PARTIE II: La mission ecclésiale et christologie de la Femme selon la trilogie balthasarienne
CINQUIÈME CHAPITRE: La "constellation christologique" des personnes théologiques selon la Dramatique divine (5 vol.)
La Dramatique divine, deuxième volet de la trilogie balthasarienne insère sous la "constellation christologique" des personnes théologiques la mission "personnelle" de Marie et des missions féminines. En ce lieu, Marie de Magdala et Marie de Béthanie sont associées à la constellation christologique masculine. J’ai retenu cet axe particulier car il définit avec acuité la "visée théologique" de l’œuvre balthasarienne, issue des "intuitions théologiques" et de l’oeuvre scripturaire de la co-auteure de son œuvre théologique, Madame Adrienne von Speyr (théologie et communauté/ISJ 5-9). Ce cinquième chapitre permet de vérifier comment Hans Urs von Balthasar présente le Dénouement de la Dramatique divine car celui-ci établit les sources vonspeyriennes de sa pensée. Dans ce volume, nous percevons davantage ce qui soutient sa prise-de-position positive envers la possible accession des femmes au sein du ministère sacerdotal (partie III). Bien que cet aspect fut présenté sous la dimension du service eschatologique et en spiritualité du prêtre (Synode des évêques, 1971), l’œuvre commune en révèle la profondeur. Son oeuvre constitue un véritable plaidoyer envers les missions spécifiques des femmes au sein du Nouveau Ministère sacerdotal (Nouvelle Alliance). Selon le père J.M.Faux, s.j., Hans Urs von Balthasar s’inscrit dans la lignée des grands théologiens de l’Église par la rare fidélité avec laquelle il assume le fardeau de la théologie (voir à ce sujet l’expérience qui la sous-tend: ISJ). Prenant appui sur une exceptionnelle connaissance de la Tradition, celui-ci construit son œuvre en tenant compte de la modernité et de ses interrogations existentielles.(NRT 97 435).
Dans cette deuxième partie consacrée à la mission ecclésiale et christologique de la femme, il devient alors possible de saisir la non-absraction de la femme dans sa perception des “personnes dans le Christ”. La "constellation christologique" développée par Hans Urs von Balthasar renouvelle notre perception de la femme sous la dimension trinitaire de l’Événement Jésus-Christ : doxa grecque, kabôd hébraïque (Ga 3, 28; cf. Gn 1, 27). En ce lieu théologique, la destinée des personnes humaines se vit comme un acte dramatique sur le théâtre du monde. Par son ouverture au monde, la Dramatique divine soutient la dimension eschatologique trinitaire du Serviteur de Yavhé (Mc 5,17; 15,34; Mt 27, 46; Is 49, 2-6; Ps 22, 10-11). Considérant la formation doctorale en littérature allemande de von Balthasar, la visée théologique de son œuvre contemple Jésus-Christ à partir des événements la fin, à la lumière du mystère pascal (F.X. Durwell). Le point de départ de la Dramatique divine concerne l’accomplissement de la Parole, Verbe de Dieu fait chair, Logos divin sous la dimension trinitaire du Crucifié-ressuscité. En ce lieu, apparaît l’unité duelle de l’homme et de la femme "en" Dieu et "dans" le Christ Jésus (Ga 3, 28; Gn 1, 27; Mc 5, 17; Mt 27, 46; Ps. 22, 10-11). Dès lors, le leitmotiv balthasarien "pour nous" devient l’un des éléments essentiels de cette pensée.
En quête des fondements du ministère ordonné pour une ouverture envers toute "personne" appelée au service du Christ et de son Église, ma véritable question tente de saisir le "comment" de la "chose". À cette fin, comment comprendre cette théologie nouvelle en regard de ce qui précède ? Et surtout, comment comprendre l’ecclésiologie et la thématique balthasarienne de la "tradition interrompue" démontrant son analyse critique d’Inter Insigniores? En ce lieu, apparaît le fiat fondamental de Marie au Dieu, un et trine. Désormais tournée vers la "constellation christologique", la Dramatique divine conforte la mission "personnelle" de Marie et des missions féminines. Le "document de travail" présenté au Synode des évêques sur le sacerdoce ministériel et la justice dans le monde ne fait-il pas appel à une relecture des fondements ministériels lorsque celui-ci imbrique en spiritualité du prêtre et sous la dimension eschatologique du ministère sacerdotal, l’attitude fondamentale du Christ Jésus envers Marie de Magdala ? Ces perceptions sont reprises dans la Dramatique divine sous l’"unité duelle" du corps et de l’âme, de l’homme et la femme, de l’individu et la communauté, deux entia en une seule esse, une existence en deux vies. (DD-PRII-I 318-334)
À cet égard, je ne peux ignorer cet aspect fondamental de la Dramatique divine lorsque je présenterai plus spécifiquement l’étude de la "femme prêtre " en troisième partie de cette recherche, car en ce lieu Marie sera reconnue comme "symbole réel d’Israël" (Mc 5,17; 15,34; Mt 27, 46; cf. Ps 22,2. 10-11; Jn 19, 30), comme première dans la mission avant les apôtres. Désormais située dans le “réel”, la féminité ne peut devenir qu’une simple analogie. La "constellation christologique balthasarienne" ouvre de nouveaux horizons lorsqu’au soir du samedi-saint, les personnes théologiques de la première et de la nouvelle Alliance sont associés dans l’Unique événement, Jésus-de-Nazareth (cf. Mt 5, 17; cf. op. cité). Dans ce contexte, si les véritables "colonnes" de l’Église semblent a priori masculines, en Pierre, Paul, Jean, Jacques (Ga 2,9 ; cf. Ac 3, 12), von Balthasar concentre notre attention vers la "constellation christologique" primitive biblique. Sous cette "constellation christologique", la fidélité de Marie et des femmes concernent la foi du peuple Israël, (Abraham et Sarah) « À son ombre, se tiennent les autres missions féminines, qui font partie également de cette "constellation christologique" primitive : celle de Marie de Magdala, se tenant au pied de la croix et reconnu comme l’annonciatrice du message de Pâques à l’Église officielle, et, encore plus profondément dans l’ombre, celle de Marie de Béthanie qui a choisi "la meilleure part". » (DD-PR II 224).
Afin de saisir l’éthique qu’engendre cette relecture de la Dramatique divine sous la constellation christologique des "personnes théologiques", je présenterai mon argumentaire selon l’ordre établi par Hans Urs von Balthasar. Pour cette deuxième partie, le cinquième chapitre suscite une attention particulière, car il intègre dans son argumentaire et non uniquement dans les annotations, les citations de plus de 40 volumes de la co-auteure de son oeuvre, Madame Adrienne von Speyr (2/3 du volume Dénouement). Six points fondamentaux me conduisent vers la dimension trinitaire du ministère sacerdotal, au sixième chapitre de cette recherche doctorale devenue réponse à ma quête personnelle (Théologique) .
5.1 : Les prolégomènes à la dramatique divine et la quête de l’actant
En première analyse, j’interrogerai les fondements qui ont conduit Hans Urs von Balthasar en collaboration avec Adrienne von Speyr vers la présentation de cette “théologie nouvelle” (De Lubac). Inspirés par la tragédie grecque, clé d’or du christianisme, les Prolégomènes de la Dramatique divine interrogent les grandes œuvres théâtrales d’Eschyle à Ionesco, les metteurs en scène et les acteurs. Toutefois, l’interrogation ne concerne pas tant le déroulement de l’œuvre que la pensée profonde de l’actant: comment l’actant perçoit-il le rôle qui lui est attribué ? À l’écoute des psychologues (Freud, Jung, Adler), des sociologues (Simmel), des philosophes (Fichte, Hegel, Schelling) et des grandes médiations (la figure royale, le génie, la loi individuelle, le principe dialogal) et finalement dans la relation Je-Tu, aspect fondamental de la pensée juive, une lumière laisse entrevoir une possible réponse. Cette lumière me dirige vers la question existentielle portée par Jésus-de-Nazareth : "qui suis-je?" ; qui dites-vous que je suis ? (Mt 8, 27; 16,15). L’entrée en scène de l’un devient question pour l’autre : « Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père ». (Jn 1, 14)
Tel que démontré au quatrième chapitre, cette quête d’éléments essentiels permet de recueillir le matériel nécessaire à son expression. Ces èléments essentiels sont proposés sous la constellation christologique primitive. Cette quête de sens retient le concept "théâtre" dans son ensemble : quelque chose est structuré comme représentation publique et qui, en définitive, est jouée entre l’acteur et le spectateur croyants. Nous sommes très près de la pensée métaphysique, lieu où l’acte de foi ne se vérifie que dans l’action de foi. Il faut rappeler que le beau ne saurait se dissocier du bien et du vrai. À cet égard, von Balthasar déplore le fait que la philosophie et la théologie ne se soient pas souciées du théâtre et tente de redonner à la théologie et à la philosophie ce qui en soi fait partie d’elle-même. En ce lieu, l’art peut favoriser la découverte du sens profond de sa propre vie. Par cette insertion du théâtre comme développement de la pensée, celle-ci permet de percevoir chez la personne qui entre en scène, soit une révélation sur elle-même et peut être encore plus, la Révélation réelle. Pour ma part, il n’y a qu’à penser à certains cinéastes contemporains présentant aux cinéphiles la Passion du Christ, le rôle "actif" de la Mère de Jésus-de-Nazareth et autres sujets parfois déconcertants. Par l’interaction entre l’acteur et les actants, les fondements de la grande tragédie grecque obligent à l’approfondissement d’un sujet particulier, telle la question posée dans cette thèse et qui concerne la place des ministères féminins au sein de la vie de l’Église ou plus spécifiquement de l’ordination de la femme au ministère sacerdotal. Par un regard autre tourné vers: (1) l’acteur, véritable prédicateur laïc ; (2) l’entrée en scène du théologien ou de la théologienne comme action voulue par Dieu ; (3) les nouvelles tendances théologiques favorisant l’interrogation vers un présent porteur d’avenir; c’est dans l’ici-maintenant que l’acte-action du christianisme se déroule. En lui, nous sommes appelés à redécouvrir « la bonté libératrice de Dieu » pour chaque être humain. Tel est le sens profond de cette constellation christologique primitive qui permet d’intégrer les missions féminines au coeur de la foi chrétienne et la mission de l’Église (Marie, Marie de Magdala, Marie de Béthanie).
5.1.1 : l’acteur, un prédicateur laïc
Le religieux se lit alors dans les œuvres des auteurs retenus par Hans Urs von Balthasar : Hegel, Nietzsche, Simmel, Marcel, Gouhier. En eux, il situe l’unification entre la philosophie et l’aspect cultuel de la tragédie grecque. Ces auteurs auraient traité du théâtre sous les aspects philosophiques du drame, de la représentation théâtrale, et spécialement de l’acteur? Le théâtre se veut ainsi une interprétation du monde. De là découle la perception de l’acteur comme prédicateur laïc chez Diderot. Poursuivant cette quête d’unification entre le théâtre et le religieux, von Balthasar soutient que Gaston Baty aurait disserté sur l’affinité de l’élément théâtral avec l’élément chrétien et spécialement de l’élément catholique (Mistères du Moyen Age), qu’il appelle aussi cathédrales dramatiques. Dès lors, celui-ci souligne que nées de la liturgie, elles ont atteint ainsi le peuple entier. Toutefois, tout en indiquant cette orientation spécifique, son intérêt est plus spécifiquement orienté vers le jeu de rôle. Le jeu de rôle conduit l’actant vers une réalité plus profonde. Dans ce contexte, il ne s’agit pas de passer directement du théâtral au théologique. Par une dialectique voilante et dévoilante (masque), son regard rencontre la personne elle-même. Par ce jeu qui transcende les frontières, l’acteur s’apprête à recevoir sur lui-même une révélation qui pourrait par analogie lui ouvrir une porte sur la vérité de la Révélation réelle.(DD-PR 9)
5.1.2 : l’entrée en scène de la théologienne, une "théologie en acte"
L'objectif fixé dans ma recherche ne saurait être détaché de cette intégration de l’être à l’étude qui guide sa pensée et qui concerne l’entrée en scène très contemporaine de la théologienne. Hans Urs von Balthasar détermine ce qui distingue et justifie le titre qu’il donne à la deuxième partie de sa trilogie, la dramatique divine. Il établit l’interrelation nécessaire entre le beau et le bon, sans quoi « l’acte même de la perception dans le beau et le glorieux demeure encore enfermée dans une statique qui n’est pas à la hauteur du phénomène. L’esthétique doit se renoncer et partir à la recherche de nouvelles catégories. » (DD-PR 15) L’expérience personnelle est fondamentale à la réception ecclésiale de cette quête. Selon ma perception, cette quête soutient l’actant dans sa propre démarche. Cependant, tout au cours de la recherche, la personne qui dit "théologie" arrivera à une statique qui ne sera dépassée selon von Balthasar que, si elle a d’abord “expérimenté” la dynamique de la Révélation comme événement, pour chercher, en se fondant sur elle, à explorer sa profondeur dans un effort toujours renouvelé, au lieu de la recevoir comme un produit inerte. Il conçoit cette réalité nouvelle sous le thème de l’"évolution-profondeur". Ma recherche peut témoigner en filigrane de l’acuité de cette pensée (voir annexe 1 et 11). La dramatique devient en quelque sorte quelque chose d’entraînant. Elle est une doctrine du mouvement qui permet le passage du spectateur ou de la spectatrice à la véritable mise en scène pourvu que la personne agisse. Tout comme l’acteur recevant son rôle des auteurs de la dramatique, l’introduction de la personne, de l’actant, dans le jeu divin tient à l’action de Dieu, elle ne la conditionne pas. Il s’agirait davantage alors d’une théologie de la “réception” qui chez Origène s’exprime par une "théologie en acte”. Dédicaçant la préface du livre Parole et Mystère chez Origène, le père Aidan Nichols, o.p. confirme cette attestation en se référant aux pères grecs, docteurs de l’Église. Tel aurait été l’enseignement des pères grecs, notamment celui d’Origène, auquel von Balthasar emprunte cette expression. En ce lieu, le Domaine de la Métaphysique devient explicite lorsqu’ils rappellent que les femmes, nouvelles docteures de l’Église, sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse d’Avila, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, ont toutes participé à l’évolution et à l’approfondissement de la vie de l’Église, de la tradition ininterrompue en théologie féminine (cf. 4.3.2.1.4).
5.1.3 : les tendances théologiques
Afin de répondre à l’action de Dieu au cœur du sujet, von Balthasar justifie en neuf points comment la dramatique théâtrale permet de découvrir la question éthique qu’elle sous-tend. C’est par ce point initial qu’il tente un déplacement vers l’ouverture du théologique à tout être humain, croyant ou non. Préoccupé par l’insertion du christianisme primitif dans un monde marqué par la diversité, von Balthasar tente de comprendre comment et pourquoi les premiers chrétiens ont témoigné de l’action de Dieu en Jésus-Christ. Par l’expression théâtrale de la dramatique, celui-ci ne s’engage pas dans une voie latérale qui détournerait du point central par l’introduction d’un élément de jeu théâtral dans le sérieux de la Révélation. Au contraire, par cette méthodologie nouvelle bien qu’issue de la pensée des pères grecs, la dramatique divine apporte un éclairage aux tendances théologiques qui occultent cette dimension pour une abstraction rationalisante. La dramatique permet l’imprévu, l’inédit, l’inattendu et porte la question du qui suis-je. En guise d’introduction, von Balthasar rappelle la révélation divine attestée par Abraham, Moïse, David, les prophètes et prophétesses, Jésus, les apôtres. (cf. DD-PR 20) En neuf points successifs, il nous guide vers l’acte-action qu’initie le drame divin au cœur de l’actant appelé à révéler cette proximité sur la "cène" du monde : (1) la dimension événementielle, (2) la dimension historique,(3) la dimension orthopraxique, (4) la dimension dialogale, (5) la dimension politique, (6) la dimension futuriste, (7) la dimension fonctionnelle, (8) le rôle, (9) la liberté et le mal.
