PARTIE 1: Prolégomènes à Inter Insigniores ou État de la question:
PREMIER CHAPITRE: Doctrine sociale de l’Église et dignité de la femme
.1: Mater et Magistra
2: Pacem in Terris : la question des Droits humains
.3: Gaudium et Spes : dignité spirituelle de la femme et de la communauté humaine
.4: Interventions des Conférences épiscopales au Concile Vatican (Gaudium et Spes )
Cette première partie permettra de déterminer pourquoi et comment l’étude des prolégomènes d’Inter Insigniores conduit vers l’approfondissement de la question demeurée sans réponse. Dans cette première partie, le "document de travail" présenté au Synode des évêques par la Commission internationale de théologie intègre dans son argumentaire biblique le rôle apostolique de deux femmes, Marie (célibat et ministère apostolique) et Marie de Magdala en “spiritualité du prêtre” et dans le “service eschatologique” en Jn 20, 18 ss. (Le ministère sacerdotal. 79. 116). À cet égard, il est à noter que l’auteur retenu dans notre recherche, le théologien Hans Urs von Balthasar, participait en équipe à la création du document avec Mgr Carlo Columbo, le père Gonzalez De Cardedal, le père M.-J. Le Guillou, président, le père Lescrauwaet, secrétaire, et Mgr J. Medina-Estevez (CIT /postface). À la demande du Conseil du Secrétariat, celui-ci fit aussi partie de l’équipe consultée pour la révision des textes du Synode sur le sacerdoce ministériel. Je présume alors qu’il connaît bien la problématique d’Inter Insigniores et la possibilité d’y remédier. Situé en amont d’Inter Insigniores, le premier chapitre de cette thèse doctorale revisite la documentation citée en introduction de la Déclaration et indique ses "limites". Tel que souligné par le père Hervé Legrand, o.p., « une déclaration émanant d’une Congrégation est un document mineur de l’autorité enseignante et devient par le fait même, un document révisable. » (IPTH 3, 261)
Lors du concile Vatican II, la doctrine sociale de l’Église constituait le froment de la révolution féminine ecclésiale. Cette ouverture envers la femme devenait en fait le prélude à la question posée par Inter Insigniores. Afin de saisir l’interaction et la collégialité entre le pape Jean XXIII et les pères conciliaires, cette première partie présente dans un premier temps la documentation pontificale Mater et Magistra et Pacem in Terris comme soutien à l’attestation conciliaire de la dignité et de la vocation de la femme. En première analyse, la lettre encyclique Mater et Magistra, doctrine sociale de l’Église, insère dans la tradition la possible évolution ecclésiale envers les droits et la dignité de toute personne humaine. L'incorporation de Mater et Magistra à l’introduction de cette étude brève sur la question contemporaine de l’admission des femmes au sacerdoce ministériel constitue un ajout justifié aux documents cités dans l’introduction d’Inter Insigniores. En deuxième analyse selon Pacem in Terris, Mater et Magistra sculpte en quelque sorte les transformations conciliaires qui en troisième partie seront présentées sous la dignité et la vocation fondamentale de toute personne humaine (Gaudium et Spes). Un quatrième temps est accordé aux interventions des évêques et du représentant de la congrégation des supérieurs généraux. Cependant, bien qu’il est possible de constater l’intérêt grandissant envers les femmes en Église du Christ, l’absence de référence au chapitre VIII de la Constitution dogmatique Lumen Gentium en introduction d’Inter Insigniores manifeste un vide essentiel.
1.1: Mater et Magistra
Poursuivant l’engagement de ses prédécesseurs, le pape Jean XXIII publie le 15 mai 1961 une lettre encyclique où il ne fait pas qu’énoncer la question des droits humains, mais déclare son "engagement" envers eux. Célébrant le 70e anniversaire de la lettre Rerum Novarum du pape Léon XIII, il publie la doctrine sociale de l’Église sous la thématique Mater et Magistra et exprime son engagement envers les droits de la "femme, de la famille et des enfants" (MM. 13. 20. 191. 211). Considérant que l’objectif recherché dans cette thèse ne demande pas une étude exhaustive de la lettre encyclique, je retiens quelques points majeurs afin d’élargir la contextualité de la déclaration Inter Insigniores.
1.1.1: la contextualité conciliaire et les difficultés du monde
Tentant de rendre crédible l’indissociabilité entre la foi et la culture, il est pertinent de découvrir la contextualité du concile Vatican II qui se situe au point de départ de la réflexion du pape Jean XXIII. Dans ce temps particulier de l’histoire, la communauté humaine vit des temps de difficultés profondes. Mater et Magistra fut écrite dans un monde marqué par des pensées opposées sur la question des droits de la personne : christianisme, communisme, socialisme modéré. Désirant atteindre la pleine reconnaissance des droits humains et contribuer ainsi à la paix sur terre, la doctrine sociale de l’Église promulguée par le pape Jean XXIII n’énonce pas uniquement la question des droits des personnes, elle s’engage envers sa réalisation. À cet effet, le pape Jean XXIII sollicite le passage de la parole aux actes. Cela signifie un engagement ecclésial social envers les exclus, les démunis, la femme, la famille et l’enfant. Trois axes majeurs permettent un nouveau regard de foi: l’encyclique Provida Mater et les Instituts séculiers; la possible réforme ecclésiale; la dignité intégrale de la personne humaine.
