déjà mentionné, mon mari Pierre et notre famille sommes venus habiter Dorval suite à sa nomination comme secrétaire-trésorier de la Commission des écoles catholiques de Dorval (1965). Les bureaux de l’administration se situaient à l’école Jean XXIII. Depuis ce temps, dans des moments cruciaux, nous avons bénéficié de la protection spéciale de S.S. Jean XXIII.
C’est ainsi que de ce lieu familial, je m’intéressai davantage à la vie de l’Église. L’initiateur du concile Vatican II étant le « bon » pape Jean XXIII, les diverses ouvertures des pères du concile suscitaient mon intérêt. Je désirais connaître et surtout comprendre la nouveauté portée par les pères du Concile. Pendant plus de quatre ans, de 1961 à 1965, le concile Vatican II réunissait à Rome les représentants mondiaux des diverses conférences épiscopales. Ils accueillaient comme observateurs des membres d’Églises chrétiennes autres, nos frères dans la foi. Peu à peu, une porte s’entrouvait à la femme : à la dernière session, le Concile Vatican II accueillait des observatrices. Devenue paroissienne de la paroisse La Présentation-de-la-Vierge-Marie au temps du Concile en 1966, douze années se seront écoulées lorsque j’acceptais, en tant que laïque mariée chrétienne, un engagement administratif et pastoral en cette paroisse (1978-1984). C’est alors qu’animant en pastorale du baptême, je remarquais une différence marquée entre la perception de foi des nouveaux parents et la nouveauté qui pointait en Église. Ceux-ci portaient en même temps la foi, la quête et les déceptions de leurs parents. En grande majorité, les nouveaux parents possédaient une formation universitaire surtout dans notre milieu de la Cité de Dorval. De là découle mon retour aux études théologiques. Entrée en théologie en janvier 1983, je terminais en juin 1987 mon baccalauréat spécialisé en théologie à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. À l’aube de l’Année mariale initiée par le pape Jean-Paul II, je m’engageais vers une Maîtrise en théologie à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal et je terminai par la rédaction d’une thèse doctorale à l’Université de Sherbrooke. Cette formation fut précédée de séminaires de recherches doctorales d’un an en spiritualité à l’Université St-Paul d’Ottawa (Jean de la Croix) qui sera complétée par des études siegwaltiennes en théologie fondamentale au 3e cycle de l’Université de Sherbrooke.
Cependant, je crois nécessaire d’indiquer comment le fait d’animer un pèlerinage marial soutiendra ma foi. Terminant mon baccalauréat spécialisé en théologie, en cette Année mariale 1987-1988, j’eus alors la joie d’animer un pèlerinage pour une paroisse de l’ouest de Montréal, la paroisse Sainte Catherine Labouré, en compagnie des pères missionnaires du Sacré-Coeur. Les pères me proposaient de proclamer l’évangile et de prononcer les homélies au même rythme qu’eux. Je prononçais ma « première homélie » en la Basilique romaine de Saint-Paul-Hors-les-Murs, lieu de lancement du Concile Vatican II par S.S. le pape Jean XXIII. Une autre fut présentée en l’église Sainte-Marie-des-Anges et autres lieux. C’est ainsi que j’alternais constamment entre le travail pastoral et les études théologiques : d’un certificat en théologie à la publication de ma thèse doctorale. Cette thèse, je la présentais aux dirigeants de l’Église et au Saint-Père, le pape Benoit XVI (2010). Ma thèse doctorale portait la question de l’admission des femmes au ministère sacerdotal chez l’un des plus grands penseurs de l’Église de notre temps, le théologien Hans Urs von Balthasar. La pensée d’Hans Urs Von Balthasar était soutenue par la co-auteure de son oeuvre, Mme Adrienne von Speyr. Un article publié dans l’Osservatore Romano par Hans Urs von Balthasar sur la question de l’admission des femmes au sacerdoce ministériel correspondait succintement à l’analyse de ma thèse de maîtrise. Chez ces penseurs, le rôle de Marie était fondamental pour une plus grande compréhension de la vie ministérielle en Église. La mission ‘personnelle’ et ‘ecclésiale’ de Marie et les missions féminines devenaient alors l’enjeu fondamental de mes recherches. Et sur cette question, Hans Urs von Balthasar était considéré comme un auteur autorisé.