5.1.3.1 : la dimension événementielle
La dimension événementielle de la dramatique divine provenant d’une réflexion à partir de l’événement Jésus-Christ permet à von Balthasar d’expliciter l’unité duelle de la croix du Christ, non plus uniquement à partir de notre contemporanéité, mais celui-ci va plus loin. Sous cette unité duelle, il cherche à établir le lien possible entre la pensée des premiers chrétiens (juifs ou païens) et dont la Croix du Christ en devient l’expression suprême (la croix, l’être-mort, le retour vers le Père). Pour von Balthasar, « la dimension événementielle, tel qu’exprimé par Barth et Bultmann, devient lieu où l’événement vertical ne dissout pas l’horizontal : la pièce est jouée par Dieu en son humanité et celui-ci fait irruption dans l’histoire de toute personne humaine. » (DD-PR 22) Cependant, par l’entrée en scène du sujet humain, un double aspect apparaît à la dramatique divine, celui de sa théophanie. Intégralement l’événement qui éclate dans sa forme descendante dans le cours de l’histoire intramondaine, et qui, comme tel, révèle à la fois la manière d’être du Dieu vivant et sa manière d’agir ; cette irruption verticale dans le temps, juge et sauve le monde en parole et en acte. Placé ou se plaçant sous cette parole agissante, le pécheur est justifié, l’humain déchu au cours des temps devient eschatologiquement un racheté, le sourd un entendant, le sans-Dieu un croyant, le rebelle un pratiquant de la parole. Confronté au rationalisme ambiant, von Balthasar fait de la catégorie de l’événement, un événement libérateur. Il ne s’agit plus d’un simple fait historique. La question fondamentale concerne ce "factualisme historique". « Elle intègre en lui l’émergence des signes des temps, la dimension de l’"heure" au drame divin s’opérant devant eux : "heure" qui n’est pas venue (Jn 2,4 ; 7,30 ; Tt 1,3) ; "heure" qui approche (Jn 12, 23 ; 13,1) ; "heure" qui s’accomplit au présent et au futur ; "heure " qui vient ; "heure" qui est déjà là (Jn 4, 23, 5, 25, 16, 32). » (DD-PR 21) Toutefois, je remarque une omission, omission qui apparaît aussi dans son texte de la haute dignité de la femme et que je dois pourtant découvrir par cette péricope johannique de l’enfantement : la femme enfantant l’"heure" venue, devient le "modèle du disciple" du Christ Jésus (cf. Jn 16, 21). Cette dimension, nous la retrouverons à la mort de Jésus en Mc et Mathieu si nous méditons dans son entièreté le Psaume 22 (Mc 15. 34; Mt 27, 46; cf. Ps 22, 2. 10-11; Jn 19, 28; Ps 22, 16)
5.1.3.2 : la dimension historique
La dimension historique permet alors à von Balthasar de déterminer ce qui conditionne le kairos ecclésial par une ouverture au présent de Dieu. Le kairos oblige une aperception nouvelle et appelle une nouvelle orientation. L’exigence de chaque instant est le valable, le vrai. De la morale de situation, on passe en droite ligne à la théologie de situation. Chaque moment de l’Église, avec ses exigences pressantes, mais aussi avec son angle de vision historiquement spécifié, ses formes de pensée et d’expression historiquement conditionnées, détermine de quelle manière l’absolu du salut peut aujourd’hui être vécu et exprimé valablement et exactement. Cependant, on ne peut avec le simple concept d’historicité saisir le trait distinctif par où la révélation biblique se détache comme figure unique de toutes les autres figures du monde et de la religion. À cet égard, celui-ci stipule que si le premier point "événementiel-vertical" englobe le premier, le second "l’historicité horizontale" englobe à présent le vertical dans l’événement Jésus-Christ. Afin de saisir davantage le lien entre l’histoire humaine et la Révélation de Dieu au sein de cette histoire particulière, il poursuit par l’aspect théâtral de la dramatique divine. Il fait appel au Dieu qui se révèle dans un temps particulier de l’histoire humaine. Dans l’inédit, c’est Dieu qui entre en scène dans l’histoire du monde. De là découle l’indissociabilité entre la philosophie et la théologie. Séparée de cette dramatique, une historicité théologique se dissoudrait d’une façon ou d’une autre, dans une philosophie pure et simple. Jésus lui-même a son temps, particulier, unique. Ce sera donc en tenant notre regard fixé sur la mort-résurrection qu’il deviendrait alors possible d’élargir la dimension salvatrice présente à l’humain intégral en l’incarnation du Fils. Le Dieu biblique est le Dieu qui s’engage dans l’histoire humaine et devient par son incarnation l’un des acteurs mêmes du drame humain. En ce sens, l’Heure advient en chaque temps particulier de l’histoire humaine. Comme point d’appui, von Balthasar rappelle les interrogations fondamentales de Hegel, Heidegger et Jonas : Hegel et l’esprit absolu ; l’être affecté par l’historicité d’Heidegger; l’humain intégral comme gardien du Dieu de l’Alliance chez Jonas; les chrétiens et les chrétiennes gardiens de la métaphysique (von Balthasar). En chaque temps particulier, les croyants et les croyantes sont appelés à répondre à l’appel et à la question actuellement posée. (cf. DD-PR 23-25)
5.1.3.3 : la dimension orthopraxique
En interrogeant cette dimension historique, nécessaire à tout dire de Dieu, von Balthasar intègre son esthétique à la dramatique divine, car celle-ci est éthiquement engagée dans notre histoire particulière par le passage de la théorie à la praxis. Dès lors, il rappelle que le christianisme fut trop longtemps perçu comme une théorie, une doctrine, une théologie non historique. Le Verbe de Dieu incarné, crucifié, ressuscité fut transformé en une doctrine non historique se distanciant alors du Logos grec. De là découlent les divergences religieuses. La chrétienté, divisée à l’excès, n’est plus, devant elle-même et devant le monde qui la regarde, digne de foi. Le scandale, dit-il ne peut être évacué par un surcroît de discussions théoriques, mais seulement par la praxis, qui est à la fois deux choses : marche décidée vers l’avenir par-delà les barrières funestes qu’élève la doctrine, et retour au vrai sens originel du fait chrétien. Dieu nous montre sa vérité dans l’action, dans l’amour de nos frères et sœurs. La dimension orthopraxique entraîne nécessairement alors le christianisme vers des horizons qui engagent notre contemporanéité; elle nous conduit vers la dimension dialogale de la foi biblique. (cf. DD-PR 25)
5.1.3.4 : la dimension dialogale
Afin de parvenir au discernement éthique, von Balthasar fait entrer le principe dialogal. Il fait alors appel à l’élément-clé de son interprétation théologique : la dimension eschatologique (2e chapitre). Le principe dialogal concerne les fondements mêmes du christianisme (Mt 5, 17). Ayant écrit sa trilogie à la période du concile Vatican II, von Balthasar retient la question du vide théologique. Il s’étonne de voir combien peu de place fut accordé jusqu’ici à la dimension dialogale. Nous voyons alors apparaître le Christ balthasarien inscrit au cœur même de son esthétique théologique. Seul l’amour est digne de foi. Au sein de Dieu existe le principe même. Dieu entre en relation avec l’histoire intrahumaine qui se dit dans le Christ Jésus. De là découle, la nécessité et l’urgence d’entrer en dialogue avec l’autre. Cependant, il ne s’agit pas uniquement d’un dialogue intrahumain. Ce dialogue est quelque chose de plus haut, qui dépasse les interlocuteurs et il peut se révéler : une donnée inconnue peut fournir la clé de leurs rapports ; une décision prise dans le silence qui créé l’aboutissement et dévoile l’origine cachée, croît et se transplante parfois dans un autre terrain. (cf. DD-PR 27-30)
5.1.3.5 : la dimension politique
Par le passage de la dimension dialogale à la dimension politique, von Balthasar revient au leitmotiv de sa dramatique divine : l’interrelation entre le religieux, le cultuel et le politique et l’effort situé dans le temps présent. Dans son effort de discernement, celui-ci déplore la disparition du principe dialogal au sein du christianisme, effort repris toutefois depuis Vatican II. Cependant, il en énonce les principes. L’attention à l’autre demande un véritable dialogue et non un retour vers un monologue anhistorique. Selon von Balthasar, la dimension dialogale tout comme la dimension politique ne doivent pas se retrancher en eux-mêmes. De l’Antiquité aux drames de Shakespeare et de Schiller, « les grands rôles ne sont pas là pour eux-mêmes, ils sont chargés de tout le poids du bien commun : rois, héros, capitaines, hommes d’État, révoltés représentent un ordre suprapersonnel, ou le mettent en question. Quand on fait à Jésus son procès, on l’interroge sur ses disciples et sa doctrine. La réponse est celle-ci : " J’ai parlé au monde au grand jour ; j’ai toujours enseigné à la synagogue et dans le Temple, où s’assemblent tous les Juifs ; je n’ai rien dit en cachette". L’Église est alors envoyée sur-le-champ du monde actuel. Cela engendre l’espoir d’une possible transformation. (cf. DD-PR 30)
5.1.3.6 : la dimension futuriste
La dimension futuriste porte en soi un déjà-là et fait appel au discernement. Tel François-Xavier Durwell, pour qui la lumière qui vient de la fin oriente la réflexion théologique, von Balthasar présente cette pensée à la lumière de la théologie johannique, principe fondamental de l’oeuvre commune. De là découle l’importance des pères grecs ! Par un regard de foi ouvert à la doxa grecque et au kabôd hébraïque, tous deux ne sauraient omettre l’événement Jésus de Nazareth, Verbe de Dieu et Logos divin. Évoquant alors ce déjà- là et ce pas encore, associé désormais aux nouvelles relations entre chrétiens, juifs ou païens, il se devient critique envers l’Église. Il invite au véritable dialogue inerreligieux entre le christianisme et ses fondements : « De quel droit, dit-il, l’Église rabaisse-t-elle le sentiment du monde qu’avaient les Gentils, cyclique, dépourvu de futur historique, au profit d’un futurisme introduit dans l’histoire par le judaïsme? Est-ce qu’une telle projection immédiate en avant n’est pas dépassée par la réflexion radicale du quatrième évangile sur l’eschatologie "au présent" dans l’événement Jésus-Christ? (cf. 3e chapitre). Celle-ci ne nous invite-t-elle pas tout au moins à prendre garde ? Et si elle devait, prise comme absolu, nous ramener à une eschatologie existentielle statique, où trouver alors le compromis entre le "déjà-là" et le "pas encore", tous deux chrétiens ? » (DD-PR 33) Cette partie de la dramatique divine est particulièrement intéressante car elle rappelle l’acuité de la question posée par Inter Insigniores. Comment comprendre le fait chrétien pour une ouverture à la question posée tout au long de ma recherche et qui concerne la véritable place de la femme au sein de la vie de l’Église ? Dès lors, apparaît la dichotomie entre la dimension fonctionnelle et le fonctionnalisme inconscient.
5.1.3.7 : la dimension fonctionnelle
La dimension fonctionnelle introduit la dichotomie entre le sens profond de la dimension fonctionnelle et le fonctionnalisme inconscient du sujet croyant omettant la dimension "dialogale" comme lieu d’échanges au sein d’une société ou d’une communauté de foi : le donner et le recevoir. À ce sujet, Hans Urs von Balthasar rappelle que dans l’ordre des personnes, la dimension "dialogale" fait éclater une certaine fermeture et substantialité gréco-cartésienne du sujet, pour lui attribuer comme fondement premier l’échange entre personnes du donner et du recevoir. Ce serait ce que veut faire le fonctionnalisme sur le plan sociologique déterminant ainsi l’expression spontanée par des règles du jeu dans la réciprocité et l’échange, émanant de la communauté. Selon von Balthasar, ce serait ainsi que le structuralisme de Lévi-Strauss se serait introduit avec une doctrine générale de relations entre les choses, pour ensuite prendre pour modèle fondamental la linguistique de Roman Jacobson. On se rapprocherait alors de l’inconscient de Freud, Jung et Marx. En évoquant ces auteurs, von Balthasar revient à l’objectif central de sa trilogie, l’esthétique théologique au cœur même de la dramatique divine. Il tente de démontrer le sens esthétique de la dramatique, car un système, qui absorberait en soi même l’histoire, aurait certainement un aspect non dramatique, mais serait plutôt esthétique. À cet égard, il rappelle les images esthétiques et surtout musicales de Lévi-Strauss : « la "partition" qui d’avance porte en elle l’axe du temps.» (DD-PR 35) Se référant à Paul Claudel qui évoquait la relation fonctionnelle entre tous les êtres, von Balthasar fait appel à la synchronie-diachronie du sens et du non-sens de Michel Foucault. Nous retrouvons cette pensée au premier volume de sa trilogie lorsqu’il évoque l’Autre et le Non-Autre. Toutefois, en évoquant le structuralisme de Lévi Strauss, von Balthasar ne tente pas un acte de récupération, mais il détermine ce qui permet d’ouvrir le dialogue vers un engagement éthique. Nous percevons alors l’interrogation d’Hans Urs von Balthasar pour qui l’Action vécue par Adrienne von Speyr ne saurait être détachée de sa théologie (voir Dénouement). Par un effort de compréhension du structuralisme de Lévi-Strauss, il soutient sa dimension esthétique : « en tenant compte de l’histoire, le structuralisme de Lévi-Strauss sera perçu non comme une dramatique, mais comme une esthétique. De là jaillit cette question décisive: « le fonctionnalisme paulinien du corps mystique de l’Église tire son pathétique du fait que les charismes sont d’une part distribués aux fidèles par Dieu ou par le Christ ou par l’Esprit Saint, mais d’autre part repris exclusivement en faveur de l’organisme ecclésial. » (DD-PR 37) De là découle, selon ma perception, cette nécessité d’unifier dans la personne du Christ, la foi de ceux et celles qui ont vécu ou vivent cette dimension dramatique de l’esthétique théologique et engagent par le fait même l’éthique. À cet égard, comment comprendre la grâce reçue par Adrienne von Speyr et comment comprendre les grâces reçues par les hommes et les femmes de notre temps ? Et comment, en même temps comprendre la révélation biblique comme doxa grecque et kaböd hébraïque? Pour von Balthasar, et cela est constant chez lui: « la grâce d’apercevoir un aspect particulier de la vérité révélée, qui était peut-être oubliée, ou trop peu considérée, par la moyenne de la communauté ecclésiale, révèle la mission ecclésiale de la personne ainsi marquée par la grâce divine ». (GC-ESTH 351) Nous découvrons ainsi que tout dialogue au sein du christianisme ou au sein du dialogue interreligieux ne peut dissocier les personnes qui portent cette grâce ecclésiale de la mission qu’elles reçoivent. Elles ne sont pas uniquement des messagères ou un peuple entre autres peuples, mais des personnes impliquées dans la révélation même du Christ Jésus, dans sa mort et sa résurrection, tel que le fait apparaître l’insertion du rôle de Marie de Magdala dans le "document de travail" du Synode des évêques (1971) cité au 2e chapitre de cette thèse (Jn 20, 18 ss.). Ces personnes font partie intégrante de la mission de l’Église. Tel le fait apparaître les dernières paroles de Jésus en Marc, Mathieu et Jean. Le Psaume 22, 2. 10-11 fait référence lorsque lu dans son entièreté à la matrilinéarité du peuple juif, lieu d’accomplissement des promesses en Jésus-de-Nazareth, Christ de la Foi.