1.1.2: L’encyclique Provida Mater et les Instituts séculiers,
Par un rappel de ses prédécesseurs, le pape Jean XXIII établit un lien entre l’engagement de l’État et l’engagement social de l’Église pour ce qui concerne les droits des travailleurs, et les droits de la "femme et de l’enfant" : « l’État, dit-il, dont la fin est de réaliser le bien commun temporel, (…) doit protéger les droits de tous les citoyens surtout les plus faibles, comme les travailleurs, les femmes et les enfants. Il ne peut jamais se soustraire à son devoir de contribuer activement à l’amélioration des conditions de vie des ouvriers » (MM .20). Considérant que cette lettre est adressée aux membres de l’Église, le pape Jean XXIII suscite l’engagement de tous et chacun envers les minorités et les exclus. Attestant la dignité de toute personne humaine, il établit une corrélation entre la maternité ecclésiale de ses fils et la providence maternelle. « À cette Église, mère et éducatrice, Mater et Magistra, dit-il, colonne et fondement de vérité ( l Tm. 3,15), son saint fondateur a confié une double tâche : engendrer des fils, les éduquer et les diriger, en veillant avec une "providence maternelle" sur la vie des individus et des peuples, dont elle a toujours respecté et protégé avec soin la dignité. » (MM. 2). Toutefois, pour notre étude, nous considérerons aussi la Constitution apostolique Provida Mater Ecclesia (1947) sur les Instituts séculiers, publiée environ deux ans après la Fondation de la Communauté St-Jean par Hans Urs von Balthasar et Madame Adrienne von Speyr.
1.1.3: la possible réforme de l’Église
Publiée le 15 mai 1961, la lettre encyclique Mater et Magistra soutient l’esprit œcuménique du concile Vatican II. Elle s’adresse aux patriarches, aux primats, aux archevêques, aux évêques et autres ordinaires, en paix et en communion avec le Siège apostolique, tout le clergé et les fidèles du monde entier. Ouvert sur le monde à l’instar de ses prédécesseurs, le pape réitère la tradition créatrice de Rerum Novarum: « Rerum Novarum, écrit-il, fut érigée dans une époque de transformations radicales, de contrastes et de révoltes. Les ombres de ce temps-là nous font mieux apprécier la lumière de son enseignement. Dans un temps de chaos, il échoit au pape de publier non seulement son message social, mais aussi de présenter des voies de reconstruction, basées sur la nature humaine et pénétrées des principes et de l’esprit de l’Évangile. Tandis que certains accusaient l’Église catholique de se borner à prêcher la résignation aux pauvres et à exhorter les riches à la générosité, le pape Léon XIII n’hésitait pas à proclamer et à défendre les droits légitimes de l’ouvrier (…) le travail devenant alors lieu d’expression de la personne humaine » .(MM .17) En 1961, le pape Jean XXIII engage l’aggiornamento de l’Église en tenant compte de l’ouverture créatrice inscrite au sein de la tradition vivante de l’Église. Poursuivant depuis ce temps son engagement, la doctrine sociale continue à faire entendre sa voix en faveur des pauvres et des démunis de la société (Quadragesimo Anno : Pie XI, Message radiophonique à la Pentecôte 1941 : Pie XII et Mater et Magistra : 70e anniversaire). Tels ses prédécesseurs, il souligne l’anniversaire de Rerum Novarum et remercie Dieu pour la création d’une telle encyclique: « cet anniversaire mériterait, dit-il, d’être inscrit en lettres d’or, afin de remercier Dieu pour la création d’une telle encyclique qui, depuis ce temps, s’est répandue et n’a cessé de croître au sein de la communauté humaine. » (MM . 40-45). En tenant compte de cette pensée, il est plausible de croire que celle-ci ouvre ces nouveaux horizons vers la pleine reconnaissance de la dignité humaine.
1.1.4: la dignité intégrale de la personne humaine
L’engagement ecclésial du pape Jean XXIII envers les droits humains constitue les aspects fondamentaux de la réforme conciliaire. Pour atteindre cette pleine reconnaissance, un lien est établi entre la foi et la culture. En ce lieu, l’Église considère les aspects positifs et négatifs des décisions multiformes émises dans la société. Trois enjeux émergent et interpellent l’Église: le domaine scientifique, technique et économique (la découverte de l’énergie nucléaire et ses applications contradictoires) ; le domaine social (assurances sociales, sécurité sociale et ouverture au phénomène de la mondialisation); le domaine politique (participation à la vie publique d’un plus grand nombre de citoyens d’origines sociales variées, déclin des régimes coloniaux et naissance des pays en voie de développement …). Fondamentalement, la doctrine sociale Mater et Magistra fait appel à l’engagement envers la dignité de la personne humaine. Devant la croissance rapide des structures économiques, le pape Jean XXIII considère l’ "urgence" de ces questions. Il fait appel au discernement. Dans un esprit de partage et de solidarité, c’est comme ministre de la Providence qu’il présente sa mission ecclésiale et fait appel à l’engagement : « Quiconque a reçu de la divine Bonté une plus grande abondance, dit-il, soit des biens extérieurs du corps, soit des biens de l’âme, les a reçus dans le but de les faire servir à son perfectionnement et tout ensemble, comme ministre de la Providence, au soulagement des autres. C’est pourquoi "quelqu’un a-t-il reçu le don de la parole, qu’il prenne garde de se taire (…) qu’il s’applique à en partager avec son frère, et l’exercice et les fruits" » (MM .210). Pour le pape Jean XXIII, l’expérience religieuse devient le leitmotiv pour le renouveau de l’Église.En bref, la lettre encyclique Mater et Magistra du pape Jean XXIII poursuit sa mission évangélisatrice et engage l’Église vers le développement intégral de la personne humaine. Plus spécifiquement, il soutient l’engagement de l’Église envers les droits de la famille, des femmes et des enfants. Vatican II entérinera cette position (Gaudium et Spes; Dignitatis Humanae). Une décennie plus tard, le pape Paul VI publiera Octogesima Adveniens, peu de temps avant le Synode des évêques de 1971, afin de célébrer le 80e anniversaire de la doctrine sociale de l’Église (Rerum Novarum). À cette fin, Pacem in Terris contribue à l’évolution de Vatican II et interpelle le monde croyant envers la dignité de la femme et de son engagement. (cf. MM part. 1, chap. 13).