Toutefois, je dois mon éveil premier à la spiritualité mariale ministérielle du Traité de la Vraie Dévotion à la Sainte Vierge de saint Louis-Marie Grignion de Montfort objet de mes recherches au 2e cycle universitaire en théologie. À cet égard, si la question première provenait d’une quête personnelle venue de l’enfance, je désirais connaître et surtout comprendre la pensée mariale de saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Quelle était sa pensée ? Plus spécifiquement, je percevais de plus en plus la vision d’ensemble de son Traité de la Vraie Dévotion. L’argumentaire de cette dévotion mariale est totalement liturgique et biblique. À chaque étape de la liturgie, nous découvrons le véritable sens de la vraie dévotion du père de Montfort. Tout au cours de la liturgie, le père de Montfort communie à la présence de Marie dans une vision d’ensemble. Marie au sein du ministère ! L’offrande eucharistique y est présentée par les mains de Marie. Avec Marie, il présente son offrande eucharistique.
Saint Louis-Marie place alors sur les lèvres de Marie les paroles consécratoires, pensée qui sera corroborée en l’Année mariale par S.S. Jean-Paul II dans ses Lettres aux prêtres à l’occasion du Jeudi-Saint. J’y reviendrai au prochain chapitre. La dévotion eucharistique de saint Louis-Marie est vécue dans le contexte d’une ordination sacerdotale où seul le célébrant principal communie au « sang de Jésus » :
Venez, leur répète-t-elle, en autre endroit, Mangez mon pain, qui est Jésus et buvez le vin de son amour
Les fondements de cette spiritualité liturgique sont fixés au 25 mars, jour de l’Annonce du Seigneur à Marie (jour du baptême de mon fils, Benoit). Chez Montfort, il ne s’agit pas tant de percevoir son ministère comme une « suite de Jésus et de Marie », tel que le proposait le Cardinal Pierre de Bérulle. L’ acte contemplatif marial du père de Montfort est totalement tourné vers le mystère de l’incarnation de « Jésus vivant en Marie ». À tel point, qu’il serait possible d’affirmer, l’in persona Jesus de Marie. De ce lieu découle le possible passage de cette dévotion mariale dite populaire, telle que je la reçus dans l’enfance, vers la spiritualité mariale fondamentalement biblique, théologique et liturgique.
Respectant les critères de discernement d’une Oeuvre, je serai interpellée par sa contextualité. C’est ainsi que je découvrais les fondements de la spiritualité mariale du fondateur des prêtres de Saint-Sulpice soit son lien à l’ecclésiologie comme interpellation ministérielle. Il devenait ainsi possible d’établir un lien entre la spiritualité ministérielle mariale de M. Jean-Jacques Olier, fondateur des prêtres de Saint-Sulpice et le vocable de notre paroisse, la Présentation-de-la -Vierge-Marie. À cet égard, si la spiritualité montfortaine corroborait en quelque sorte la spiritualité de M. Olier, le regard marial oliérien était tourné vers l’enfance de Marie.