5.1.3.8 : le rôle
Dans cette partie de l’analyse, von Balthasar touche l’un des points les plus fondamentaux pour une étude des fondements, appelé à révéler et à soutenir le rôle de la femme au sein de la vie de l’Église. L’allégorie théâtrale balthasarienne porte la question identitaire. Par un essai de compréhension entre le rôle de l’acteur et le sujet qu’il projète, le théâtre présente en même temps une certaine identification et oblige en même temps une distance avec le personnage. « Entre la sociologie et la psychologie oscille le problème du rôle et de la découverte, nettement apparenté à la fonction et dont le thème est aussi ancien que l’allégorie du théâtre pour la vie humaine et il contient implicitement toute la problématique insinuée par cette allégorie. En même temps, l’individu doit exercer sur le théâtre du monde une fonction déterminée qui lui est assignée de quelque part (par les circonstances ? par Dieu ? par lui-même ?), mais aussi, il n’est, pas identique à ce rôle, et pourtant pour demeurer lui-même, il doit s’identifier à lui. » DD-PR 37) À cet égard, je crois sincèrement que nous sommes obligés de reprendre en tout temps la question existentielle même du Christ Jésus : pour vous, qui suis-je ? Selon von Balthasar, cette question prend devant les métamorphoses technicisées une acuité plus forte aujourd’hui. Ici pointe, la nécessité de déterminer en théologie chrétienne, ce qui nous est particulier et ce qui nous distance. Aussi est-il fondamental pour le présent d’avenir du christianisme que la théologie chrétienne prononce la parole qui délivre. (cf. DD-PR 39)
5.1.3.9 : la liberté et le mal
Nous retrouvons en dernier lieu, la question de la liberté divine. Hans Urs von Balthasar fait de la question de la liberté et du mal, le dernier point de son analyse des tendances théologiques. Selon le théologien, « le thème évoqué serait devenu aujourd’hui autrement plus pressant que dans la théologie primitive ou médiévale. En ces lieux émergent les divergences entre les écoles théologiques. La considération de la gloire de Dieu conduit à la considération de son engagement libre dans l’aventure de la liberté des humains, de la liberté infinie et de la liberté finie. » (DD-PR 39) Toutefois, dans une recherche théologique qui traite de la question de l’intégration de l’homme et de la femme "en" Dieu et "dans" le Christ, ne pourrions-nous pas interpréter ces questions, dans le sens paulinien du terme, lieu où le oui ou le non à l’action révélatrice, engendrée dans l’acte de foi, demande accueil et réceptivité ecclésiale de part et d’autre ? En ce lieu nous parvient le oui ou le non paulinien. Ne devrions-nous pas écouter alors ce que signifie pour le peuple juif le lien indissociable entre l’aperception et sa réception pratique. Selon les penseurs juifs, « toute manifestation de la révélation ne se dit que dans l’éthique qu’elle engendre : on se met à l’écoute de la parole révélée qui énonce ses prescriptions. » (David Banon, LTP 55) De là découle l’importance de situer notre recherche. Ouverte à la liberté créatrice de l’Esprit, nous poursuivons en tentant de saisir les principaux éléments du deuxième volume de la Dramatique divine par un essai de compréhension du rôle particulier de l’homme et de la femme "en" Dieu, premier volet de la Dramatique divine balthasarienne.
5.2 : Les personnes du drame : l’homme et la femme "en" Dieu
Au deuxième volume de la Dramatique divine, Hans Urs von Balthasar indique d’une part, comment il passe de l’Esthétique à la Dramatique, et d’autre part, comment celle-ci est l’expression du drame humain interrompu au drame divin mené à son dénouement, dernier volume de la Dramatique. La vision englobante de la trilogie balthasarienne dépasse, en ce lieu, le simple "fait" historique qui a conduit au report de la question posée par Inter Insigniores, objet de notre thèse. L’anthropologie théologique balthasarienne n’écarte pas l’actant du sujet qui le détermine. Le point de départ venant de la fin du récit, von Balthasar nous indique le chemin par un "retour au centre", lieu où tout humain, homme ou femme, est convoqué depuis la création et tourné vers le Christ: dans le Christ, la personne créée à l’image et à la ressemblance du Dieu créateur redécouvre sa dignité (cf. G 3, 28; Gn 1, 27). L’anthropologie théologique n’est ni phénoménologique, ni logique (Hegel) ou formelle (traités de la grâce), mais dramatique. Dans ce deuxième volume de la Dramatique divine, intitulé l’homme en Dieu que je perçoit comme l’homme et la femme en Dieu, von Balthasar tente de répondre à la question fondamentalement contemporaine qui est essai de compréhension de l’humain, lequel est homme et femme, esprit incarné dans le monde, individu dans la société. Afin de saisir cet aspect fondamental selon la pensée balthasarienne, je retiens trois points spécifiques: (1) le point de départ de l’anthropologie théologique balthasarienne : l’événement pascal ; (2) Dieu se révèle avec la compréhension de l’humain (doxa grecque et kabôd hébraïque) ; (3) la dignité de toute personne humaine en Dieu.
5.2.1 : le point de départ de l’anthropologie théologique balthasarienne, l’événement pascal
Le point de départ provenant de la fin exprime le "fondamental" de la théologie balthasarienne : l’événement pascal (mort-résurrection). La dynamique de son œuvre le conduit irrésistiblement de l’Esthétique à la Dramatique, de la Dramatique à l’Esthétique (évidence subjective et évidence objective de l’expérience de foi). En suscitant des libertés finies, Dieu s’est lui-même engagé dans le drame. Le point de vue propre est de présenter l’intégralité de la personne humaine sous la dimension trinitaire en l’événement, Jésus-Christ. Toutefois, selon von Balthasar, il n’y aurait jamais de redite si ce n’est l’approfondissement d’un point particulier. Le dévoilement du "cœur" de Dieu, l’acte qui nous montre qui il est, ne s’opère jamais que dans le déroulement de son histoire avec l’humanité. Il n’y a d’anthropologie que dramatique (voir Dénouement). C’est la raison pour laquelle il ne peut être question d’en proposer le thème dans le cadre unique de l’esthétique théologique. De là, l’importance de la trilogie. Toutefois et c’est là sa spécificité. la dramatique qui s’élabore après la mise en place des prolégomènes littéraires, destinés à lui servir d’instrument disponible, est déjà une entreprise proprement "théologique" car elle concerne la visée théologique de son œuvre, fondamentalement unifiée sous la dimension trinitaire du salut dans le Christ Jésus. L’"auteur-actant" considère le caractère dramatique de l’existence à la lumière de la révélation biblique qui se trouve d’emblée au point de départ, bien que, dit-il, elle n’est pas le terme de la recherche puisque la question demeure toujours ouverte sur la liberté de Dieu. (DD-PDI 7, 10, 291)
5.2.2 : Dieu se révèle avec la compréhension de l’humanité (théologie des pères grecs)
À cet égard, l’expérience de foi engage non seulement la personne qui reçoit, mais elle favorise en même temps, une certaine compréhension de la nouveauté apparue "en" Jésus-Christ. À cette fin, une expérience vécue qui ne pourrait dévoiler son contenu ne servirait à rien. L’engagement entre Dieu et l’humanité doit conduire nécessairement à l’intelligence de la foi du sujet récepteur (voir Annexes 1 et 11). Tel est le sens profond de la dramatique, car, « la vision de Dieu, de l’univers et de l’humanité n’est pas une construction fondée sur la compréhension que la personne a d’elle-même; elle s’enracine dans le drame que Dieu met en scène avec l’univers et l’humanité, et où nous nous trouvons engagés comme partenaires. Loin d’être restrictive, une telle perspective qui s’ouvre, de la liberté finie vers la liberté infinie, s’avérera la plus large que l’on puisse avoir si elle se montre capable de déborder et d’intégrer tous les projets autonomes que l’intelligence humaine ait jamais pensés. » (DD-PDI 7. cf. 161-275) Le principe dialogal des Prolégomènes ouvre la dimension du réel, confrontant constamment la théologie la plus explicitement catholique avec la philosophie fondamentale et avec l’horizon plus large de la pensée surtout la pensée occidentale. On distingue alors deux champs d’action : le premier met en scène le rapport entre la foi et la culture et le second intègre l’histoire (Domaine de la Métaphysique). Dans ce lieu jaillissent les questions actuelles, les questions nouvelles. Von Balthasar nous invite alors à dépasser toutes les représentations qui ont existé au sujet de Dieu : « d’une part la mythologie, la cosmogonie et la perception de l’homme ; d’autre part une conception de la philosophie élevant Dieu tellement haut qu’il se désintéresse et se détache du drame humain. L’intérêt fondamentalement balthasarien concerne l’intégration de toute personne humaine sous la dimension trinitaire du salut en Jésus-Christ. » (DD-PDl 7. 876) Toutefois, pour atteindre cette compréhension, celui-ci ne fait pas abstraction de la philosophie. Il ne suffit pas alors d’affirmer une conviction profonde, mais bien de dévoiler son contenu. À titre d’exemple, il suggère la compréhension d’un spectateur ou d’une spectatrice qui verrait se dérouler le générique sans connaître le déroulement de la pièce. À quoi lui servira-t-il de connaître les noms et les rôles des personnages s’il n’en perçoit pas l’intrigue ? Dans cette perspective, ils chercheront, peut-être, à les repérer plus ou moins, mais ils n’apprendront rien du drame en lui-même ; ils ne pourront deviner ce qui va se passer. Tout au plus perçoivent-ils des relations sans contenu. Seule l’action leur dévoilera l’identité de chacun des personnages : non pas d’abord ce que celui-ci ou celui-là montrerait qu’il a toujours été, mais ce qu’il devient en agissant, en rencontrant d’autres personnes, en prenant ses propres décisions. En se référant à Newman, von Balthasar tient à spécifier que le christianisme est une histoire surnaturelle et presque un jeu scénique. Il nous dit qui est l’auteur en nous racontant ce qu’il a fait. Ceci est vrai a fortiori de l’homme et du cosmos, qui ont à devenir ce qu’ils sont. Cependant, celui-ci s’oppose à toute action prédéterminée, à toute théologie statique ou fixiste. Chez lui ,« le paradoxe de la "theologia" des pères grecs guide sa pensée: vouloir d’entrée de jeu déterminer les personnages apparaît pour lui, tout à fait contraire à l’essence du drame. Il réfute une théologie statique des essences où l’on se croirait autorisé, en doctrine trinitaire, en anthropologie et en christologie ou autre, à formuler des énoncés sur les êtres, avant que leur agir n’ait été déterminé (révélation de l’homme ou révélation de Dieu ?). » (DD-PDl 9) La théologie ne peut être en ce sens que théodramatique. Ouvert à la plénitude du Verbe, von Balthasar se distance d’un nouvel arianisme qui réfuterait l’incarnation du Verbe et la possibilité d’en révéler le Père. Selon cette pensée, « les pères cappadociens étaient capables de tenir, contre les ariens tardifs, les deux termes du paradoxe à la fois : d’une part, la distinction entre l’essence et les énergies en refusant ainsi l’impossibilité d’une représentation de Dieu par des représentations conceptuelles, et l’affirmation que la réalité de Dieu peut être reflétée en son Verbe, le Fils, en qui de toute éternité le Père s’est exprimé. Le dévoilement du "cœur de Dieu", l’acte qui nous montre réellement qui il est, ne s’opère que dans le déroulement de son histoire avec les personnes. » (cf. DD-PDl 10)
De là peut découler l’importance que j’apporte au rôle actif de la femme et à sa mission personnelle en Dieu, tout en n’ignorant pas la vision englobante développée dans la trilogie. Dès lors, je suis placée devant un fait remarquable. von Balthasar ne tente pas d’identifier l’essence des personnes humaines, selon un point de vue statique, il ouvre cette perception par une vision théologique fondamentalement offerte à toute personne. Chez lui, la théologie ne peut être que théodramatique. Sous cet aspect, la théologie balthasarienne ne peut évacuer ni la question de la femme, ni la dimension dialogale œcuménique et interreligieuse. Pour celui-ci, l’ “humain en Dieu”, masculin ou féminin, juif ou grec, ne peut être connue que dans son histoire, que dans le drame qui se joue entre elle et Dieu.
5.2.3 : l’égalité des personnes humaines en Dieu : l’existence duelle de l’humain
Ouvert à la réalité de toute personne humaine, Hans Urs von Balthasar spécifiera davantage cette pensée en intégrant l’existence “duelle” de l’humain qui n’est pas un dualisme. En ce lieu cette théologie nouvelle se réfère à la pensée antique, l’humain est alors considéré dans son intégralité. Cette pensée serait sous-jacente à toutes les perceptions qui se sont développées dans les commentaires juifs et chrétiens du second récit de la création : l’humain intégral, homme et femme, est façonné par les mains de Dieu à partir du limon préexistant, et gratifié des dons qu’il reçoit directement du souffle de la divinité. Telles seraient les pensées de Philon, d’Origène et de Basile. En ce sens, l’humain intégral, homme et femme, créé à l’image et à la ressemblance, comprend non seulement l’être collectif de l’humanité et sa limitation spatio-corporelle, mais aussi l’archétype de cette humanité qui apparaîtra à la fin, c’est-à-dire dans le Christ, en qui et pour qui tout a été créé et en lequel il y a l’homme et la femme comme manifestation de cette unité. Par l’incarnation du Verbe, ce que Dieu a ainsi en vue, c’est la réalité englobante de l’humanité qui, par rapport à l’espace et au temps est, à l’origine de l’histoire humano-divine . (cf. DD-PDl 318-333)
Tel que cité précédemment, les Prolégomènes tiennent en compte la dimension dialogale. Entrant en relation avec la pensée des pères grecs et plus spécifiquement avec Grégoire de Nysse, von Balthasar prend appui chez son ami Karl Barth, tout en apportant ses propres conclusions à la doctrine des pères grecs. Chez Barth, le récit de la Genèse concerne plus justement la relation homme-femme (GC-ESTH 325). Selon Barth, l’Ancien Testament ne se préoccuperait pas tant de la paternité ou de la maternité humaine, ni de la fondation de la cellule familiale, mais de la relation homme-femme en Dieu (Gn 1, 27; cf. Ps 22, 10-11). Par cette perception, la pensée biblique considérerait l’érotique bien plus au sérieux que toute la pensée grecque. Ce point est important pour Karl Barth, parce qu’il y voit une anticipation de la relation plénière du Christ et de l’Église, relation qui porte en elle et non à côté d’elle – toute fécondité. Cependant, von Balthasar propose une autre possibilité qui serait plus près de la pensée de Grégoire de Nysse pour qui le charnel ne concernerait non plus uniquement les rapports homme-femme mais l’écho atténué de l’idée plus haute de l’humain intégral. Cet humain intégral ne serait en définitive que le Corps du Christ, le plérôme remplissant tout. Sous cette perception, tout être humain, qu’il soit homme ou femme, est membre à part entière du Corps du Christ, dans son individualité et de manière personnelle (conscience de soi, être unique et liberté).(cf. DD-PDl 333-339)
À cet égard, la dramatique divine balthasarienne permet de faire évoluer la réflexion théologique envers la femme et le ministère sacerdotal. Nous retenons chez von Balthasar les pôles subjectifs de l’action dans le cadre spécifique de la Révélation. Par le passage de l’action au dénouement de celle-ci, la métaphysique des saints et des saintes permet d’établir la norme interprétative de la dramatique divine par l’attention au drame existentiel des individus (cf. la doctrine existentielle de sainte Catherine de Sienne). Dès lors est mis en valeur la proximité de Dieu avec l’existence humaine ; Dieu serait, selon cette perception, assez puissant pour construire à tout instant une œuvre nouvelle, une situation imprévue. Définissant la structure pour l’examen de la “preuve théologique”, von Balthasar soutient qu’on n’y parvient que dans la révélation. La révélation prise globalement obtient son centre d’unité dans le Christ, Parole définitive de Dieu (Retour au centre). De ce lieu provient la perspicacité de l’auteur envers les théologiens et les théologiennes de la modernité. Il alors serait possible que ceux-ci comprennent mieux les choses, en partant du sens que la modernité lui accorde, c’est-à-dire en acceptant sa perplexité devant la question du sens ultime de la vie. Celui-ci est convaincu que l’humain créé à l’image de Dieu perd tout ce qui serait aspect fixé et fixité objective, car, il ne peut y avoir de dichotomie entre la nature et l’esprit. Le critère décisif pour l’utilisation positive ou négative de cette nature surgit dans l’acte confié par le Créateur. La liberté infinie en Dieu permet à la liberté finie d’apprendre comment elle peut et doit se réaliser dans sa finitude et sa consistance de nature. À chaque étape de l’histoire humaine, l’essentiel est constamment présenté de nouveau et son développement ne saurait être linéaire puisque le centre est tourné vers l’infini et peut se dire en tous lieux. Le rôle du théologien et de la théologienne est de suivre pas à pas les jalons de la voie divine, d’épouser les lignes du modèle divin, en partant de l’unité pour aboutir à l’unité. Cette unité est l’expression trinitaire de Dieu. De là découle l’importance de poursuivre ce cheminement balthasarien qui nous conduit vers la communion des personnes dans le Christ. (cf. DD-PDl 209-234)
5.3 : les personnes du drame, les personnes dans le Christ
Présenté sous la thématique des personnes du drame : les personnes dans le Christ, le troisième volume de la Dramatique divine constitue un apport fondamental pour la thématique de ma thèse doctorale, plus spécifiquement par l’intégration des "missions" : personnelle de Marie et "féminines" de Marie de Magdala (annonciatrice de la Résurrection) et de Marie de Béthanie (modèle de la théologie), à la "constellation christologique" primitive des personnes théologiques. Dans ce volume, les questions les plus récurrentes sont traitées à fond et renouvelées ; le Christ est l’envoyé du Père et sa mission coïncide avec sa personne. La mariologie est ici partie prenante de la christologie : par Marie, la première chrétienne, la réponse humaine est esquissée. Elle est celle de l’Église, tirée des Juifs et des païens ; la lancinante question : qui est juif ? est abordée. Nous touchons en cela la perception fondamentale en théologie de l’in persona Christi, lieu où par sa valeur d’intégration, sous la constellation christologique, « les quatre "colonnes" de l’Église que sont Pierre, Paul, Jean et Jacques (Co 2,9; cf. Ac 3, 12) sont précédées par la "constellation christologique" primitive plus fondamentale dans laquelle la foi d’Israël provenant d’Abraham en Marie se rassemble pour la réception de la promesse définitive et par laquelle Jésus-Christ est mis au monde avec sa mission universelle. » (DD-PR 223-224) Confirmant la dimension eschatologique trinitaire comme révélation et accomplissement de la promesse, von Balthasar revient vers la dimension trinitaire proposée précédemment : « la Trinité, en elle-même et dans l’histoire, grâce à la double mission du Fils et de l’Esprit. » (cf. DD-PR 2 463-489)
Nous complétons ainsi les principaux éléments de la théologie classique, intégrés dans un premier temps aux volumes de la Gloire et la Croix et dont la Dramatique divine poursuit la démonstration. Par cette démonstration, je peux situer cette méthodologie de l’esthétique théologique (beau) comme lieu d’intégration à la dramatique (bon) et à la théologique. Celles-ci ne saurait s’en dissocier (vrai). Il devient possible de corroborer la pensée d’Origène pour qui la théologie est d’abord et avant tout une " théologie en acte ". À cet égard, est-il essentiel de noter que chez von Balthasar, l’eschatologie des fins dernières, n’est pas inaccessible au monde contemporain. Par une perception nouvelle, il confirme la nouveauté de la pensée qui émerge du concile Vatican II (ler chapitre) tout en réaffirmant l’ouverture offerte dans le "document de travail (2ème chapitre). Le concile Vatican II suscite une véritable révolution copernicienne par le lien rendu possible entre l’Antiquité, la première alliance et la nouvelle en Jésus-Christ qui se confirme dans la Métaphysique des saints et des saintes (3ème chapitre). À ce state-ci de cette réfexion, il est possible d’affirmer que l’Église concerne les Juifs et les païens. Le Christ en Son Église englobe l’humanité tout entière qui s’accomplit "en" et "par" le "oui" fondamental d’une femme, Myriam-Marie de Nazareth (cf. Ps 22, 2. 11-10). Cette pensée fondée sur la tradition vétérotestamentaire sera déterminante. La dimension eschatologique constitue la trame de fond. L’idée centrale de la deuxième partie de la Dramatique: les personnes du drame et l’homme en Dieu concerne la plénitude humaine : « Seulement le Christ, Verbe incarné comme unus de Trinitate, permet à tout être humain de devenir personne et personnage. En Lui, par sa Médiation Unique, la rencontre devient possible par le caractère unifié de sa personne. En ce lieu, le champ pour les autres personnes théologiques est ouvert, car il rend possible leur inclusion dans le Christ. La théologie de l’appel en constitue la prémisse.» (DD-PD2 418) Toutefois, von Balthasar creuse davantage cette relation entre la personne humaine et Dieu. Cette perception fut initiée par Grégoire de Nysse dans l’universalité du drame de la Croix : « Quiconque, dit von Balthasar, même en dehors du christianisme, veut briser son égoïsme étroit, et faire le bien pour l’amour du bien lui-même, reçoit une lumière qui lui indique un chemin qu’il peut et doit prendre, et qui apporte en même temps la révélation de la vérité et une vie plus vivante ». (DD-PD2 418)
Cette partie de la Dramatique divine présente en six axes les personnes du drame : les personnes dans le Christ : (1) les personnes théologiques; (2) la réponse de la femme et l’unité duelle de l’homme et de la femme; (3) la position christologique de la femme : de la personne individuelle à l’aspect social du nouveau Adam; (4) l’aspect personnel et l’aspect social de l’homme et de la femme (Marie, la Theotokos); (5) la réponse-réception de l’Église : le Christ Jésus, icône de la Trinité et icône de l’Humanité; (6) Marie, icône d’Israël et le ministère de Pierre.