1.2: Pacem in Terris et le fondement biblique de la dignité ecclésiale de la femme
Deux années se seront écoulées après la publication de Mater et Magistra lorsque dans un climat où la paix dans le monde est de plus en plus menacée, le pape Jean XXIII reprend la question des droits humains. Le 11 avril 1963, le pape Jean XXIII publie la lettre encyclique Pacem in Terris, véritable testament spirituel. Cependant, cette lettre encyclique fait un pas de plus et va plus loin que Mater et Magistra en spécifiant davantage l’orientation ecclésiale envers la femme. En quête d’un rapport plus profond entre la foi et la culture, le pape Jean XXIII s’appuyant sur l’évolution de la société justifie positivement l’entrée de la femme dans la vie publique : « l’entrée de la femme dans la vie publique, plus rapide dans les peuples de civilisation chrétienne ; plus lente, mais de façon toujours plus ample, au sein des autres traditions ou cultures. De plus en plus consciente de sa dignité humaine, la femme n’admet plus d’être considérée comme un instrument ; elle exige qu’on la traite comme une personne aussi bien au foyer que dans la vie publique » (PT .41). Réunie en assemblée conciliaire, le pape revient aux propos présentés quinze ans plus tôt par le pape Pie XII aux déléguées de l’Union mondiale des organisations féminines catholiques, réunies en Congrès à Rome, le 11 septembre 1947 : « il peut arriver que certaines rencontres au plan des réalisations pratiques qui, jusqu’ici avaient paru inopportunes ou stériles, puissent maintenant présenter des avantages réels ou en promettre pour l’avenir » (PT .160; UMOFC, 11-09-1947). Par ce rapport contextuel, il devient opportun de situer la publication de Pacem in Terris. Nous sommes un "Jeudi-Saint", trois mois avant la mort du pape Jean XXIII, le 3 juin 1963. En ce jour unique consacré au ministère sacerdotal, le pape Jean XXIII présente au monde, marqué par les divisions, les principes de la paix sur la terre dans le respect absolu de l’ordre établi par Dieu. S’appuyant sur la Parole de Dieu, il cite le texte biblique de Genèse 1,27 : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu, il le créa : mâle et femelle il les créa » (PT2 .1). Cette citation, véritable acte testamentaire, permet de saisir la nouvelle orientation qui marque l’aggiornamento du Concile Vatican II, soit le désir de travailler en collaboration avec le monde afin qu’une véritable paix puisse s’établir: Gaudium et Spes (l’Église dans le monde de ce temps) ; Orientalium Ecclesiarum (les Églises orientales catholiques) ; Unitatis Redintegratio (l’œcuménisme) ; Nostra Aetate (l’Église et les religions non chrétiennes) ; Dignitatis Humanae (la liberté religieuse).
Cependant, je désire rappeler deux événements majeurs entourant la publication de Pacem in Terris et de Mater et Magistra et par conséquent du concile Vatican II. Quelques mois après la publication de Mater et Magistra, l’Allemagne érigeait le "mur de Berlin" (1961) qui tombera sous le pontificat du pape Jean Paul II (1989). Tandis que s’ouvre à Rome le concile Vatican II (11 octobre 1962), un autre événement perturbe la paix dans le monde. Le monde se trouve au bord d’une guerre nucléaire, en raison de la crise des missiles à Cuba. La route vers un monde de paix, de justice, d’amour et de liberté semble bloquée. Toutefois, considérant la paix toujours possible malgré les tensions de la guerre froide qui menace de faire éclater à tout moment un conflit mondial, le pape Jean XXIII fait en sorte que cette valeur fondamentale, la paix dans le monde avec toute son exigence de vérité, commence à frapper à la porte des deux parties de ce mur et de tous les murs (cf. PT2 . 2). Pacem in Terris manifeste ce désir de réconciliation et rappelle le rapport indissoluble entre droits et devoirs dans une même personne et fait un appel responsable envers la dignité et la liberté de la personne humaine (cf. PT 2 .34). Plus près de nous en janvier 2003, le pape Jean Paul 11 soulignait l’apport fondamental de Pacem in Terris et rappelait le moment liturgique où cette lettre fut écrite. Toutefois, il rappelait aussi que la paix et l’évolution des peuples déterminent le nécessaire engagement de tous et chacun envers les droits et les aspirations de toute personne humaine. Selon le pape Jean-Paul II, « qu’il y ait un grand désordre dans la situation du monde contemporain, c’est une constatation facilement partagée par tous. La question qui se pose est donc la suivante : quel type d’ordre peut remplacer ce désordre, pour donner aux hommes et aux femmes la possibilité de vivre dans la liberté, la justice et la sécurité ? » (PT2 .6) Il reprenait ainsi les aspirations fondamentales soulignées dans le décret sur la liberté religieuse Dignitatis Humanae : la dignité de la personne humaine non promulguée sous la contrainte, mais celle-ci guidée par la conscience (cf. DH .1). À chacun et à chacune, l’encyclique Pacem in Terris parle de l’appartenance commune à la famille humaine et elle allume pour tous et toutes, une lumière sur les aspirations de toutes les populations de la terre : « la vérité, écrit le pape Jean XXIII, constituera le fondement de la paix si tout être humain prend conscience avec honnêteté que, en plus de ses droits, il a aussi des devoirs envers autrui. La justice édifiera la paix si chaque personne respecte concrètement les droits d’autrui et s’efforce d’accomplir pleinement ses devoirs envers les autres. » (PT .3) Le principe fondamental de la doctrine est une invitation