Dès lors, par le regard de foi mariale de l’école bérullienne et de ses successeurs, nous sommes appelés à découvrir l’évolution et les différences de leurs perceptions. « A la suite de Jésus et Marie », proclamait le fondateur de l’école bérullienne, le cardinal Pierre de Bérulle. En « Jésus vivant en Marie » proclamait saint Louis-Marie Grignion de Montfort. À cet effet, le développement de la pensée de M. Raymond Deville, pss, supérieur général de sa communauté (1984-1996) favorisait de nouvelles observations, telle l’analogie entre le rôle de Marie et le rôle du prêtre chez les maîtres spirituels de l’École française de spiritualité. Soudainement, une citation apportait un éclairage inattendu (118). Selon le supérieur général des prêtres de Saint-Sulpice, la spiritualité oliérienne présentait Marie comme « modèle du clergé et modèle de la vocation pour y entrer ». M. Jean-Jacques Olier choisit comme fête principale de la maison, celle de la Présentation de Marie au Temple :
La fête liturgique de la Présentation de la Vierge célébrée le 21 novembre sera pour lui essentielle dans la liturgie du Séminaire et sera l’occasion pour les séminaristes et les prêtres de renouveler leurs engagements au service de Dieu et de l’Église. Le 21 novembre sera aussi célébré solennellement par les autres bérulliens et par les Carmélites de France : celles-ci jusqu’au Concile, renouvelleront leurs voeux au jour de la Présentation de Marie (...) Cette dévotion, dit R. Deville, trouvera en Grignion de Montfort un apôtre incomparable. Des études ont déjà été publiées sur Marie et le Sacerdoce, dit-il. Mais, poursuit-il, d’autres recherches doivent encore être faites. Cette dévotion trouvera en Grignion de Montfort un apôtre incomparable.
Dès lors, si tel que le demandait le supérieur des Sulpiciens, M. Raymond Deville, de nouvelles études sur Marie et le sacerdoce devaient être entreprises, il est essentiel de saisir la spiritualité ministérielle de Jean-Jacques Olier :
Jean-Jacques Olier choisit comme fête principale de la maison, celle de la Présentation de Marie au Temple, à cause des rapports que son grand esprit de foi lui montrait entre la consécration de Marie à Dieu et celle que les Ecclésiastiques font d’eux-mêmes en entrant dans l’état clérical.
À cet effet, mon prochain chapitre présentera la pensée mariale de S.S. Jean-Paul II, qui tout en perpétuant la spiritualité des maîtres de l’école bérullienne, et plus spécialement, la spiritualité de la Vraie Dévotion à la Sainte Vierge de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, le Saint-Père fait aussi référence à la Constitution dogmatique Lumen Gentium, de Vatican II, signée en la fête de la Présentation de la Vierge au Temple.Le développement de cette pensée se retrouvera plus particulièrement dans les « Lettres du Jeudi-Saint adressées aux prêtres », par S.S. Jean-Paul II. Il vous sera présenté au prochain chapitre sous la thématique suivante : « À l’école de Marie, femme eucharistique ».
2 - « Marie, femme eucharistique »d’après S.S. Jean-Paul II
Interpellée spirituellement par le renouveau doctrinal ministériel, je suis convaincue de l’urgence d’accueillir, en notre temps, les femmes au sein de tous les ministères ecclésiaux. Croyant à l’indissociabilité entre la mystique et la théologie, mystique qui se situe dans le réel chez Von Balthasar, je rédigeais une thèse doctorale sous la thématique suivante : « La mission ‘personnelle’ et ‘ecclésiale’ de Marie et les missions féminines d’après l’œuvre de Hans Urs von Balthasar sous la constellation christologique et sa valeur d’intégration ». Tout en soutenant l’ouverture de ce dernier envers la femme-prêtre, l’étude de la spiritualité sacerdotale mariale constitue l’objet majeur de mes recherches théologiques depuis plus de 30 ans. L’Année mariale sera considérée comme une année charnière pour l’expression de la pensée mariale du pape Jean-Paul II (1987-1988). C’est pourquoi, je soutiens qu’à l’école de Marie, femme eucharistique, telle que perçue par les autorités catholiques, peuvent possiblement s’entrouvrir les portes closes d’« Ordinatio Sacerdotalis ». Le pape Jean-Paul II ouvre de nouveaux horizons par l’attention accordée au rôle indissociable de Marie, mère et figure de l’Église, comme élément essentiel de la vocation sacerdotale (cf. Jn 16, 21-24; cf. Jn 19, 25-30). C’est pourquoi, je soutiens que les propos cités en introduction d’Inter Insigniores (1976) et renouvelés dans la lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis (1994) ne peuvent justifier la non-admission des femmes dans les ministères sacerdotaux : « comme il s’agit là d’un débat sur lequel la théologie classique ne s’est guère attardée, l’argumentation actuelle risque de négliger des éléments essentiels. Pour ces raisons […] l’Église ne se sent pas autorisée […] ». Or, nous savons aussi qu’en ce temps particulier de l’histoire ecclésiale, le pape Paul VI réformait la doctrine ministérielle (Liber de Ordinatione, 1968). Il y a donc possibilité d’ouvrir la question posée par Inter Insigniores. Dès lors, la reconnaissance de Marie, comme « première disciple du Christ » (Marialis Cultus, no 35) dans l’appel et la mission avant les apôtres (Redemptoris Mater, no 20) justifie la quête des éléments essentiels nécessaires au ministère sacerdotal.