5.3.1 : les personnes théologiques et la "constellation christologique" de la mission
Afin d’intégrer la personne dans le Christ à la dimension christologique et trinitaire de l’événement Jésus-Christ, Hans Urs von Balthasar présente la troisième partie du volume sous la thématique des personnes théologiques. Dans l’espace de jeu ouvert par le Christ, des sujets spirituels créés peuvent devenir des personnes théologiquement importantes, des partenaires de jeu dans le drame divin. Le principe étant posé, celui-ci évoque alors ce qui permet à l’être humain d’entrer en relation. Il perçoit dans l’élection, la vocation et la mission, l’espace qui confirme, grâce au Christ, la liberté de Dieu. Par l’acception libre de la mission reçue, la personne peut alors découvrir sa personnalité propre : l’élection, la vocation, la mission, venant du Dieu libre, dans le cas où elles sont acceptées et assumées librement, sont la chance suprême qu’a l’humain de se personnaliser, de prendre possession de son fondement propre ou de son Idée propre, qu’il ne pourrait trouver ailleurs. Toutefois, et c’est là un des aspects spécifiques de l’élection et de la mission, Dieu surgit et se donne. En ce lieu, la caractéristique de tous ceux et de toutes celles qui pénètrent ainsi en Christôi sur la scène théologique est que chez eux, contrairement à ce qu’on trouve dans le Christ, il n’existe aucune identité entre leur élection "éternelle" et leur vocation et mission "temporelle". Par ce don offert au milieu de leur vie quotidienne, les personnes de l’Ancienne et la Nouvelle Alliance sont surprises par une vocation inattendue et se voient "chargées" d’un rôle théologique. Dieu apparaît et invite des personnes qui en d’autres cas n’auraient pas été choisies; celles-ci se voient investies d’une mission. Von Balthasar énonce alors les divers rôles joués par les femmes: Sara, Anne, Élisabeth, Marie, Moïse, Jérémie. Il cite aussi Abraham qui à l’improviste doit quitter sa maison afin de réaliser le plan divin. Il en sera ainsi de toutes les vocations de disciples dans le Nouveau Testament. C’est pendant la pêche, le raccommodage des filets, au bureau de la douane, que retentit l’irrésistible "suis-moi ". Nous pouvons découvrir alors qu’il existe une analogie de l’élection, de la vocation et de la mission : d’une part entre l’élection de tout un peuple, que ce soit la Synagogue ou l’Église ou celui ou celle qui appartient au peuple entre dans l’espace de la vocation de l’individu; d’autre part, parmi le groupe des disciples, douze (apostoloi) seront choisis pour la mission évangélique. Von Balthasar associe alors à l’élection-vocation-mission de Jésus, l’élection-vocation-mission de tous ceux et de toutes celles qui "en lui" sont destinés à devenir des personnes théologiques. En ce lieu, il introduit la place prépondérante de Marie, tout en établissant « une différence entre la mission du Christ et les missions de la première alliance; elle est lieu d’une nouveauté pour Marie, en qui toute mission "personnelle" conduit la personne humaine à découvrir dans le Christ et par le Christ, sa vie d’union en Dieu. » (DD-PD2 215) Conformément au récit marcien (Mc 14, 62), le Christ balthasarien connaît son identité divine. De là découle sa liberté dans l’action:
La voix qui descend du ciel (bat quol) qui le désigne comme le Fils bien-aimé, lui révèle aussi peu qu’au Tabor ou au Temple (Jn 12,28) ce qu’il ne savait jusqu’à présent, tandis que le bat quol qui introduit Marie dans sa vocation et sa mission, lui dit quelque chose de parfaitement nouveau. Cela confirme que le renversement dans la vie de celui qui est appelé dans le Christ (ce qui s’applique aussi dans un sens large aux vocations de l’Ancienne Alliance) signifie un transport dans « l’espace de jeu » du Christ, un espace qui est comme tel depuis toujours ouvert dans sa personne. En ce sens non seulement temporel, mais aussi ontologique, le Baptiste peut dire : « Il est né avant que je fusse, il était avant moi» (Jn 1,30) et Jésus lui-même : « Avant qu’Abraham fût, je suis » (Jn 8, 58). Ce présent exprime l’identité immémoriale de sa conscience de personne et de sa conscience de mission. (DD-PD2 215)
Théologiquement, la mission de Jésus est unique. Du point de vue chrétien, la personne appelée découvre son identité propre en entrant au service de la mission reçue de Dieu en Jésus-Christ. « Pour tous et cela même pour Marie qui toutefois n’est pas soumise à la loi du péché; le fait de jouer dans l’espace de jeu du Christ consistera à faire passer la non-identité héréditaire. Cette marche à la suite du Christ, en qui règne l’identité fait entrer le sujet en une identité toujours plus proche de l’identité parfaite. De ce fait, il permet de faire coïncider le "Je" propre avec la mission donnée par Dieu. Tel est le fondement de l’identité propre offerte à l’homme ou à la femme. Ce qui oblige à tout quitter pour tout retrouver dans le seul accomplissement de la volonté du Père. » (DD-PD2 215)
Toutefois, je crois fondamental de m’attarder au sens profond du "tout quitter" pour accueillir la perception théologique nouvelle. Dans un premier temps, von Balthasar souligne la nécessité de percevoir le sens personnel de la mission : « les personnes vétérotestamentaires représentatives ne sont pas seulement des anticipations du Christ, qui achève leur mission d’une manière surabondante parce que supranationale et universaliste, mais aussi des anticipations de la possibilité, désormais donnée dans l’espace de jeu ouvert par le Christ, de recevoir une mission personnelle et par là, une mission sociale. » (DD-PD2 223) La mission ne peut alors qu’être différente de celle des personnes vétérostestamentaires dans la mesure où elles se tiennent à l’intérieur de l’espace marqué par la personne concrète, physico-pneumatique et de plus trinitaire, de Jésus-Christ, à la sacramentalité de laquelle elles participent d’une manière, à vrai dire, mystérieuse. En bref, dans ce "tout quitter", il nous faudrait peut-être comprendre une certaine perception du ministère sacerdotal uniquement réservé, jusqu’à nos jours, aux hommes seulement. Sur ce point, von Balthasar apporte une ouverture fondamentale en décrivant ce qu’il appelle "la constellation christologique" à laquelle, sans dichotomie, il inclut l’homme et la femme (de Marie à Jean, de Jean à Pierre). Cette pensée est fondamentale pour nous, car elle concerne la thématique de ma quête : ce qui signifie la mission spécifique de la femme au sein de la constellation christologique primitive. En premier lieu, il faut mentionner ce qui fut appelé "constellation christologique " : Pierre, sur le rocher duquel Jésus veut construire son Église, Paul, à qui est confié le vaste champ de l’apostolat des païens, le disciple bien-aimé, qui, lié si étroitement à Jésus et à Pierre, constitue un autre principe personnel de l’Église future, et (certes seulement complémentaire) Jacques, le frère du Seigneur, qui, opposé à Paul, incarne le principe "tradition" dans l’Église commençante. Ces quatre personnes théologiques qui sont considérées comme les véritables "colonnes" de l’Église (Ga 2,9; cf. Ac 3, 12), furent précédées par une autre plus fondamentale (…) dans laquelle la foi d’Israël provenant d’Abraham se rassemble pour la réception de la promesse définitive et par laquelle Jésus-Christ est mis au monde avec sa mission universelle : sa mère Marie (cf. Ps 22, 2. 10-11). Cette mission personnelle, qui se tient à la source de toute universalité intra-ecclésiale, est unique en son genre et englobe les missions ecclésiales nommées. À son ombre se tiennent les autres missions féminines qui font également partie de la "constellation christologique" primitive : celle de Marie de Magdala (…) se tenant au pied de la croix et l’annonciatrice du message de Pâques à l’Église officielle, et, encore plus profondément dans l’ombre, celle de Marie de Béthanie qui a choisi "la meilleure part". ( cf. DD-PD2 223-224) Sous l’unité duelle, von Balthasar nous invite à saisir davantage quoique sous un axe toutefois différent. Il s’agit de l’ouverture envers la reconnaissance de la "constellation christologique" primitive à laquelle sont intégrées les femmes, sans dichotomie à la "constellation christologique" de Pierre, Paul, Jean et Jacques.