à considérer tout être humain comme une personne. Et pour nous, chrétiennes, comme une "personne dans le Christ"! Le "document de travail" du Synode des évêques au deuxième chapitre de notre thèse s’inscrit sous cette pensée. Ce principe sera implicite à tous les énoncés de ma thèse. Il est pour moi fondamental de saisir la nécessaire reconnaissance de chaque être particulier. Le principe fondamental retenu par la Déclaration Inter Insigniores fait référence à Pacem in Terris ; dans cette lettre encyclique, le pape Jean XXIII témoigne de l’évolution en cours et atteste la liberté vocationnelle de l’homme et de la femme. Selon le pape Jean XXIII, la personne humaine « a droit à la liberté dans le choix de son état de vie. Elle a par conséquent le droit de fonder un foyer, où l’époux et l’épouse interviennent à égalité des droits et de devoirs, ou bien celui de suivre la vocation au sacerdoce ou à la vie religieuse. » (PT .15) Cette pensée fondamentale constitue, selon l’orientation de mes recherches, une "clé de lecture" fort appréciable puisque ce n’est parfois qu’en terminant une lecture que nous découvrons son sens le plus profond. Vers la fin de sa lettre, le pape Jean XXIII cite l’allocution du pape Pie XII aux Organismes Féminins Chrétiens Mondiaux (1947). Le pape Pie XII rappelait le rapport entre la foi et la culture bien que le langage inclusif n’y soit pas inscrit: « on se souviendra que les droits et les devoirs de l’Église ne se limitent pas à sauvegarder l’intégrité de la doctrine concernant la foi ou les mœurs, mais que son autorité auprès de ses fils s’étend aussi au domaine profane, lorsqu’il s’agit de juger de l’application de cette doctrine aux cas concrets. » (PT .26) Aussi Pacem in Terris, détermine-t-il le fondement de toute société bien ordonnée et féconde. Il est fondamental de reconnaître que son principe fondamental concerne la nécessité de reconnaître tout être humain comme une personne, douée d’intelligence et de volonté libre. Considérée ainsi, à la lumière des vérités révélées par Dieu, la dignité humaine apparaît alors dans toute sa splendeur : « la personne humaine a été rachetée par le sang du Christ Jésus, faite par la grâce, enfant et ami de Dieu et instituée héritière de la gloire éternelle. » (PT .26). Guidé par cette reconnaissance de la dignité de la femme dans la vie publique, l’apport de Gaudium et Spes contribuera à l’appropriation conciliaire de la pensée du pape Jean XXIII ( Mater et Magistra ; Pacem in Terris).
1.3: Gaudium et Spes : dignité spirituelle de la femme et de la communauté humaine
L’étude de la Constitution pastorale Gaudium et Spes facilite une compréhension plus élaborée de la dignité spirituelle de la femme et de la communauté humaine. Des droits nouveaux leur sont accordés : droits à l’éducation sans préjudice aux droits inaliénables de la femme dans la société et dans l’Église, par la reconnaissance de sa vocation humaine. Tenant compte du "ministère de la Providence" exercé ecclésialement, il n’est pas étonnant de retrouver en introduction d’Inter Insigniores cette citation : « Dans le même sens, le IIe Concile du Vatican, énumérant en sa Constitution pastorale Gaudium et Spes les formes de discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne qui doivent être dépassées et éliminées comme contraires au dessein de Dieu, indique en premier lieu celle qui se fonderait sur le sexe. » (G.S. 29). Dans cette constitution, Gaudium et Spes réaffirme la doctrine sociale de l’Église dans le monde de ce temps : non seulement les droits, mais les devoirs de l’Église envers ses droits inaliénables. Sous la thématique de l’Église et de la vocation humaine, le premier chapitre porte la question de la dignité de la personne humaine. Il est déplorable toutefois que la première partie de Gaudium et Spes ne soit pas en référence avec Pacem in Terris. En 2002, dans un volume intitulé Mon journal du Concile, Yves Congar évoque la pensée du père John Courtney Murray, spécialiste de la question qui concerne la liberté religieuse au Concile Vatican II (Dignitatis Humanae). On y découvre une absence de référence. Le père Murray regrette «qu’on ait enlevé, au début du no 1, l’annonce générale de la dignité de la personne humaine, avec appui à Pacem in Terris». (vol. 2/467). Toutefois, tout ne sera pas perdu pour autant, les références apparaîtront au deuxième chapitre. Sous la thématique de la communauté humaine, on énonce le but poursuivi par le Concile avec appui aux documents pontificaux Mater et Magistra, Pacem in Terris et Ecclesiam Suam : « le but spécifique du Concile Vatican II demeure le respect réciproque de la dignité spirituelle de la communauté humaine. » (GS .29) Nous sommes dans un esprit d’ouverture aux transformations d’une société. Au concile Vatican II, les pères conciliaires s’engageaient alors à développer une étroite solidarité entre l’Église et la communauté humaine dans ses joies, ses tristesses et ses angoisses. Parmi les situations de conflits apparaissent les nouveaux rapports hommes-femmes au sein de la société. Dès lors, la possibilité d’étudier est-elle reconnue comme un droit inaliénable sans discrimination entre les genres. En première partie, l’Église questionne le réel. Présentée sous la thématique : l’Église et la vocation humaine, le discernement de l’Église s’exerce aussi dans la prière et la recherche ; elle doit se laisser interpeller par les divers appels de l’Esprit-Saint. Par un nouveau rapport au monde, Gaudium et Spes arbore la question