Afin de saisir la profondeur du rôle de Marie femme eucharistique chez le pape Jean-Paul II, je limiterai mon analyse aux Lettres qu’il adressait aux prêtres pendant son pontificat à l’occasion du Jeudi-Saint (1979-2005). Cette analyse sera développée en trois volets : la spiritualité sacerdotale mariale et le pouvoir eucharistique (1979-1986) ; l’Année mariale comme année charnière pour les nouveaux ministères féminins (1987-1988) ; du Cénacle de la Pentecôte à la collégialité épiscopale (1989-2003).
2 . a ): La spiritualité sacerdotale mariale et le pouvoir eucharistique (1979-1986)
Toutes les Lettres aux prêtres à l’occasion du Jeudi-Saint se terminent par une évocation mariale. Bien que le titre de mère des prêtres retienne plus spécifiquement l’attention, souvent sans référence à sa condition de disciple, un nouveau paradigme pointe à l’horizon et établit un déplacement. Désormais, l’attention ne sera plus uniquement tournée vers l’intériorité mariale du prêtre mais vers le charisme fondateur de Marie (Jn 16, 21; Jn 19, 26-27). Dès le début de son pontificat, le pape Jean-Paul II établit l’analogie entre le pouvoir eucharistique accordé aux apôtres et le don maternel johannique de Marie : « Nous tous, proclame le pape Jean-Paul II, recevons le même pouvoir par l’ordination sacerdotale, nous avons les premiers, en un certain sens, le droit de voir en elle notre Mère (afin que) vous retrouviez en Marie la Mère du sacerdoce que nous avons reçu du Christ » (Lettres aux prêtres, 1979, no 11). Selon le pape Jean-Paul II, il n’y a que Marie pour exprimer, comprendre et saisir dans sa plénitude, cette vie reçue et donnée en Jésus-Christ (cf. Lc 22, 32; cf. Mt. 12, 49-50). À l’instar de l’analyse critique d’Inter Insigniores effectuée par Hans Urs von Balthasar, le « oui » de Marie sera proposé sous la dimension trinitaire du drame du salut. À cet effet, le pape Jean-Paul II questionne « l’apparente » absence de Marie à la Cène du Seigneur: « Il ne nous est pas dit, écrit-il, si ta Mère se trouvait au Cénacle du Jeudi-Saint. Toutefois, nous te prions spécialement par son intercession. Qu’est-ce qui peut lui être plus cher que le Corps et le Sang de son Fils confiés aux apôtres dans le mystère eucharistique, le Corps et le Sang que nos ‘mains sacerdotales’ offrent sans cesse en sacrifice pour la ‘vie du monde’ (Jn 6,51) ?» (Lettres aux prêtres, 1982, no 10). Nous retrouvons cette même pensée au concile Vatican II. Lumen Gentium ne percevait pas la médiation d’intercession de Marie comme un obstacle à l’unique médiation du Christ ( no 60).