5.3.2 : la réponse de la femme et l’unité duelle de l’homme et de la femme
La polarité homme-femme permet de découvrir les lieux qui jusqu’à nos jours ne furent que peu proposés à la réflexion chrétienne. Sous la thématique réponse, visage, Hans Urs von Balthasar présente la réponse de la femme. Il s’agit de l’attitude réceptive comme lieu christologique de la mission. Ici, la théologie de la réception prend tout son sens car elle se sait reçue de Dieu dans le Christ Jésus. Dans cette partie de la Dramatique divine, celui-ci développe la réciprocité lucanienne de l’homme et la femme. L’évangéliste Luc aurait été le premier à associer le rôle des femmes dans la mission du Christ Jésus. En ce lieu, dit-il, « l’homme (vir) Jésus-Christ intègre à l’avance dans son oeuvre l’humanité et son "oui de la femme". » (GC-NA 306) Par une ouverture envers la conception de l’être-homme (vir), von Balthasar remet toutefois en question la perception du Christ Jésus comme le "dernier Adam". Bien que cela puisse étonner, celui-ci ne saurait dissocier, sous cette perception, la dimension christologique de tout être humain dans le Christ Jésus. À cet égard, il identifie la féminité au Christ (épouse). Telle fut sa perception au premier volume de la trilogie, présenté sous les aspects esthétiques de la révélation divine (cf..4.1). L’hypothèse balthasarienne est la suivante : « si le Logos procède éternellement du Père, n’est-il pas en face de celui-ci (du moins quasi-) féminin? Et s’il est le "second Adam", ne doit-il pas aussi être vrai de lui qu’il reste un être inachevé, avant que Dieu ait formé la femme? C’est seulement, dit-il, lorsque Dieu créé la femme que la nature s’ouvre à lui avec une réponse appropriée : c’est l’os de mes os, la chair de ma chair. Celle-ci sera appelée femme (isha), car elle fut tirée de l’homme (ish) ». (DD-PD2 228) Dans le Christ, tous deux sont appelés à percevoir la plénitude de leur vie. La dramatique divine permet au théologien germaniste de définir la complexité de la réponse : « la femme comme réponse (Ant-Wort); dans le sens primitif "Ant " signifiant dans les langues indo-germaniques "gegen ; sens de "contre "(en grec "anti", en indien "ànti"…); soit dans le sens de vers (ancien saxon, ancien nordique, gothique "and"), si bien que les deux sens s’y trouvent contenus : vers quelque chose et opposition à quelque chose. » (DD-PD2 228) De là découle une autre hypothèse unifiant dans la réciprocité l’homme et la femme, l’être-en-relation, le vis-à-vis sans qui, ni l’un ni l’autre ne saurait exister pleinement. Von Balthasar reprendra cette ouverture dans son étude de la femme-prêtre. Je présente cet aspect en troisième partie de ma thèse. Cependant, la Dramatique divine ouvre de nouveaux horizons en intégrant la femme dans la plénitude de la foi, l’intelligence de la foi et la liberté de Dieu (4.4.2.6). Cette perception sera toutefois reprise en référence au second récit de la Genèse. En ce lieu, l’homme a de plus besoin de la femme pour entendre la Parole. Nous découvrons alors le sens profond de la réception, considéré comme attitude féminine (3e partie). En ce lieu, la rencontre ne peut s’effectuer que dans la réciprocité réceptive des personnes engagées dans le mariage; l’homme est alors invité à quitter son père et sa mère afin de devenir dans son union avec sa femme, une seule chair. La légende du paradis n’a pas d’autre moyen d’exprimer l’unité substantielle et l’égalité de parole et de réponse, l’unité duelle de l’homme et de la femme en Dieu et dans le Christ. (cf. DD-PD2)
5.3.3: la position christologique de la femme : de la personne individuelle à l’aspect social du nouvel Adam
Ayant présenté la polarité homme-femme, Hans Urs von Balthasar établit sa position christologique féminine. Son point de départ est le Christ comme représentant de la nature humaine (aspect terrestre) et de la dimension trinitaire (aspect supraterrestre). Théologiquement, ce ne serait que lorsque l’aspect terrestre (homme-femme) et l’aspect supraterrestre (Dieu-monde) s’unissent dans l’Homme Jésus-Christ qu’apparaît comme troisième point la position christologique de la femme. Comme premier point, von Balthasar considère l’importance de la relation "personnelle". Selon ce dernier, « ce ne serait que dans la mesure où l’homme Jésus-Christ est un homme individuel que la relation à la femme sera aussi une relation individuelle; la femme à laquelle il se rapporte est une personne déterminée.» (DD-PD 231) Toutefois, et cela est fondamental pour la participation de la femme à la mission du Christ et de l’Église, toute relation individuelle porte aussi en soi indissociablement son aspect social (sociologie). Dès lors, la femme participe dans le Christ Jésus à la représentation de l’humanité: « Dans la mesure où l’homme Jésus, Verbe de Dieu incarné, accomplit par son existence la mission du Père, il accomplit la réconciliation de toute la création divine avec Dieu (2 Co 5,19). L’"aide" à laquelle il est rapporté comportera nécessairement, comme représentation de cette humanité, féminine devant Dieu, un aspect social. Ces deux aspects ne pourront, comme le côté humain et le côté divin de Jésus-Christ, être ni simplement identiques ni séparés l’un de l’autre. » (DD-PD2 231) Pour von Balthasar, il est important de retenir ces deux aspects qu’il ne faut pas toutefois confondre. L’humanité du Christ Jésus (vir) ne peut se dissocier de l’"unité duelle", du féminin et du masculin. « En tant que Verbe de Dieu,, on ne peut dire qu’il reste incomplet sans complément féminin. Cependant, le Christ, en tant que "personne divine", en même temps, vrai homme, et cela, comme vir, et il a par là comme second et dernier Adam, une certaine analogie avec le premier. Ce qui débute par une légende s’achève en celui-là d’une manière surabondante : du côté (blessé) de celui qui sommeille (sur la croix) est tiré le visage répondant de la femme, dont l’homme (vir) ne peut se passer. » (DD-PD2 232)
5.3.4 : les prolégomènes à la mariologie : le fiat "personnel" de la Mère du Seigneur
Dans ses prolégomènes à la mariologie, Hans Urs von Balthasar exprime sa réserve envers une pensée qui établirait une dichotomie entre l’homme (monade) et la femme (dyade). Il se distance de la pensée "monade" de l’homme et le caractère de "dyade" de la femme qui fonde une certaine prééminence de l’homme. Von Balthasar nous entraîne vers ces nouveaux horizons qui permettent de percevoir le rôle de la femme d’une façon plus éclairée. « La femme, dit-il, ne peut alors être "réduite" à une formule claire et simple [cf. commentaires d’ Inter Insigniores]. Elle est un processus changeant (de l’épouse virginale à la mère de l’Église, de la personne qui répond à l’origine de la génération) : seul l’effort d’interprétation théorique des hommes (viri) cherche à figer ce flot en un principe rigide. » (DD-PD2 235). Ces principes s’entrelacent et ne peuvent être dissociés l’un de l’autre, la femme individuelle et la femme sociale ecclésiale. La mariologie et l’ecclésiologie comme fonctionnement dépendent de la christologie. Toutefois, la christologie balthasarienne étant inséparable de la sotériologie, le problème des sexes apparaîtra en elles d’une manière particulièrement aiguë : en face de l’homme, la femme est fiancée et épouse; en face de l’enfant, elle est mère. Cette dyade (dyas) est un facteur entraînant et constitutif. Von Balthasar se distance alors de l’appréciation grecque qui met la "monade masculine" au-dessus de la "dyade féminine". Cependant, et cela est fondamental chez lui, le point de départ de son analyse ne comprend pas uniquement l’aspect social de l’Église comme élément premier mais sa dimension christologique (Christ-Marie-Église). Nous retrouvons ces principes dès l’introduction de sa trilogie. (cf. DD-PD2 235)
Hans Urs von Balthasar poursuit sa réflexion en situant dans la dramatique interne les principes évoqués. À cet effet, les rôles théodramatiques ne peuvent apparaître que dans leur dramatique interne, personnelle et sociale. Chez lui, le rôle de la femme engage l’ecclésiologie. Énonçant le principe marial qu’il reprend dans Points de repère, celui-ci comprend l’historicité interne de la femme, qui a besoin de l’étendue temporelle pour passer d’une épouse qui conçoit à une mère qui enfante, nourrit et élève son enfant. Dans le cadre de cette transformation, celui-ci stipule qu’« une mariologie "concrète" ne peut pas se passer d’une partie simplement narrative, énonçant les épisodes de la vie de Marie dans les évangiles. Bien que ces épisodes puissent être éclairés en direction de leur contenu théologique et rapportés concentriquement au centre de sa mission, on ne peut renoncer en christologie à la contemplation des événements historiques particuliers. » (DD-PD2 236) Nous retrouvons alors ce qui constitue la visée théologique de son œuvre : la reconnaissance du titre de "Marie, mère de l’Église". Elle est présente dans son étude de la femme prêtre. Il y aurait semble-t-il une certaine unité à établir entre le général et le particulier, entre la féminité englobante de l’Église et le fiat personnel de Marie au sein de celle-ci (cf. Jn 19, 26-27). Von Balthasar évite toutefois de reconnaître le caractère uniquement englobant de Marie sans énoncer sa mission “personnelle” : « Que l’Église, dit-il, puisse devenir la mère des croyants au Christ, suppose depuis toujours que Marie a conçu et mit au monde le Messie. Il est donc légitime de lui attribuer le titre de "Mère de l’Église" . Mais de même que le Christ est venu pour servir, de même la maternité de Marie en face de son Fils et de son Église est un service purement désintéressé. Personne, dit-il, n’a exprimé cela d’une manière plus belle que le Syrien Ephrem, qui aperçoit en même temps la complexité du rapport de cette mère à son Fils ». (DD-PD2 233-234) Considérant l’indissociabilité entre l’esthétique théologique et la dramatique divine, nous ne pouvons ignorer le point de départ de cette réflexion christologique qui provient de l’aperception vonspeyrienne (la Mère et l’enfant). L’argumentaire balthasarien est fondé sur le dogme de Chalcédoine qui établit en Marie, la nature humaine du Fils de Dieu (la Théotokos). Par ce rapport réellement humain, le Verbe de Dieu redonne à l’homme ou à la femme, son aspect personnel et son aspect social tout en unifiant par elle et en elle, le lien entre l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance (Magnificat/Ps 22, 10-11; cf. Mc 15, 34 ; Mt 27, 46).
5.3.5 : le Christ Jésus, icône de la Trinité et icône de l’Humanité
Dans cette partie du volume consacrée à la réponse de la femme, Hans Urs von Balthasar introduit la dimension trinitaire et ecclésiale du Christ Jésus : le Christ Jésus comme icône de la Trinité et icône de l’Humanité. Il inscrit dans une foi commune, l’Antiquité et la modernité. Chez von Balthasar la réponse de l’Église du Christ doit nécessairement comprendre, en même temps l’ouverture au judaïsme et le monde païen (doxa grecque; kabôd hébraïque). En ce lieu, l’être créé se tient inéluctablement en face de Dieu et cette situation témoigne de la libéralité de Dieu qui remet irrévocablement à un autre la liberté de l’être-soi et le constitue justement par là comme image et ressemblance de Dieu. Von Balthasar perçoit « la séparation des sexes non pas dans une dichotomie, mais comme lieu de manifestation de leur immanence réciproque féconde. Mais qu’arrive-t-il, dit-il, quand tout cet ordre de la création devient le fondement de son accomplissement dans la rédemption du Christ Jésus qui, d’une part est image corporelle (sômatikos) essentielle (eikön) de Dieu et d’autre part, il récapitule en lui, l’unité de la création ? » (DD-PD2 273) Selon von Balthasar, la "réponse-réception" de l’Église confesse la dimension trinitaire de l’Événement Jésus-Christ, pour notre humanité, comme icône de la Trinité et en Dieu, comme icône du monde par sa nature humaine (cf. Chalcédoine). Il atteste le Dieu de l’histoire et pose les jalons pour une compréhension plus en profondeur de la tradition créatrice ininterrompue. De là, l’importance de bien saisir ce renouveau théologique: Chez lui, il existe un lien fondamental entre la foi et la culture qui, en même temps, apparaît comme la continuation de la Synagogue dans la perception qu’elle a d’elle-même, à ce moment précis de l’histoire humano-divine. D’une part, du Royaume de Dieu s’élargissant progressivement. D’autre part, la partie de l’humanité qui répond, en fait, à l’appel de Dieu dans le Christ, et peut ainsi collaborer comme "aide", d’une manière missionnaire à l’exécution de la missio du Christ. Pour un vivre ensemble harmonieux, le fil conducteur ne peut faire abstraction de la mission christologique qui en découle. cf. (DD-PD2 274). C’est seulement à partir de ces présupposés complexes qu’il devient possible de recherche le « Qui », la « Personne » de l’Église. (Qui est l’Église ?).
5.3.6 : Marie et le ministère de Pierre
Dans le clair-obscur de la mission, la question que sous-tend notre recherche comprend aussi la mission déterminante de la femme. Dans son étude de la femme-prêtre, Hans Urs von Balthasar présente Marie comme le symbole de la foi d’Israël. (NE-WP? 192) Le développement de sa Dramatique divine concerne alors la place déterminante de la femme au sein de la vie de l’Église. De là dépend, la « réponse-réception » de l’Église contemporaine. À cet effet, comment comprendre l’ouverture balthasarienne au Dieu de l’Alliance qui se montre, se donne et se dit dans le Christ Jésus: Hommes et femmes, à son Image, Il les créa!
Deux auteurs contemporains nous invitent à redécouvrir ces aspects fondamentaux. À cet égard, Hans Küng et Jürgen Moltmann nous indiquent une voie possible . « Retournez à Myriam, la mère juive de Jésus », écrit le théologien protestant Jürgen Moltmann. Le décret conciliaire Nostra Aetate fait référence à cette ouverture pour un dialogue interreligieux fructueux : Marie, la mère de Jésus et les apôtres ne participaient-ils pas ensemble au nouveau ministère de Jésus-de-Nazareth ? C’est pourquoi, je poserai cette question: Comment interpréter es dernières paroles de Jésus qui sur la croix reprend le Psaume 22? En 22, 10-11, ne peut-on pas y établir le sens profond de l’identité juive par la matrilinéarité? Toutefois, en théologie balthasarienne, l’Éternel Féminin devient lieu d’unification du monde. Cependant ce sera sous sa dimension trinitaire qu’elle est établi. Chez von Balthasar, la relation de Marie à l’Église donne corps au Verbe dans un double mouvement : l’un provenant de la grâce, l’autre du Fils de Dieu lui-même. Von Balthasar et Adrienne perçoivent la dimension trinitaire de toute personne humaine qui n’est pas absente de la dimension trinitaire de l’Église. Cette dimension trinitaire ouvre ces nouveaux horizons lorsque Marie prononce au nom de l’Église nouvelle, son fiat au Dieu, un et trine qui se dit en son fils (Jn 19, 26-27). En elle, s’accomplissent en même temps la mission "personnelle" de celle-ci et l’ouverture aux missions féminines. Toutefois et cela est fondamental chez von Balthasar, on ne saurait dissocier en ce lieu les missions féminines du ministère de Pierre. Pour von Balthasar, le caractère d’éternité s’inscrit dans la relation nuptiale entre l’homme et la femme, entre le Christ et l’Église mariale, johannique et pétrinienne. Par le dépassement de la sexualité, l’homme et la femme deviennent par le fait même deux figures d’un seul corps mystique. Désormais sous la dimension trinitaire de l’Église du Christ, l’unité de l’époux et de l’épouse sera indissolublement conjointe.(cf. DD-DN 438; cf. GC-ESTH, 509)
5.4: L’interprétation théologique, une théologie en acte
Le quatrième volume de la Dramatique divine s’intitule : l’Action. Cette thématique développée par von Balthasar entre au cœur du sujet, l’”action” comme possible interprétation théologique. Selon la philologie du langage, le mot choisi serait davantage : "péripétie". Elle est le virement de l’action (Handlung) dans le sens contraire. À la fin de la Dramatique divine, je percevais la nouveauté de la méthodologie balthasarienne qui surgit dans un événement surprenant, un dévoilement ou la reconnaissance éclatante d’un fait secret. Le “dénouement” est la résultante de la péripétie car elle intégre les récits scripturaires de Madame Adrienne von Speyr. Ces récits furents rédigés par von Balthasar sous la dictée de celle qu’il considère comme la co-auteure de son oeuvre, Madame von Speyr. Sous le signe de l’Apocalypse le théâtre pathétique du monde (Apoc 12, 1-2). Deux aspects de cette dramatique transforment l’histoire de l’humanité. Ils vous sont présentés comme suit : (1) l’Apocalypse comme action du Christ, une interprétation théologique ; (2) la préhistoire d’Israël et l’Évènement Jésus-Christ.
5.4.1 : l’Apocalypse comme action du Christ : une interprétation théologique
Selon le traducteur du livre en version française, C. Dumont, s.j., le mot " théâtre" est pris en son sens premier. Il serait le lieu où se déroule l’action qui révèle le pathétique de la vie actuelle, au plan horizontal de la scène du monde. En théologie classique, ce pathétique consiste dans le désir naturel, inassouvi, de voir Dieu. À cette fin, la Dramatique divine établit le point de rencontre entre la tragédie grecque et la péripétie du dénouement. L’Apocalypse n’est pas plus considérée comme un écrit qui établit un point final à la révélation ; il n’est plus perçu comme un prolongement des Actes des Apôtres ou une narration d’ensemble de l’histoire de l’Église et du monde. « Le langage apocalyptique entre intrinsèquement dans les images et devient lieu d’interprétation authentique. L’espace où se joue et se déroule le drame de l’Apocalypse, c’est le monde créé avec ce qui, dès l’origine (Genèse), le répartit entre ciel et terre. L’espace-temps joue dans l’Apocalypse un rôle décisif. De nombreux termes servent à le désigner, selon des nuances diverses : kairos, chronos, hêmera, hôra, aiôn. L’événement du Christ en est le seul centre. Il est l’Alpha et Omega, le commencement et la fin.» (DD-AC 15) Cet encadrement permet de découvrir non point à l’instar de saint Augustin dans la Cité de Dieu, le combat entre l’injustice et la justice, mais, les fondements johanniques de l’esthétique balthasarienne. Les visions apocalyptiques représentent les valeurs transformatives d’une société : charité, humilité, foi, progrès spirituel, œuvres, fidélité au Seigneur. Il ne s’agit pas d’une analyse de faits figés, mais d’une ouverture offerte en tout temps de l’histoire humano-dvine. En ce lieu, von Balthasr contemple dans toute sa splendeur (splendor) la liberté extrême en l’acte posé. Tout l’agir pathétique de cette créature libre allant vers la mort est placé sous le signe de l’Apocalypse et peut ainsi s’exercer "dans la passion de Dieu". Dans cette action extrême comme expression d’amour entre le Fils, le Père et l’Humanité, commence jusqu’à la fin du drame, en théologie unifiée balthasarienne et vonspeyrienne,, la bataille du Logos dans le temps que Jésus a instauré qui est devenu celui de son Église. En ce lieu le vaincu devient le vainqueur. Nous retrouverons sensiblement cette pensée dans l’étude de la dignité de la femme en troisième partie de notre thèse, lieu où la féminité dépasse la question de l’unicité de la femme mais le rôle particulier d’une femme nommée Marie comme représentante du peuple Israël (cf. Apoc., 12, 1-2) ; cf. Ps 22, 2. 10-11; cf. Mc 15, 34 ; Mt. 27, 46). En ce lieu ecclésial, le Logos devient l’archétype de l’homme et de la femme (Ga, 3,28 ; Jn 1, 14; cf. DD-AC 396 et ss.).