de la vocation humaine dans son rapport au dessein de Dieu. Scrutant les signes des temps et croyant que c’est à la communauté humaine de percevoir cette proximité de Dieu dans la prière et les événements particuliers, les pères conciliaires réaffirment le rôle de l’Église enseignée et enseignante comme ouverture au discernement ecclésial : « il revient à tout le peuple de Dieu, notamment aux pasteurs et aux théologiens avec l’aide de l’Esprit–Saint de scruter, de discerner et d’interpréter les multiples langages de notre temps et de les juger à la lumière de la parole divine, pour que la Vérité révélée puisse être sans cesse mieux perçu, mieux compris et présenté sous une forme plus adaptée ». (GS .44) Dans le discernement de l’Esprit-Saint, le peuple de Dieu peut entrevoir de nouvelles voies et favoriser le discernement. La deuxième partie comprend l’ouverture à la femme. La seconde partie précise certaines questions et indique les problèmes urgents qui découlent des nouvelles vocations attestées par l’Esprit (GS .46-90). Par la reprise de l’allocution du pape Pie XII aux Organismes Féminins Chrétiens Mondiaux (UMOFC), Gaudium et Spes évoque la contingence historique. J’attire l’attention sur ces allocutions aux organismes féminins. Il sera possible de les retrouver en conclusion. En ces lieux advient le possible renouveau: « on se souviendra que les droits et les devoirs de l’Église ne se limitent pas à sauvegarder l’intégrité de la doctrine concernant la foi et les moeurs, mais que son autorité auprès de ses fils s’étend aussi au domaine profane, lorsqu’il s’agit de l’application de cette doctrine aux cas concrets. » (PT .160) Confortant la pensée du pape Jean XXIII (Pacem in Terris), les pères conciliaires reconnaissent le caractère communautaire exceptionnel de la vocation humaine : tous les êtres humains, homme et femme, ont été créés à l’image de Dieu. L’Église s’inscrit alors dans une théologie renouvelée. Comment ne pas y discerner la pointe des transformations conciliaires qui, tout en intégrant la femme, détermine aussi l’acception eschatologique de la première alliance dans le Christ et l’Esprit ? Les pères conciliaires tentent alors de discerner les lieux à transformer afin que le renouveau ecclésial puisse accueillir ceux qui sont dans les cieux et ceux qui sont sur la terre sous un seul chef, le Christ (Eph. 1,10 ; cf. Gn. 1,27). (GS .45)
1.4: Les interventions des Conférences épiscopales : Gaudium et Spes
Le quatrième aspect du premier chapitre de ma thèse présente les diverses interventions des évêques. Ces interventions confortent l’engagement de l’Église envers les droits humains. Ils soutiennent l’acception intégrale de la femme à la vie de l’Église (§ 20: la dignité de la personne humaine). Les interventions retenues proviennent des 53e et 112e Congrégations générales du schéma De Ecclesia, plus spécifiquement Gaudium et Spes : l’Église dans le monde de ce temps ou Schema XIII.
1.4.1: de la théorie à la pratique : des femmes auditrices au Concile Vatican II
Afin de discerner ces premiers balbutiements qui nous conduiront en Église vers une ouverture plénière envers la femme, tel que demandé depuis Inter Insigniores, deux interventions spécifiques deviennent prémisses au possible dialogue. La présentation des prémisses permet alors la promotion du laïcat. On y découvre plus spécifiquement l’engagement envers la visibilité de la femme. Un premier engagement concret fait appel à l’acception de femmes "auditrices" au Concile Vatican II. Cette première intervention provient du cardinal Suenens, évêque de Malines-Bruxelles, et la deuxième atteste sa réception par le pape Paul VI. Le cardinal Suenens s’adresse aux membres de la 53e Congrégation générale. Son intervention concerne le schéma De Ecclesia, et plus spécifiquement son chapitre III (le peuple de Dieu et spécialement des laïcs.) Il leur demande d’accueillir aussi des femmes comme "auditrices", car souligne-t-il, elles représentent la moitié de l’humanité (DC1413 .1566). Cette demande sera reçue par le pape Paul VI. Le 8 septembre 1964, en la fête de la Nativité de la Vierge, le pape Paul VI célèbre la messe dans la grande salle des audiences à Castel Gandolfo, non seulement devant les religieuses du diocèse d’Albano, mais aussi devant les moniales cloîtrées. Dans son allocution, il déclare son appui à l’entrée des femmes, comme "auditrices" au Concile Vatican II :
Nous avons donné des instructions, dit-il, pour que quelques femmes qualifiées et pieuses assistent comme auditrices à plusieurs cérémonies solennelles et à plusieurs congrégations générales de la troisième session du Concile Vatican II, c’est-à-dire aux congrégations au cours desquelles seront discutées des questions pouvant intéresser particulièrement la vie de la femme. Nous aurons ainsi peut-être, présente dans un Concile œcuménique, une représentation féminine – peu nombreuse bien sûr, mais significative de façon symbolique – de vous religieuses, d’abord, et, ensuite, des grandes organisations féminines catholiques, afin que la femme sache combien l’Église l’honore dans la dignité de son être et de sa mission humaine et chrétienne. (DC1432 .1174)
Par la suite, diverses interventions au Concile seront entendues sur le schéma XIII, De Ecclesia, chapitre IV, § 20 : Dignité de la personne humaine. Concernant l’objectif de cette recherche, il est fondamental de saisir son sens profond, car elle suscite la reconnaissance de la femme dans la praxis ecclésiale, au nom même de cette dignité.