2. b ) : L’Année mariale comme année charnière pour les nouveaux ministères féminins (1987-1988)
En l’Année mariale, la théologie du pape Jean-Paul II présentée dans les Lettres aux prêtres à l’occasion du Jeudi-Saint associe la Cène et Gethsémani. En cette heure rédemptrice, Jésus-de -Nazareth authentifie la mission ecclésiale de Marie: « En effet, écrit-il, comme l’enseigne le Concile à la suite des Pères, Marie nous précède dans ce pèlerinage et elle nous offre un exemple sublime que j’ai cherché à mettre en relief également dans la récente encyclique, publiée en vue de l’Année mariale » (Lettres aux prêtres, 1987, no 13). Fondamentalement, la dimension trinitaire de l’ordination sacerdotale permet de saisir la relation particulière entre la maternité de Marie et la maternité spirituelle du prêtre : « le mystère de la fécondité surnaturelle par l’action de l’Esprit-Saint fait d’Elle, la ‘figure’ de l’Église qui à son tour devient Mère ; par la prédication et le baptême, elle engendre à une vie nouvelle et immortelle des fils [et des filles] conçus du Saint-Esprit et né(e)s de Dieu (Lumen Gentium, no 64) » (Lettres aux prêtres, 1987, no 13). Conformément aux Écritures, le pape Jean-Paul II n’établit aucune dichotomie entre la maternité spirituelle de Marie et le pouvoir d’agir au nom du Christ Jésus (in persona Christi : Jn 16, 12-25; cf. Ga. 4, 19). « Dès lors, s’empresse-t-il d’ajouter, disons-le en concluant, pour que le témoignage de l’Apôtre (Jean ou Paul) puisse devenir aussi le nôtre, il faut que nous revenions constamment au Cénacle et à Gethsémani, et que nous retrouvions le centre même de notre sacerdoce dans la prière et par la prière » (Lettres aux prêtres, 1987, no 13). Conséquemment, il fixait cet impératif : « Il faut donc que chacun de nous l’accueille chez lui comme l’apôtre Jean l’accueillit sur le Golgotha, c’est-à-dire que chacun de nous permette à Marie de prendre demeure ‘dans la maison’ de son sacerdoce sacramentel, comme mère et médiatrice de ce ‘grand mystère’ (cf. Ep 5, 32) que nous tous désirons servir par notre vie » (Lettres aux prêtres, 1987, no 13).
À cet effet, si l’Année mariale ouvrait de nouveaux horizons envers le rôle maternel de Marie, la situation des femmes au sein de la vie de l’Église ne fut pas occultée pour autant. Dans ce temps particulier de l’histoire ecclésiale, la lettre apostolique de Jean-Paul II dont la thématique concerne la dignité et la vocation de la femme interpelle le ministère :
Le prêtre, écrit le pape Jean-Paul II, en raison de sa vocation et de son ministère, doit découvrir d’une manière nouvelle le problème de la dignité et de la vocation de la femme, dans l’Église et dans le monde d’aujourd’hui. Il lui faut comprendre à fond ce que voulait nous dire à tous le Christ quand il parlait avec la Samaritaine (cf. Jn 4, 1-42), quand il défendait la femme adultère menacée de lapidation (cf. Jn 8,1-11), quand il rendait témoignage à celle dont les nombreux péchés avaient été remis parce qu’elle avait montré beaucoup d’amour (cf. Lc 7, 36-50), quand il parlait avec Marie et Marthe à Béthanie (cf. Lc 10, 38-42 ; Jn 11, 1-44) et, enfin, quand il annonçait aux femmes, avant tout autre, la Bonne Nouvelle de sa Résurrection (cf. Mt. 28, 1-10) » (Lettres aux prêtres, 1988, no 5).