5.4.2 : La préhistoire d’Israël et l’universalité de l’événement Jésus-Christ
Enraciné au cœur de l’histoire, l’Événement Jésus-Christ possède en soi, sa préhistoire en Israël. Les années de décompte de l’histoire : avant et après Jésus-Christ sont fondés en théologie. Par une théologie de la récapitulation, l’entrée en scène du Christ lance non seulement la lumière vers l’avant, mais vers l’arrière en remontant jusqu’au commencement, comme dans la thématique de l’Ecclesia ab Abel. Au sommet de l’Action, quelque chose se trouve définitivement acquis. Bien qu’en première partie, Hans Urs von Balthasar se laisse emporter par l’Écriture (l’Apocalypse), la deuxième partie devient théologie de l’histoire car elle englobe l’ensemble de l’Humanité (Christ créateur/Christ rédempteur). À cette fin,je revisiterai avec ces maîtres les textes de l’Apocalypse. Pour une théologie de l’Histoire, nous devons « puiser dans la philosophie, la psychologie et la sociologie, dans les trésors de la littérature, de l’art et de la musique et intéresse ainsi toutes les disciplines. » (DD-AC postface) En ce sens, ceci permet d’établir un rapprochement avec la quête des éléments essentiels de la théologie classique (cf. I.I. 4-5) Le jeu qui se joue dans l’histoire fait apparaître l’interrelation entre la sainteté du contemplatif et et la visée théologique que son expérience et son interprétation sous-tend. Tous deux s’unissent dans un même acte, et caractérisent l’ensemble de la scène dramatique. Progressivement, l’ esthétique théologique intègre dans son devenir la philosophie et la théologie. Au cœur de l’Action apparaît la main du Maître et l’aperception de Madame von Speyr: « À la flagellation, il prend le péché de l’homme et de la femme sur son corps, qui devient un corps ‘universel’. » ( DD-PD2 193, note 20; cf. Nachlasswerke IX, 442). « La théologie, dit Origène, n’est-elle pas une théologie en acte ? (PMO 12) De là nous pouvons saisir la péripétie (tragédie grecque). Le Ressuscité est le Crucifié et celui-ci ne peut être perçu qu’en Dieu et sa dimension trinitaire (des événements de la fin à la genèse créatrice).
5.5: Le dénouement : la dimension trinitaire de l’événement Jésus-Christ
Le cinquième volume de la Dramatique divine s’intitule Le dénouement. Si le premier volume de cette Dramatique était anthropologique, le deuxième christologique, le troisième sotériologique, celui-ci présente la dimension trinitaire de l’Événement Jésus-Christ. Il est lieu de reconnaissance du don divin. Cette théologie nouvelle provient chez von Balthasar d’un lieu précis: les récits scripturaires de Madame Adrienne von Speyr. Les 2/3 du volume intègre, dans son argumentaire, les citations de plus de 40 volumes de Madame Adrienne von Speyr. Hans Urs von Balthasar n’occulte pas le rôle de la fondatrice, il la nomme explicitement. Dans cette péripétie de la fin, le dernier volume de la Dramatique divine décrit la visée théologique de la trilogie. Cependant, et cela est fondamental en théologie vonsperienne et balthasarienne, la trilogie retient les conseils de l’Aquinate (Thomas d’Aquin): les co-auteurs se sont efforcés de construire leur théologie sur les articles de foi et non inversement. Le point de départ comprend le Dieu qui se dit (Théologique) dans les événements de la fin, lieu où : la triple dimension de l’incarnation du Fils: a) sa fonction substitutive en notre faveur dans la Mort-Résurrection, b) l’envoi de l’Esprit dans l’Église apostolique; c) la communion des saints et des saintes dans l’ici-maintenant d’une histoire en constante évolution. En tenant compte des récits vonsepyriens, von Balthasr expose la question des fins dernières: la mort, le jugement et la destinée éternelle sont discernés à la lumière de la foi (don de l’Esprit au monde). Il s’agit de la question fondamentale posée tout au cours de cette traversée : la vie trinitaire de Dieu révélée en Jésus-Christ et non l’étude des trois personnes de la Trinité dans leur spécificité propre. Telle est la théologie nouvelle balthasarienne ! Fondamentalement christologique, von Balthasar prend appui sur l’exégèse de Johann Weiss. « Weiss aurait introduit une autre manière de parler de l’eschatologie et de son désir paradisiaque dans le judaïsme au temps de Jésus. L’exégèse de Weiss devient l’élément-clé pour la compréhension de l’eschatologie balthasarienne, car elle permet de concilier deux notions divergentes de l’eschatologie : le dogme et l’exégèse. » (DD-DN 13-14) Tentant de comprendre cet aspect spécifique qui peut susciter l’étonnement ; elle réclamera une sérieuse conversion de la pensée ainsi qu’un nouvel ajustement de la perspective. Trois thèmes permettront de poursuivre l’objectif fixé dans cette recherche doctorale; : 1) la prise de position théologique; 2) la vie humaine et la vie divine de l’être Jésus, Fils du Père; 3) la matrilinéarité juive en Marie et les dernières paroles de Jésus (Ga 4, 4-5; cf. Ps 22, 11-10).
5.5.1 : une prise de position théologique au sujet de Jésus
Dans ce cinquième volume, le dénouement ou dénouement du nœud de l’intrigue permet à Hans Urs von Balthasar de dégager deux accents principaux qui définissent la prise de position théologique au sujet de Jésus ; d’une part la conscience de Jésus et, d’autre part la conscience de l’Église primitive qui, dans sa foi au Christ, attribue à Jésus la conscience d’être le Messie d’Israël. Cette position théologique est bien affirmée dans la Nouvelle Alliance, même s’il en refusait le titre pour de bonnes raisons. En reconnaissant ce titre, le temps de la fin avait commencé pour Israël et pour les disciples de Jésus, fin qui concerne toujours la foi de l’Église du Christ. Toutefois, est-il fondamental de bien saisir la pensée théologique du volume. Ce n’est qu’en ne dissociant pas les deux pôles de l’Ancienne et la Nouvelle Alliance qu’il devient possible de percevoir le véritable sens de l’eschatologie des fins dernières en Jésus-de-Nazareth, Verbe de Dieu fait chair. À cet effet, on ne tente pas tant de déterminer le destin d’Israël, mais bien, la prise de position théologique au sujet de Jésus, Messie et Fils de Dieu. Cette fin sera liée à l’eschatologie personnelle de Jésus-Christ, même si, comme le veut saint Paul, finalement tout Israël doit être sauvé et avec eux, l’ensemble de l’humanité (doxa grecque ; kabôd hébraïque). On retrouve une fois de plus, au sein de cette pensée, la question fondamentale posée par Jésus à ses disciples avant sa passion: pour vous, qui suis-je ? Question toujours actuelle au cœur de tout sujet humain : la dramatique ne se joue-t-elle pas au cœur de l’action, dans le "présent" de Dieu ? Le temps apocalyptique se renverse à la verticale du fait que Dieu et désormais l’eschaton est présent au monde. Ce qui est dernier devient actuel. De ce fait, il nous est donc possible, et je le ferai, de poser la question de la femme au nom même de l’eschatologie des fins dernières, advenue et non actualisée au sein de la vie de notre Église. La péripétie est renversement historique, mais non pas révolution en Dieu, ce qui serait un mythe. (cf. C. Dumont, NRT 1161/994 730)
5.5.2 : la dimension trinitaire en l’humanité de Jésus, juif et Fils du Père
Par ce questionnement, nous découvrons la pointe des transformations conciliaires : « le statut de l’Église après le Christ en tant qu’Israël-de-Dieu et ouverture au dialogue interreligieux. (cf. Ga 6, 16) Quelques soient les connotations d’apocalyptique juive que l’on trouve encore dans bien des écrits néo-testamentaires, « l’accent principal, depuis Paul qui est le premier grand interprète de l’événement christique, ne porte plus sur le judaïsme, mais sur la condition chrétienne déterminée par le destin eschatologique de Jésus : les chrétiens et les chrétiennes confessent leur foi en la mort-résurrection ; par le baptême chrétien, ils attestent qu’ils sont morts et ressuscités avec lui. La loi de l’eschatologie englobante du Christ est une loi générale, même si tous ne le comprennent pas et continuent peut-être à s’en tenir, de manière anachronique, à l’attente judéo-apocalyptique de la fin. » (DD-DN 15) La perception du dénouement, présentée comme tragédie, réunit le Dieu souffrant de l’Ancienne Alliance à la tradition rabbinique. Sous cet aspect, la relecture est linéaire et révèle l’historicité de la foi d’Israël. Selon von Balthasar, « il ne faudrait pas toutefois considérer que les lamentations de Jésus sur Israël ne concerneraient que sa nature humaine. Cette souffrance révèle le cœur de Dieu, l’humanité de Dieu, l’auto-manifestation divine. » (DD-DN 194) Cette perception du dénouement comme drame trinitaire devient alors plus explicite car il ne dissocie pas la vie divine, de l’humanité du Fils. Ceci signifie que la vie divine et la vie humaine se compénétrent et ouvrent de nouveaux horizons par une ouverture au rôle de l’Esprit en cet acte même. Selon cette perception, Dieu le Père n’a pas créé le monde en dehors de lui. Cela signifie que l’incarnation du Fils peut être perçue dans sa dimension trinitaire (Créateur et Rédempteur). Autrement dit, « c’est le Dieu trine, en Jésus de Nazareth, qui est l’eschaton prédéterminant le monde et l’histoire. » (DD-DN 225)
Tout en révélant la vie du Christ, le drame de la « fin » permet de nous découvrir en Dieu. Par là, le récit paulinien tourne notre regard de foi vers notre propre réalisation. Avec Lui, par Lui et en Lui, hommes et femmes sont créés à son Image. (Ga 3, 28; Gn 1, 27) Telle est la grille de lecture fondamentale de l’oeuvre commune de Hans Urs von Balthasar et d’Adrienne von Speyr. Par cette interprétation théologique, il offre de nouvelles possibilités au dialogue interreligieux et aussi, de nouveaux horizons à la question posée par Inter Insigniores sur les critères d’accessibilité des femmes au sacerdoce ministériel. Sous la dimension trinitaire du Dieu de l’Alliance en Jésus, le Christ, toute personne créée n’est-elle pas invitée à "manifester" la foi qui l’habite et cela au cœur même de la liturgie eucharistique? « L’ultime résultante n’est pas encore accomplie, ni pour chacun, ni pour chacune, ni pour la totalité de l’univers. De là, le tragique et la dramatique de l’existence chrétienne présentée sous la constellation christologique des personnes théologiques » (DD-DN 225). En ce lieu, la mission " personnelle " de Marie et les missions féminines personnellement touchées par le Christ Jésus attestent la dimension trinitaire de sa mission salvifique (Ga. 3, 28 ; Gn. 1,27).
CINQUIÈME CHAPITRE: La "constellation christologique" des personnes théologiques selon la Dramatique divine (5 vol.)
La Dramatique divine, deuxième volet de la trilogie balthasarienne insère sous la "constellation christologique" des personnes théologiques la mission "personnelle" de Marie et des missions féminines. En ce lieu, Marie de Magdala et Marie de Béthanie sont associées à la constellation christologique masculine. J’ai retenu cet axe particulier car il définit avec acuité la "visée théologique" de l’œuvre balthasarienne, issue des "intuitions théologiques" et de l’oeuvre scripturaire de la co-auteure de son œuvre théologique, Madame Adrienne von Speyr (théologie et communauté/ISJ 5-9). Ce cinquième chapitre permet de vérifier comment Hans Urs von Balthasar présente le Dénouement de la Dramatique divine car celui-ci établit les sources vonspeyriennes de sa pensée. Dans ce volume, nous percevons davantage ce qui soutient sa prise-de-position positive envers la possible accession des femmes au sein du ministère sacerdotal (partie III). Bien que cet aspect fut présenté sous la dimension du service eschatologique et en spiritualité du prêtre (Synode des évêques, 1971), l’œuvre commune en révèle la profondeur. Son oeuvre constitue un véritable plaidoyer envers les missions spécifiques des femmes au sein du Nouveau Ministère sacerdotal (Nouvelle Alliance). Selon le père J.M.Faux, s.j., Hans Urs von Balthasar s’inscrit dans la lignée des grands théologiens de l’Église par la rare fidélité avec laquelle il assume le fardeau de la théologie (voir à ce sujet l’expérience qui la sous-tend: ISJ). Prenant appui sur une exceptionnelle connaissance de la Tradition, celui-ci construit son œuvre en tenant compte de la modernité et de ses interrogations existentielles.(NRT 97 435).
Dans cette deuxième partie consacrée à la mission ecclésiale et christologique de la femme, il devient alors possible de saisir la non-absraction de la femme dans sa perception des “personnes dans le Christ”. La "constellation christologique" développée par Hans Urs von Balthasar renouvelle notre perception de la femme sous la dimension trinitaire de l’Événement Jésus-Christ : doxa grecque, kabôd hébraïque (Ga 3, 28; cf. Gn 1, 27). En ce lieu théologique, la destinée des personnes humaines se vit comme un acte dramatique sur le théâtre du monde. Par son ouverture au monde, la Dramatique divine soutient la dimension eschatologique trinitaire du Serviteur de Yavhé (Mc 5,17; 15,34; Mt 27, 46; Is 49, 2-6; Ps 22, 10-11). Considérant la formation doctorale en littérature allemande de von Balthasar, la visée théologique de son œuvre contemple Jésus-Christ à partir des événements la fin, à la lumière du mystère pascal (F.X. Durwell). Le point de départ de la Dramatique divine concerne l’accomplissement de la Parole, Verbe de Dieu fait chair, Logos divin sous la dimension trinitaire du Crucifié-ressuscité. En ce lieu, apparaît l’unité duelle de l’homme et de la femme "en" Dieu et "dans" le Christ Jésus (Ga 3, 28; Gn 1, 27; Mc 5, 17; Mt 27, 46; Ps. 22, 10-11). Dès lors, le leitmotiv balthasarien "pour nous" devient l’un des éléments essentiels de cette pensée.
En quête des fondements du ministère ordonné pour une ouverture envers toute "personne" appelée au service du Christ et de son Église, ma véritable question tente de saisir le "comment" de la "chose". À cette fin, comment comprendre cette théologie nouvelle en regard de ce qui précède ? Et surtout, comment comprendre l’ecclésiologie et la thématique balthasarienne de la "tradition interrompue" démontrant son analyse critique d’Inter Insigniores? En ce lieu, apparaît le fiat fondamental de Marie au Dieu, un et trine. Désormais tournée vers la "constellation christologique", la Dramatique divine conforte la mission "personnelle" de Marie et des missions féminines. Le "document de travail" présenté au Synode des évêques sur le sacerdoce ministériel et la justice dans le monde ne fait-il pas appel à une relecture des fondements ministériels lorsque celui-ci imbrique en spiritualité du prêtre et sous la dimension eschatologique du ministère sacerdotal, l’attitude fondamentale du Christ Jésus envers Marie de Magdala ? Ces perceptions sont reprises dans la Dramatique divine sous l’"unité duelle" du corps et de l’âme, de l’homme et la femme, de l’individu et la communauté, deux entia en une seule esse, une existence en deux vies. (DD-PRII-I 318-334)
À cet égard, je ne peux ignorer cet aspect fondamental de la Dramatique divine lorsque je présenterai plus spécifiquement l’étude de la "femme prêtre " en troisième partie de cette recherche, car en ce lieu Marie sera reconnue comme "symbole réel d’Israël" (Mc 5,17; 15,34; Mt 27, 46; cf. Ps 22,2. 10-11; Jn 19, 30), comme première dans la mission avant les apôtres. Désormais située dans le “réel”, la féminité ne peut devenir qu’une simple analogie. La "constellation christologique balthasarienne" ouvre de nouveaux horizons lorsqu’au soir du samedi-saint, les personnes théologiques de la première et de la nouvelle Alliance sont associés dans l’Unique événement, Jésus-de-Nazareth (cf. Mt 5, 17; cf. op. cité). Dans ce contexte, si les véritables "colonnes" de l’Église semblent a priori masculines, en Pierre, Paul, Jean, Jacques (Ga 2,9 ; cf. Ac 3, 12), von Balthasar concentre notre attention vers la "constellation christologique" primitive biblique. Sous cette "constellation christologique", la fidélité de Marie et des femmes concernent la foi du peuple Israël, (Abraham et Sarah) « À son ombre, se tiennent les autres missions féminines, qui font partie également de cette "constellation christologique" primitive : celle de Marie de Magdala, se tenant au pied de la croix et reconnu comme l’annonciatrice du message de Pâques à l’Église officielle, et, encore plus profondément dans l’ombre, celle de Marie de Béthanie qui a choisi "la meilleure part". » (DD-PR II 224).