1.4.2: les interventions des évêques en faveur de l’intégration des femmes dans la praxis ecclésiale au nom même de la dignité de la femme
Lors de la 53e Congrégation générale sur le schéma XIII, De Ecclesia, chapitre IV, § 20 : Dignité de la personne humaine, plusieurs évêques donnent leur appui au texte proposé, dont voici le résumé : « cette dignité doit être reconnue à tous, sans distinction de race, de sexe ou de condition sociale. Il ne suffit pas qu’elle soit théoriquement respectée dans toute la vie. Beaucoup a été fait pour la promotion de l’homme, mais il s’en faut de beaucoup que les conditions de la vie actuelle en assurent toujours le respect. » (DC1432 .1174) Dans ce processus de mondialisation, les interventions des évêques parviennent de tous les continents : Amérique (Etats-Unis, Canada, Québec), Europe (Allemagne, Italie, France), Afrique. Ensemble, ils élargissent la perception de la promotion de l’humain en nommant spécifiquement la promotion de la "femme". À cet égard, une seule voix semble se faire entendre : la dignité de la femme et le respect de sa vocation. Afin d’éclairer quelque peu notre propos, neuf interventions épiscopales sont retenues dans le cadre spécifique de ma recherche. Elles seront brèves. Je conserverai plus spécifiquement ce qui concerne leurs perceptions du rôle de Marie, la mère du Seigneur et du rôle ecclésial des femmes. (DC1437 .1599-1600)
La première intervention concerne le titre du schéma XIII, § 20 : la dignité de la personne humaine et le caractère propre d’une vocation ecclésiale. Selon le cardinal Ritter de Saint-Louis, Missouri (États-Unis), nous devons considèrer la dignité de la personne humaine dans l’accueil et le respect de chaque individu et de sa vocation propre (cf. DC1437 .1592) La deuxième intervention demande toutefois d’indiquer clairement la dignité christique de la personne humaine. Selon Monseigneur Béjot, évêque de Reims, « le schéma De Ecclesia, chapitre quatrième, donne justement la première place à la personne humaine, à laquelle sont ordonnés tous les autres problèmes traités. Mais la dignité, poursuit-il, de la personne devrait apparaître à la lumière du Christ. … . C’est à la lumière du Christ que l’Église doit montrer la véritable nature et les dimensions sociales de la personne humaine et de sa dignité. » (DC1437 .1592) La troisième intervention provient du Canada. Un évêque québécois fait entendre un aspect spécifique. On peut attribuer à Mgr Coderre du diocèse de Saint-Jean, la reconnaissance de la "personnalité propre" de la femme. Désireux de lui attribuer sa véritable place à la tâche commune, il soutient son rôle spécifique : « jusqu’à présent, dit-il, la femme n’a encore pu remplir le rôle qui lui revient, mais nous sommes témoins d’une évolution, qui est un "signe des temps" et un progrès de l’humanité. L’homme et la femme sont non seulement complémentaires, mais ils possèdent chacun selon des modes divers, la totalité de la nature humaine. » (DC1437 .1593) La quatrième intervention provient de l’Allemagne. L’évêque allemand, Monseigneur Schick, touche l’un des points fondamentaux de la théologie balthasarienne et du ministère sacerdotal, tel que nous retrouverons au Synode des évêques de 1971 : l’"unité duelle" prophétique du ministère eschatologique, dans le Christ et l’Esprit. Il fait appel à l’actualité "de l’Esprit" et invite à une compréhension toujours plus grande des fondements doctrinaux et théologiques afin que la réforme ne soit pas perçue comme une nouvelle idéologie.(cf. DC1437 .1593) La cinquième intervention provient de l’épiscopat américain. Mgr Grutka qui fait appel à l’éthique et non à la discrimination. (cf. DC1437 .1595) Cette pensée sera confirmée de nouveau lors de la sixième intervention. Tout en énonçant trois des problèmes africains : le racisme, le tribalisme et la question fondamentale de la dignité de la femme, Mgr Malula (Afrique) décrit la problématique spécifique de son diocèse. Chez lui, le problème de la discrimination conduit à la non-réceptivité des valeurs émises par l’Église. Se référant à Ga. 3, 28, c’est en regard de l’intégralité de toute personne humaine qu’il fait entendre sa voix. Cette position est très importante, car elle permet de comprendre que de tous les continents, les pères conciliaires demandent une perception nouvelle du rôle de la femme : « dans l’Afrique d’aujourd’hui, dit l’évêque, il s’en faut de beaucoup plus pour que la femme jouisse de la même dignité que l’homme. On l’a dit souvent, l’évangélisation du monde a contribué partout à libérer la femme de la servitude, mais la conquête de la liberté parfaite est une œuvre de longue haleine. Qu’aujourd’hui donc l’Église élève la voix pour appeler tous les fidèles à l’achèvement de cette œuvre de haute civilisation entreprise depuis des siècles : la promotion de la femme à une pleine dignité humaine et une entière responsabilité. (…) La femme, affirme-t-il, n’est pas seulement une esclave, une servante, une pourvoyeuse d’enfants, mais une aide véritable et une compagne de vie » (DC1437 .1598). Confessant la dignité sans égale de la Mère du Fils de Dieu et vénérant Marie dans la communion des saintes, il évoque la maternité spirituelle de l’Église, selon la pensée du pape Jean XXIII. Dans ce passage de la théorie à la pratique, l’évêque Malula formule une proposition à laquelle, j’ai ajouté un "considérant" et un "nous proposons":
CONSIDÉRANT QUE :
1. Lorsque le Seigneur créa l’être humain, homme et femme, dans la même et égale dignité, pour que la femme soit pour l’homme non pas une esclave ou une servante, non pas simplement une pourvoyeuse d’enfants, non pas un instrument de plaisir, mais une aide et une compagne ;
2. Lorsqu’il daigna choisir parmi les filles des hommes la Bienheureuse Vierge Marie pour être la Mère de son Fils unique ;
3. Chaque jour encore, il suscite au sein de son Église, parmi le sexe faible, des exemples insignes de force et de sainteté.