À l’instar de l’« œuvre commune » de madame Adrienne von Speyr et du théologien Hans Urs von Balthasar, objet de mes recherches doctorales, il s’agit de découvrir, à la suite de ces maîtres, la nouveauté christologique proposée, sa dimension trinitaire. Cela signifie pour nous un renversement de la pensée (Vertmittlung). En cet instant de grâce, le pape réhabilite la dignité véritable de la femme : «Auprès de Marie qui représente l’accomplissement singulier de la femme de la Bible dans le Protoévangile (cf. Gn 3, 15) et l’Apocalypse (12,1), cherchons à obtenir aussi la capacité d’un juste rapport avec les femmes et l’attitude qu’avait Jésus-de-Nazareth lui-même à leur égard » (Lettres aux prêtres, 1988, no 5).
2. c ) : Du Cénacle de la Pentecôte à la collégialité épiscopale (1989-2003)
En dernière analyse, nous atteignons l’apogée de la pensée mariale du pape Jean-Paul II, soit l’indissociabilité entre le ministère apostolique de Marie et la collégialité épiscopale. Désormais, la maternité de Marie, « mère des prêtres et du sacerdoce » atteint sa plénitude. Érigée dans les dernières années du pontificat du pape Jean-Paul II (2003), la statue de Notre-Dame de l’Espérance indique la voie vers l’authentification du rôle fondateur de Marie au sein de l’Église-institution: « les apôtres, réunis autour de Marie au Cénacle de la Pentecôte, la regardent comme dans un miroir, un miroir dans lequel ils se voient eux-mêmes comme Église, Épouse du Christ » (Lettres aux prêtres, 1988, no 7). En ce lieu-source, Marie mère et figure de l’Église du Christ constitue « l’un des éléments essentiels de la vocation sacerdotale » (Lettres aux prêtres, 1988, no 7), tant recherché par Inter Insigniores. Cela permet d’établir le passage entre la spiritualité (intériorité du prêtre) et la théologie du ministère visible : « L’Église, dit-il, a toujours enseigné que la première manifestation de l’Église dans le monde eut lieu le jour de la Pentecôte au Cénacle quand l’Esprit Saint descendit en langues de feu sur quelques femmes réunies avec Marie la Mère de Jésus, et les frères de Jésus (cf. Ac 1,14; cf. 2,1) » (Lettres aux prêtres, 1988, no 7).
Selon le Saint-Père, le rôle de Marie, femme eucharistique, ne peut être occulté du mémorial eucharistique : « ‘Faites ceci en mémoire de moi’ (Lc 22,19), dit-il. Dans le ‘mémorial’ du Calvaire est présent tout ce que le Christ a accompli dans sa passion et dans sa mort. C’est pourquoi ce que le Christ a accompli envers sa Mère, il l’accomplit aussi en notre faveur. Il lui a en effet confié le disciple bien-aimé et, en ce disciple, il lui confie également chacun de nous (cf. Jn 19, 26-27)». Associant les Églises d’Orient et d’Occident dans une foi commune, Marie participe « avec l’Église comme Mère de l’Église, en chacune des Célébrations eucharistiques. Si, Église et Eucharistie constituent un binôme inséparable, il faut en dire autant du binôme Marie et Eucharistie ».
Tout au cours de ce pontificat de plus de 26 ans du pape Jean-Paul II, une unique parole est proclamée, soit le lien indissociable entre la spiritualité sacerdotale et apostolique mariale et la théologie du ministère eucharistique vécu en présence de Marie au sein de la collégialité apostolique. Cette vision n’appelle-t-elle pas une réforme inévitable? En effet, comment attester en même temps de l’évolution du rôle de Marie au sein de la vie de l’Église « visible » et des ministères institués sans accueillir l’appel vocationnel des femmes ? Ayant reçu Son appel, ces femmes ne se sont-elles pas engagées à la suite du Christ Jésus, par la formation et l’engagement au sein des divers ministères pastoraux ?
Oeuvre de Margo Gravel-Provencher
[émail sur cuivre]