Afin de saisir l’éthique qu’engendre cette relecture de la Dramatique divine sous la constellation christologique des "personnes théologiques", je présenterai mon argumentaire selon l’ordre établi par Hans Urs von Balthasar. Pour cette deuxième partie, le cinquième chapitre suscite une attention particulière, car il intègre dans son argumentaire et non uniquement dans les annotations, les citations de plus de 40 volumes de la co-auteure de son oeuvre, Madame Adrienne von Speyr (2/3 du volume Dénouement). Six points fondamentaux me conduisent vers la dimension trinitaire du ministère sacerdotal, au sixième chapitre de cette recherche doctorale devenue réponse à ma quête personnelle (Théologique) .
5.1 : Les prolégomènes à la dramatique divine et la quête de l’actant
En première analyse, j’interrogerai les fondements qui ont conduit Hans Urs von Balthasar en collaboration avec Adrienne von Speyr vers la présentation de cette “théologie nouvelle” (De Lubac). Inspirés par la tragédie grecque, clé d’or du christianisme, les Prolégomènes de la Dramatique divine interrogent les grandes œuvres théâtrales d’Eschyle à Ionesco, les metteurs en scène et les acteurs. Toutefois, l’interrogation ne concerne pas tant le déroulement de l’œuvre que la pensée profonde de l’actant: comment l’actant perçoit-il le rôle qui lui est attribué ? À l’écoute des psychologues (Freud, Jung, Adler), des sociologues (Simmel), des philosophes (Fichte, Hegel, Schelling) et des grandes médiations (la figure royale, le génie, la loi individuelle, le principe dialogal) et finalement dans la relation Je-Tu, aspect fondamental de la pensée juive, une lumière laisse entrevoir une possible réponse. Cette lumière me dirige vers la question existentielle portée par Jésus-de-Nazareth : "qui suis-je?" ; qui dites-vous que je suis ? (Mt 8, 27; 16,15). L’entrée en scène de l’un devient question pour l’autre : « Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père ». (Jn 1, 14)
Tel que démontré au quatrième chapitre, cette quête d’éléments essentiels permet de recueillir le matériel nécessaire à son expression. Ces èléments essentiels sont proposés sous la constellation christologique primitive. Cette quête de sens retient le concept "théâtre" dans son ensemble : quelque chose est structuré comme représentation publique et qui, en définitive, est jouée entre l’acteur et le spectateur croyants. Nous sommes très près de la pensée métaphysique, lieu où l’acte de foi ne se vérifie que dans l’action de foi. Il faut rappeler que le beau ne saurait se dissocier du bien et du vrai. À cet égard, von Balthasar déplore le fait que la philosophie et la théologie ne se soient pas souciées du théâtre et tente de redonner à la théologie et à la philosophie ce qui en soi fait partie d’elle-même. En ce lieu, l’art peut favoriser la découverte du sens profond de sa propre vie. Par cette insertion du théâtre comme développement de la pensée, celle-ci permet de percevoir chez la personne qui entre en scène, soit une révélation sur elle-même et peut être encore plus, la Révélation réelle. Pour ma part, il n’y a qu’à penser à certains cinéastes contemporains présentant aux cinéphiles la Passion du Christ, le rôle "actif" de la Mère de Jésus-de-Nazareth et autres sujets parfois déconcertants. Par l’interaction entre l’acteur et les actants, les fondements de la grande tragédie grecque obligent à l’approfondissement d’un sujet particulier, telle la question posée dans cette thèse et qui concerne la place des ministères féminins au sein de la vie de l’Église ou plus spécifiquement de l’ordination de la femme au ministère sacerdotal. Par un regard autre tourné vers: (1) l’acteur, véritable prédicateur laïc ; (2) l’entrée en scène du théologien ou de la théologienne comme action voulue par Dieu ; (3) les nouvelles tendances théologiques favorisant l’interrogation vers un présent porteur d’avenir; c’est dans l’ici-maintenant que l’acte-action du christianisme se déroule. En lui, nous sommes appelés à redécouvrir « la bonté libératrice de Dieu » pour chaque être humain. Tel est le sens profond de cette constellation christologique primitive qui permet d’intégrer les missions féminines au coeur de la foi chrétienne et la mission de l’Église (Marie, Marie de Magdala, Marie de Béthanie).
5.1.1 : l’acteur, un prédicateur laïc
Le religieux se lit alors dans les œuvres des auteurs retenus par Hans Urs von Balthasar : Hegel, Nietzsche, Simmel, Marcel, Gouhier. En eux, il situe l’unification entre la philosophie et l’aspect cultuel de la tragédie grecque. Ces auteurs auraient traité du théâtre sous les aspects philosophiques du drame, de la représentation théâtrale, et spécialement de l’acteur? Le théâtre se veut ainsi une interprétation du monde. De là découle la perception de l’acteur comme prédicateur laïc chez Diderot. Poursuivant cette quête d’unification entre le théâtre et le religieux, von Balthasar soutient que Gaston Baty aurait disserté sur l’affinité de l’élément théâtral avec l’élément chrétien et spécialement de l’élément catholique (Mistères du Moyen Age), qu’il appelle aussi cathédrales dramatiques. Dès lors, celui-ci souligne que nées de la liturgie, elles ont atteint ainsi le peuple entier. Toutefois, tout en indiquant cette orientation spécifique, son intérêt est plus spécifiquement orienté vers le jeu de rôle. Le jeu de rôle conduit l’actant vers une réalité plus profonde. Dans ce contexte, il ne s’agit pas de passer directement du théâtral au théologique. Par une dialectique voilante et dévoilante (masque), son regard rencontre la personne elle-même. Par ce jeu qui transcende les frontières, l’acteur s’apprête à recevoir sur lui-même une révélation qui pourrait par analogie lui ouvrir une porte sur la vérité de la Révélation réelle.(DD-PR 9)
5.1.2 : l’entrée en scène de la théologienne, une "théologie en acte"
L'objectif fixé dans ma recherche ne saurait être détaché de cette intégration de l’être à l’étude qui guide sa pensée et qui concerne l’entrée en scène très contemporaine de la théologienne. Hans Urs von Balthasar détermine ce qui distingue et justifie le titre qu’il donne à la deuxième partie de sa trilogie, la dramatique divine. Il établit l’interrelation nécessaire entre le beau et le bon, sans quoi « l’acte même de la perception dans le beau et le glorieux demeure encore enfermée dans une statique qui n’est pas à la hauteur du phénomène. L’esthétique doit se renoncer et partir à la recherche de nouvelles catégories. » (DD-PR 15) L’expérience personnelle est fondamentale à la réception ecclésiale de cette quête. Selon ma perception, cette quête soutient l’actant dans sa propre démarche. Cependant, tout au cours de la recherche, la personne qui dit "théologie" arrivera à une statique qui ne sera dépassée selon von Balthasar que, si elle a d’abord “expérimenté” la dynamique de la Révélation comme événement, pour chercher, en se fondant sur elle, à explorer sa profondeur dans un effort toujours renouvelé, au lieu de la recevoir comme un produit inerte. Il conçoit cette réalité nouvelle sous le thème de l’"évolution-profondeur". Ma recherche peut témoigner en filigrane de l’acuité de cette pensée (voir annexe 1 et 11). La dramatique devient en quelque sorte quelque chose d’entraînant. Elle est une doctrine du mouvement qui permet le passage du spectateur ou de la spectatrice à la véritable mise en scène pourvu que la personne agisse. Tout comme l’acteur recevant son rôle des auteurs de la dramatique, l’introduction de la personne, de l’actant, dans le jeu divin tient à l’action de Dieu, elle ne la conditionne pas. Il s’agirait davantage alors d’une théologie de la “réception” qui chez Origène s’exprime par une "théologie en acte”. Dédicaçant la préface du livre Parole et Mystère chez Origène, le père Aidan Nichols, o.p. confirme cette attestation en se référant aux pères grecs, docteurs de l’Église. Tel aurait été l’enseignement des pères grecs, notamment celui d’Origène, auquel von Balthasar emprunte cette expression. En ce lieu, le Domaine de la Métaphysique devient explicite lorsqu’ils rappellent que les femmes, nouvelles docteures de l’Église, sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse d’Avila, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, ont toutes participé à l’évolution et à l’approfondissement de la vie de l’Église, de la tradition ininterrompue en théologie féminine (cf. 4.3.2.1.4).
5.1.3 : les tendances théologiques
Afin de répondre à l’action de Dieu au cœur du sujet, von Balthasar justifie en neuf points comment la dramatique théâtrale permet de découvrir la question éthique qu’elle sous-tend. C’est par ce point initial qu’il tente un déplacement vers l’ouverture du théologique à tout être humain, croyant ou non. Préoccupé par l’insertion du christianisme primitif dans un monde marqué par la diversité, von Balthasar tente de comprendre comment et pourquoi les premiers chrétiens ont témoigné de l’action de Dieu en Jésus-Christ. Par l’expression théâtrale de la dramatique, celui-ci ne s’engage pas dans une voie latérale qui détournerait du point central par l’introduction d’un élément de jeu théâtral dans le sérieux de la Révélation. Au contraire, par cette méthodologie nouvelle bien qu’issue de la pensée des pères grecs, la dramatique divine apporte un éclairage aux tendances théologiques qui occultent cette dimension pour une abstraction rationalisante. La dramatique permet l’imprévu, l’inédit, l’inattendu et porte la question du qui suis-je. En guise d’introduction, von Balthasar rappelle la révélation divine attestée par Abraham, Moïse, David, les prophètes et prophétesses, Jésus, les apôtres. (cf. DD-PR 20) En neuf points successifs, il nous guide vers l’acte-action qu’initie le drame divin au cœur de l’actant appelé à révéler cette proximité sur la "cène" du monde : (1) la dimension événementielle, (2) la dimension historique,(3) la dimension orthopraxique, (4) la dimension dialogale, (5) la dimension politique, (6) la dimension futuriste, (7) la dimension fonctionnelle, (8) le rôle, (9) la liberté et le mal.
5.1.3.1 : la dimension événementielle
La dimension événementielle de la dramatique divine provenant d’une réflexion à partir de l’événement Jésus-Christ permet à von Balthasar d’expliciter l’unité duelle de la croix du Christ, non plus uniquement à partir de notre contemporanéité, mais celui-ci va plus loin. Sous cette unité duelle, il cherche à établir le lien possible entre la pensée des premiers chrétiens (juifs ou païens) et dont la Croix du Christ en devient l’expression suprême (la croix, l’être-mort, le retour vers le Père). Pour von Balthasar, « la dimension événementielle, tel qu’exprimé par Barth et Bultmann, devient lieu où l’événement vertical ne dissout pas l’horizontal : la pièce est jouée par Dieu en son humanité et celui-ci fait irruption dans l’histoire de toute personne humaine. » (DD-PR 22) Cependant, par l’entrée en scène du sujet humain, un double aspect apparaît à la dramatique divine, celui de sa théophanie. Intégralement l’événement qui éclate dans sa forme descendante dans le cours de l’histoire intramondaine, et qui, comme tel, révèle à la fois la manière d’être du Dieu vivant et sa manière d’agir ; cette irruption verticale dans le temps, juge et sauve le monde en parole et en acte. Placé ou se plaçant sous cette parole agissante, le pécheur est justifié, l’humain déchu au cours des temps devient eschatologiquement un racheté, le sourd un entendant, le sans-Dieu un croyant, le rebelle un pratiquant de la parole. Confronté au rationalisme ambiant, von Balthasar fait de la catégorie de l’événement, un événement libérateur. Il ne s’agit plus d’un simple fait historique. La question fondamentale concerne ce "factualisme historique". « Elle intègre en lui l’émergence des signes des temps, la dimension de l’"heure" au drame divin s’opérant devant eux : "heure" qui n’est pas venue (Jn 2,4 ; 7,30 ; Tt 1,3) ; "heure" qui approche (Jn 12, 23 ; 13,1) ; "heure" qui s’accomplit au présent et au futur ; "heure " qui vient ; "heure" qui est déjà là (Jn 4, 23, 5, 25, 16, 32). » (DD-PR 21) Toutefois, je remarque une omission, omission qui apparaît aussi dans son texte de la haute dignité de la femme et que je dois pourtant découvrir par cette péricope johannique de l’enfantement : la femme enfantant l’"heure" venue, devient le "modèle du disciple" du Christ Jésus (cf. Jn 16, 21). Cette dimension, nous la retrouverons à la mort de Jésus en Mc et Mathieu si nous méditons dans son entièreté le Psaume 22 (Mc 15. 34; Mt 27, 46; cf. Ps 22, 2. 10-11; Jn 19, 28; Ps 22, 16)
5.1.3.2 : la dimension historique
La dimension historique permet alors à von Balthasar de déterminer ce qui conditionne le kairos ecclésial par une ouverture au présent de Dieu. Le kairos oblige une aperception nouvelle et appelle une nouvelle orientation. L’exigence de chaque instant est le valable, le vrai. De la morale de situation, on passe en droite ligne à la théologie de situation. Chaque moment de l’Église, avec ses exigences pressantes, mais aussi avec son angle de vision historiquement spécifié, ses formes de pensée et d’expression historiquement conditionnées, détermine de quelle manière l’absolu du salut peut aujourd’hui être vécu et exprimé valablement et exactement. Cependant, on ne peut avec le simple concept d’historicité saisir le trait distinctif par où la révélation biblique se détache comme figure unique de toutes les autres figures du monde et de la religion. À cet égard, celui-ci stipule que si le premier point "événementiel-vertical" englobe le premier, le second "l’historicité horizontale" englobe à présent le vertical dans l’événement Jésus-Christ. Afin de saisir davantage le lien entre l’histoire humaine et la Révélation de Dieu au sein de cette histoire particulière, il poursuit par l’aspect théâtral de la dramatique divine. Il fait appel au Dieu qui se révèle dans un temps particulier de l’histoire humaine. Dans l’inédit, c’est Dieu qui entre en scène dans l’histoire du monde. De là découle l’indissociabilité entre la philosophie et la théologie. Séparée de cette dramatique, une historicité théologique se dissoudrait d’une façon ou d’une autre, dans une philosophie pure et simple. Jésus lui-même a son temps, particulier, unique. Ce sera donc en tenant notre regard fixé sur la mort-résurrection qu’il deviendrait alors possible d’élargir la dimension salvatrice présente à l’humain intégral en l’incarnation du Fils. Le Dieu biblique est le Dieu qui s’engage dans l’histoire humaine et devient par son incarnation l’un des acteurs mêmes du drame humain. En ce sens, l’Heure advient en chaque temps particulier de l’histoire humaine. Comme point d’appui, von Balthasar rappelle les interrogations fondamentales de Hegel, Heidegger et Jonas : Hegel et l’esprit absolu ; l’être affecté par l’historicité d’Heidegger; l’humain intégral comme gardien du Dieu de l’Alliance chez Jonas; les chrétiens et les chrétiennes gardiens de la métaphysique (von Balthasar). En chaque temps particulier, les croyants et les croyantes sont appelés à répondre à l’appel et à la question actuellement posée. (cf. DD-PR 23-25)
5.1.3.3 : la dimension orthopraxique
En interrogeant cette dimension historique, nécessaire à tout dire de Dieu, von Balthasar intègre son esthétique à la dramatique divine, car celle-ci est éthiquement engagée dans notre histoire particulière par le passage de la théorie à la praxis. Dès lors, il rappelle que le christianisme fut trop longtemps perçu comme une théorie, une doctrine, une théologie non historique. Le Verbe de Dieu incarné, crucifié, ressuscité fut transformé en une doctrine non historique se distanciant alors du Logos grec. De là découlent les divergences religieuses. La chrétienté, divisée à l’excès, n’est plus, devant elle-même et devant le monde qui la regarde, digne de foi. Le scandale, dit-il ne peut être évacué par un surcroît de discussions théoriques, mais seulement par la praxis, qui est à la fois deux choses : marche décidée vers l’avenir par-delà les barrières funestes qu’élève la doctrine, et retour au vrai sens originel du fait chrétien. Dieu nous montre sa vérité dans l’action, dans l’amour de nos frères et sœurs. La dimension orthopraxique entraîne nécessairement alors le christianisme vers des horizons qui engagent notre contemporanéité; elle nous conduit vers la dimension dialogale de la foi biblique. (cf. DD-PR 25)