NOUS PROPOSONS CE QUI SUIT :
QU’IL nous soit permis d’ajouter que l’Église elle-même donnerait à tous les peuples un exemple éclatant si, dans la famille chrétienne, abandonnant son antique méfiance envers les femmes, elle leur accordait maternellement une part plus large dans la tâche commune. (DC1437 .1598)
Terminant cette première partie des interventions, il est significatif pour nous de remarquer qu’avant de procéder à la deuxième partie des interventions épiscopales sur le chapitre IV (G.S.), le concile procédait au vote sur le chapitre VIII de la constitution dogmatique Lumen Gentium.
1.4.3: l’intégration de Marie au chapitre VIII de la constitution dogmatique Lumen Gentium
Afin de saisir l’importance des positions émises par Mgr Joseph Ratzinger (S.S.Benoît XVI) et par le théologien Hans Urs von Balthasar, il est important de saisir l’émergence de deux mouvements charismatiques au Concile Vatican II qui proviennent de la spiritualité et des théologies plurielles. Tout en vénérant Marie, les pères conciliaires perçoivent différemment l’intégration de son rôle au sein des constitutions conciliaires. Le célèbre vote marial de la Constitution dogmatique Lumen Gentium permet de dégager deux courants de pensée, tous deux charismatiques, mais cependant orientés différemment.
Lors de la 112e Congrégation générale, « Mgr Maurice Roy, archevêque de Québec, présente le texte du chapitre VIII du De Ecclesia (la Vierge Marie), amendé à la suite de l’examen en Congrégation générale. L’examen eut lieu au début de la troisième session du Concile. Les résultats du scrutin furent les suivants : votants : 2,091 ; placet 1559 ; non placet : 10 ; placet juxta modum : 521 ; nul: 1. » (DC1437 .1599; cf. MPE .21) L’assemblée conciliaire demande le vote sur la place de Marie dans la vie du Christ et de l’Église. Tout en étant reconnu par la majorité, son rôle dans la vie de l’Église suscite des divergences quant à son intégration dans la Constitution de l’Église. Selon les auteurs de Marie, première Église, le Cardinal Joseph Ratzinger (S.S.Benoît XVI) et le père Hans Urs von Balthasar, auteur de la trilogie, le vote montre pour la première fois, avec un rapport de 1114 à 1074 voix, un partage de l’assemblée en deux groupes presque d’égales grandeurs. De là jaillissent deux mouvements charismatiques qui devraient être considérés comme complémentaires. À cet égard, si une "intégration" s’imposait, elle ne devait pas être une absorption de l’un par l’autre. Dès lors, nous voyons poindre les difficultés d’Inter Insigniores. Inter Insigniores en indique la difficulté par des citations du XIII siècle. : « Bien que la bienheureuse Vierge Marie dépassât en dignité et en excellence tous les apôtres, répétera encore au début du XIIIe siècle le Pape Innocent III, ce n’est pas à elle, mais à eux que le Seigneur a confié les clefs du Royaume des Cieux ». (par. 12) De là découle l’importance de saisir en profondeur la pensée d’Hans Urs von Balthasar qui, en communion de pensée avec Madame Adrienne von Speyr, ne saurait dissocier le ministère de Pierre, du ministère d’amour de Jean et Marie. (CA)
En tenant compte des deux mouvements de pensée au sein de la vie de l’Église, l’étude de la trilogie balthasarienne devient alors essentiel, car elle traite spécifiquement de cette question. Pour ce qui me concerne, je crois fermement que ce ne serait que dans ce contexte qu’il nous sera permis de saisir les interventions et les tensions qui ont suivi au point de conserver le silence sur le rôle de Marie au sein de la constitution Lumen Gentium lors de la promulgation de la déclaration Inter Insigniores. Selon le Cardinal Joseph Ratzinger, on ne peut comprendre en fait la lutte conciliaire sans situer la problématique ecclésiologique qui sera reprise par Inter Insigniores, au sixième paragraphe de sa déclaration. À cet égard, il est fondamental de saisir ce partage entre ces deux positions ecclésiales :
En fait, on ne peut comprendre exactement la lutte de la première moitié du Concile – les débats à propos de la Constitution sur la liturgie, de la doctrine de l’Église et de la place exacte de la mariologie, de la Révélation, de l’Écriture, de la tradition et de l’œcuménisme – qu’à partir du rapport de tension entre ces deux forces. Dans toutes les discussions citées, se livrait, en arrière-plan de la conscience, mais réellement, une lutte à propos du rapport entre les deux courants charismatiques qui formaient en quelque sorte pour l’Église les "signes des temps" de l’intérieur. Le travail sur la Constitution pastorale devait ensuite amener la discussion sur les "signes des temps" affluant de l’extérieur. Dans ce drame, le célèbre vote du 29 octobre 1963 revêt la signification d’une ligne spirituelle de partage des eaux. La question qui se posait était la suivante : la mariologie devait-elle être présentée dans un texte indépendant, ou être intégrée dans la constitution sur l’Église ? (MPE/.20-21)
Dans le cadre du questionnement spécifique de ma recherche, j’aimerais introduire la pensée du Métropolite Antoine de Souroge, inscrite en préface du livre d’Elisabeth Behr-Sigel sur la question du Ministère de la femme dans l’Église, car elle souligne la question de l’intériorité d’une Église et cela, à l’intérieur même de la question sur l’admission des femmes au sacerdoce ministériel : « la question de l’ordination de la femme ne fait qu’être posée. Pour nous, orthodoxes, elle nous vient du "dehors". Elle doit nous venir " intérieure". Elle exige de nous une libération intérieure et une communion profonde avec la Vision et la Volonté de Dieu ». (Préface) Dans ce contexte, il s’agit donc d’effectuer une relecture des récits bibliques en tenant compte des "appels reçus" par nos contemporaines. En effet, comment considérer l’intériorité sans un regard de foi porté vers celles qui considèrent avoir reçu cet appel ? Dans le cas spécifique étudié dans cette recherche, celui-ci ne peut venir que par l’appel reçu par les femmes. Tel que le soutenait justement le père Édouard Hamel, s.j., à la Commission pontificale sur la Femme dans la société et la vie de l’Église, « il faut remarquer que la plupart des articles traitant de la question du ministère de la femme et de son rôle dans l’Église sont écrits par des hommes. Les femmes n’ont-elles rien à nous dire de cette question qui les concerne directement ? » (Dirke Donders/La voix tenace des femmes). Toutefois, il faut noter que depuis ce temps les femmes ont pris et prennent toujours parole.
1.4.4: les nouvelles interventions par l’épiscopat allemand
Au concile Vatican II, la prise de parole qui a suivi par un représentant de l’épiscopat allemand est fondamentale, car elle touche les aspects fondamentaux étudiés dans cette thèse doctorale. Elle corrobore la position de l’évêque de Reims, France, émise en 1.4.2. Lors de la 112e Congrégation générale, l’évêque allemand ne dissocie pas les aspects christologiques de son ecclésiologie : à la lumière du Christ et de la communauté. La position de l’évêque allemand est bien établie. Celui-ci constate que ce ne sont pas les dispositions légales qui ont conduit à la fin de l’esclavage dans le christianisme, mais la réalisation de la pleine acceptation de tout être humain par le Christ et les premières communautés chrétiennes : « Ni le Seigneur ni les apôtres n’ont directement combattu l’esclavage, malgré les conditions misérables dans lesquels se trouvaient les esclaves. Ils se contentèrent de prêcher la dignité royale du peuple de Dieu, la pleine liberté des fils de Dieu, rachetés de l’esclavage du péché, de la loi et de la mort. " Parmi les baptisés, il n’y a ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme. Vous êtes tous unis dans le Christ Jésus "(Ga 3, 26-29). » (DC1437 .1599) Selon cette perception, il nous est possible d’affirmer que la dignité de toute personne humaine, homme ou femme, grec ou juif, ne peut être perçue dans toute sa vérité qu’à la lumière du Christ et de la communauté. Tel sera l’apport du théologien Hans Urs von Balthasar, germaniste et théologien.
Dès lors, corroborant la position de la France, l’épiscopat allemand appelle le passage de la parole aux actes (Mater et Magistra, Pacem in Terris). En effet, la mission de l’Église ne concerne pas uniquement la Parole « dite », mais l’action de "Dieu qui se révèle" aussi “par” et “dans” l’agir des communautés chrétiennes. Nous pourrions dire avec Hans Urs von Balthasar que ces aspects sont indissociables (beau-bon-vrai). Sous ce regard éthique, nous croyons que la véritable liberté ne peut être atteinte que dans l’unité du ministère ecclésial dans le "Christ et l’Esprit" ("eschatologie"). Ce point spécifique sera développé au deuxième chapitre de ma thèse et dans les chapitres qui suivront. Pour l’évêque allemand, la question des droits des personnes ne provient pas uniquement des Constitutions établies par les États (O.N.U. et Chartre des Droits de l’Homme) mais elle nous parvient des fondements anglo-saxons (Magna Carta/Salisbury/1215) À cet égard, il encourage la liberté de recherche scientifique.
Malgré le vote marial entre les deux sessions, les interventions, constituant un apport envers la promotion des femmes au sein de la vie de l’Église, ne s’orientèrent pas vers la perception du rôle spécifique de Marie. Tout en étant fondées à la lumière du Christ et des premières communautés chrétiennes, les énoncés proposés correspondent davantage à la doctrine sociale de l’Église (Mater et Magistra, Pacem in Terris). La voix de Cologne (Allemagne) confirme cette orientation. Elle indique toutefois son désir d’approfondissement. Dans un premier temps, elle énonce le principe sociétal comme lieu de transformation de la vie de l’Église et sollicite l’attention envers les perceptions transformatrices des femmes : « beaucoup de femmes vivent dans un état de crise humaine et religieuse comme jamais on n’en a connu au cours de l’histoire ; elles ont plus que jamais besoin du soin pastoral de l’Église. Les temps changent, et la femme avec eux ! » (DC1437/1600) Cependant, son intervention devient plus percutante en deuxième partie: « l’Église, ajoute-t-il, ne peut ignorer ce phénomène mondial et elle doit effectivement lui donner la plus grande attention, faire connaître ouvertement sa pensée, chercher et proposer des directives pastorales nouvelles et adéquates ». (DC1437/1600) Dès lors, nous pouvons remarquer que l’évêque de Cologne ne fait pas qu’énoncer une critique de la situation (société et vie ecclésiale), il présente aux pères conciliaires trois propositions afin de donner parole ecclésialement aux femmes : « le changement de situation de la femme dans la société doit être expressément mentionné et reconnu ; il faut ajouter que l’Église entend étudier de près cette évolution et la promouvoir par les moyens à sa disposition ; il faut dire que l’Église espère que les femmes prendront elles même en charge leur propre développement avec responsabilité et assurance, de sorte que, en unissant leurs efforts, elles puissent défendre leur dignité personnelle de femmes, spécialement dans la vie publique, et exercer ainsi leur bonne influence dans la sphère entière de nos vies » (DC1437/1600).