5.1.3.4 : la dimension dialogale
Afin de parvenir au discernement éthique, von Balthasar fait entrer le principe dialogal. Il fait alors appel à l’élément-clé de son interprétation théologique : la dimension eschatologique (2e chapitre). Le principe dialogal concerne les fondements mêmes du christianisme (Mt 5, 17). Ayant écrit sa trilogie à la période du concile Vatican II, von Balthasar retient la question du vide théologique. Il s’étonne de voir combien peu de place fut accordé jusqu’ici à la dimension dialogale. Nous voyons alors apparaître le Christ balthasarien inscrit au cœur même de son esthétique théologique. Seul l’amour est digne de foi. Au sein de Dieu existe le principe même. Dieu entre en relation avec l’histoire intrahumaine qui se dit dans le Christ Jésus. De là découle, la nécessité et l’urgence d’entrer en dialogue avec l’autre. Cependant, il ne s’agit pas uniquement d’un dialogue intrahumain. Ce dialogue est quelque chose de plus haut, qui dépasse les interlocuteurs et il peut se révéler : une donnée inconnue peut fournir la clé de leurs rapports ; une décision prise dans le silence qui créé l’aboutissement et dévoile l’origine cachée, croît et se transplante parfois dans un autre terrain. (cf. DD-PR 27-30)
5.1.3.5 : la dimension politique
Par le passage de la dimension dialogale à la dimension politique, von Balthasar revient au leitmotiv de sa dramatique divine : l’interrelation entre le religieux, le cultuel et le politique et l’effort situé dans le temps présent. Dans son effort de discernement, celui-ci déplore la disparition du principe dialogal au sein du christianisme, effort repris toutefois depuis Vatican II. Cependant, il en énonce les principes. L’attention à l’autre demande un véritable dialogue et non un retour vers un monologue anhistorique. Selon von Balthasar, la dimension dialogale tout comme la dimension politique ne doivent pas se retrancher en eux-mêmes. De l’Antiquité aux drames de Shakespeare et de Schiller, « les grands rôles ne sont pas là pour eux-mêmes, ils sont chargés de tout le poids du bien commun : rois, héros, capitaines, hommes d’État, révoltés représentent un ordre suprapersonnel, ou le mettent en question. Quand on fait à Jésus son procès, on l’interroge sur ses disciples et sa doctrine. La réponse est celle-ci : " J’ai parlé au monde au grand jour ; j’ai toujours enseigné à la synagogue et dans le Temple, où s’assemblent tous les Juifs ; je n’ai rien dit en cachette". L’Église est alors envoyée sur-le-champ du monde actuel. Cela engendre l’espoir d’une possible transformation. (cf. DD-PR 30)
5.1.3.6 : la dimension futuriste
La dimension futuriste porte en soi un déjà-là et fait appel au discernement. Tel François-Xavier Durwell, pour qui la lumière qui vient de la fin oriente la réflexion théologique, von Balthasar présente cette pensée à la lumière de la théologie johannique, principe fondamental de l’oeuvre commune. De là découle l’importance des pères grecs ! Par un regard de foi ouvert à la doxa grecque et au kabôd hébraïque, tous deux ne sauraient omettre l’événement Jésus de Nazareth, Verbe de Dieu et Logos divin. Évoquant alors ce déjà- là et ce pas encore, associé désormais aux nouvelles relations entre chrétiens, juifs ou païens, il se devient critique envers l’Église. Il invite au véritable dialogue inerreligieux entre le christianisme et ses fondements : « De quel droit, dit-il, l’Église rabaisse-t-elle le sentiment du monde qu’avaient les Gentils, cyclique, dépourvu de futur historique, au profit d’un futurisme introduit dans l’histoire par le judaïsme? Est-ce qu’une telle projection immédiate en avant n’est pas dépassée par la réflexion radicale du quatrième évangile sur l’eschatologie "au présent" dans l’événement Jésus-Christ? (cf. 3e chapitre). Celle-ci ne nous invite-t-elle pas tout au moins à prendre garde ? Et si elle devait, prise comme absolu, nous ramener à une eschatologie existentielle statique, où trouver alors le compromis entre le "déjà-là" et le "pas encore", tous deux chrétiens ? » (DD-PR 33) Cette partie de la dramatique divine est particulièrement intéressante car elle rappelle l’acuité de la question posée par Inter Insigniores. Comment comprendre le fait chrétien pour une ouverture à la question posée tout au long de ma recherche et qui concerne la véritable place de la femme au sein de la vie de l’Église ? Dès lors, apparaît la dichotomie entre la dimension fonctionnelle et le fonctionnalisme inconscient.
5.1.3.7 : la dimension fonctionnelle
La dimension fonctionnelle introduit la dichotomie entre le sens profond de la dimension fonctionnelle et le fonctionnalisme inconscient du sujet croyant omettant la dimension "dialogale" comme lieu d’échanges au sein d’une société ou d’une communauté de foi : le donner et le recevoir. À ce sujet, Hans Urs von Balthasar rappelle que dans l’ordre des personnes, la dimension "dialogale" fait éclater une certaine fermeture et substantialité gréco-cartésienne du sujet, pour lui attribuer comme fondement premier l’échange entre personnes du donner et du recevoir. Ce serait ce que veut faire le fonctionnalisme sur le plan sociologique déterminant ainsi l’expression spontanée par des règles du jeu dans la réciprocité et l’échange, émanant de la communauté. Selon von Balthasar, ce serait ainsi que le structuralisme de Lévi-Strauss se serait introduit avec une doctrine générale de relations entre les choses, pour ensuite prendre pour modèle fondamental la linguistique de Roman Jacobson. On se rapprocherait alors de l’inconscient de Freud, Jung et Marx. En évoquant ces auteurs, von Balthasar revient à l’objectif central de sa trilogie, l’esthétique théologique au cœur même de la dramatique divine. Il tente de démontrer le sens esthétique de la dramatique, car un système, qui absorberait en soi même l’histoire, aurait certainement un aspect non dramatique, mais serait plutôt esthétique. À cet égard, il rappelle les images esthétiques et surtout musicales de Lévi-Strauss : « la "partition" qui d’avance porte en elle l’axe du temps.» (DD-PR 35) Se référant à Paul Claudel qui évoquait la relation fonctionnelle entre tous les êtres, von Balthasar fait appel à la synchronie-diachronie du sens et du non-sens de Michel Foucault. Nous retrouvons cette pensée au premier volume de sa trilogie lorsqu’il évoque l’Autre et le Non-Autre. Toutefois, en évoquant le structuralisme de Lévi Strauss, von Balthasar ne tente pas un acte de récupération, mais il détermine ce qui permet d’ouvrir le dialogue vers un engagement éthique. Nous percevons alors l’interrogation d’Hans Urs von Balthasar pour qui l’Action vécue par Adrienne von Speyr ne saurait être détachée de sa théologie (voir Dénouement). Par un effort de compréhension du structuralisme de Lévi-Strauss, il soutient sa dimension esthétique : « en tenant compte de l’histoire, le structuralisme de Lévi-Strauss sera perçu non comme une dramatique, mais comme une esthétique. De là jaillit cette question décisive: « le fonctionnalisme paulinien du corps mystique de l’Église tire son pathétique du fait que les charismes sont d’une part distribués aux fidèles par Dieu ou par le Christ ou par l’Esprit Saint, mais d’autre part repris exclusivement en faveur de l’organisme ecclésial. » (DD-PR 37) De là découle, selon ma perception, cette nécessité d’unifier dans la personne du Christ, la foi de ceux et celles qui ont vécu ou vivent cette dimension dramatique de l’esthétique théologique et engagent par le fait même l’éthique. À cet égard, comment comprendre la grâce reçue par Adrienne von Speyr et comment comprendre les grâces reçues par les hommes et les femmes de notre temps ? Et comment, en même temps comprendre la révélation biblique comme doxa grecque et kaböd hébraïque? Pour von Balthasar, et cela est constant chez lui: « la grâce d’apercevoir un aspect particulier de la vérité révélée, qui était peut-être oubliée, ou trop peu considérée, par la moyenne de la communauté ecclésiale, révèle la mission ecclésiale de la personne ainsi marquée par la grâce divine ». (GC-ESTH 351) Nous découvrons ainsi que tout dialogue au sein du christianisme ou au sein du dialogue interreligieux ne peut dissocier les personnes qui portent cette grâce ecclésiale de la mission qu’elles reçoivent. Elles ne sont pas uniquement des messagères ou un peuple entre autres peuples, mais des personnes impliquées dans la révélation même du Christ Jésus, dans sa mort et sa résurrection, tel que le fait apparaître l’insertion du rôle de Marie de Magdala dans le "document de travail" du Synode des évêques (1971) cité au 2e chapitre de cette thèse (Jn 20, 18 ss.). Ces personnes font partie intégrante de la mission de l’Église. Tel le fait apparaître les dernières paroles de Jésus en Marc, Mathieu et Jean. Le Psaume 22, 2. 10-11 fait référence lorsque lu dans son entièreté à la matrilinéarité du peuple juif, lieu d’accomplissement des promesses en Jésus-de-Nazareth, Christ de la Foi.
5.1.3.8 : le rôle
Dans cette partie de l’analyse, von Balthasar touche l’un des points les plus fondamentaux pour une étude des fondements, appelé à révéler et à soutenir le rôle de la femme au sein de la vie de l’Église. L’allégorie théâtrale balthasarienne porte la question identitaire. Par un essai de compréhension entre le rôle de l’acteur et le sujet qu’il projète, le théâtre présente en même temps une certaine identification et oblige en même temps une distance avec le personnage. « Entre la sociologie et la psychologie oscille le problème du rôle et de la découverte, nettement apparenté à la fonction et dont le thème est aussi ancien que l’allégorie du théâtre pour la vie humaine et il contient implicitement toute la problématique insinuée par cette allégorie. En même temps, l’individu doit exercer sur le théâtre du monde une fonction déterminée qui lui est assignée de quelque part (par les circonstances ? par Dieu ? par lui-même ?), mais aussi, il n’est, pas identique à ce rôle, et pourtant pour demeurer lui-même, il doit s’identifier à lui. » DD-PR 37) À cet égard, je crois sincèrement que nous sommes obligés de reprendre en tout temps la question existentielle même du Christ Jésus : pour vous, qui suis-je ? Selon von Balthasar, cette question prend devant les métamorphoses technicisées une acuité plus forte aujourd’hui. Ici pointe, la nécessité de déterminer en théologie chrétienne, ce qui nous est particulier et ce qui nous distance. Aussi est-il fondamental pour le présent d’avenir du christianisme que la théologie chrétienne prononce la parole qui délivre. (cf. DD-PR 39)
5.1.3.9 : la liberté et le mal
Nous retrouvons en dernier lieu, la question de la liberté divine. Hans Urs von Balthasar fait de la question de la liberté et du mal, le dernier point de son analyse des tendances théologiques. Selon le théologien, « le thème évoqué serait devenu aujourd’hui autrement plus pressant que dans la théologie primitive ou médiévale. En ces lieux émergent les divergences entre les écoles théologiques. La considération de la gloire de Dieu conduit à la considération de son engagement libre dans l’aventure de la liberté des humains, de la liberté infinie et de la liberté finie. » (DD-PR 39) Toutefois, dans une recherche théologique qui traite de la question de l’intégration de l’homme et de la femme "en" Dieu et "dans" le Christ, ne pourrions-nous pas interpréter ces questions, dans le sens paulinien du terme, lieu où le oui ou le non à l’action révélatrice, engendrée dans l’acte de foi, demande accueil et réceptivité ecclésiale de part et d’autre ? En ce lieu nous parvient le oui ou le non paulinien. Ne devrions-nous pas écouter alors ce que signifie pour le peuple juif le lien indissociable entre l’aperception et sa réception pratique. Selon les penseurs juifs, « toute manifestation de la révélation ne se dit que dans l’éthique qu’elle engendre : on se met à l’écoute de la parole révélée qui énonce ses prescriptions. » (David Banon, LTP 55) De là découle l’importance de situer notre recherche. Ouverte à la liberté créatrice de l’Esprit, nous poursuivons en tentant de saisir les principaux éléments du deuxième volume de la Dramatique divine par un essai de compréhension du rôle particulier de l’homme et de la femme "en" Dieu, premier volet de la Dramatique divine balthasarienne.
5.2 : Les personnes du drame : l’homme et la femme "en" Dieu
Au deuxième volume de la Dramatique divine, Hans Urs von Balthasar indique d’une part, comment il passe de l’Esthétique à la Dramatique, et d’autre part, comment celle-ci est l’expression du drame humain interrompu au drame divin mené à son dénouement, dernier volume de la Dramatique. La vision englobante de la trilogie balthasarienne dépasse, en ce lieu, le simple "fait" historique qui a conduit au report de la question posée par Inter Insigniores, objet de notre thèse. L’anthropologie théologique balthasarienne n’écarte pas l’actant du sujet qui le détermine. Le point de départ venant de la fin du récit, von Balthasar nous indique le chemin par un "retour au centre", lieu où tout humain, homme ou femme, est convoqué depuis la création et tourné vers le Christ: dans le Christ, la personne créée à l’image et à la ressemblance du Dieu créateur redécouvre sa dignité (cf. G 3, 28; Gn 1, 27). L’anthropologie théologique n’est ni phénoménologique, ni logique (Hegel) ou formelle (traités de la grâce), mais dramatique. Dans ce deuxième volume de la Dramatique divine, intitulé l’homme en Dieu que je perçoit comme l’homme et la femme en Dieu, von Balthasar tente de répondre à la question fondamentalement contemporaine qui est essai de compréhension de l’humain, lequel est homme et femme, esprit incarné dans le monde, individu dans la société. Afin de saisir cet aspect fondamental selon la pensée balthasarienne, je retiens trois points spécifiques: (1) le point de départ de l’anthropologie théologique balthasarienne : l’événement pascal ; (2) Dieu se révèle avec la compréhension de l’humain (doxa grecque et kabôd hébraïque) ; (3) la dignité de toute personne humaine en Dieu.
5.2.1 : le point de départ de l’anthropologie théologique balthasarienne, l’événement pascal
Le point de départ provenant de la fin exprime le "fondamental" de la théologie balthasarienne : l’événement pascal (mort-résurrection). La dynamique de son œuvre le conduit irrésistiblement de l’Esthétique à la Dramatique, de la Dramatique à l’Esthétique (évidence subjective et évidence objective de l’expérience de foi). En suscitant des libertés finies, Dieu s’est lui-même engagé dans le drame. Le point de vue propre est de présenter l’intégralité de la personne humaine sous la dimension trinitaire en l’événement, Jésus-Christ. Toutefois, selon von Balthasar, il n’y aurait jamais de redite si ce n’est l’approfondissement d’un point particulier. Le dévoilement du "cœur" de Dieu, l’acte qui nous montre qui il est, ne s’opère jamais que dans le déroulement de son histoire avec l’humanité. Il n’y a d’anthropologie que dramatique (voir Dénouement). C’est la raison pour laquelle il ne peut être question d’en proposer le thème dans le cadre unique de l’esthétique théologique. De là, l’importance de la trilogie. Toutefois et c’est là sa spécificité. la dramatique qui s’élabore après la mise en place des prolégomènes littéraires, destinés à lui servir d’instrument disponible, est déjà une entreprise proprement "théologique" car elle concerne la visée théologique de son œuvre, fondamentalement unifiée sous la dimension trinitaire du salut dans le Christ Jésus. L’"auteur-actant" considère le caractère dramatique de l’existence à la lumière de la révélation biblique qui se trouve d’emblée au point de départ, bien que, dit-il, elle n’est pas le terme de la recherche puisque la question demeure toujours ouverte sur la liberté de Dieu. (DD-PDI 7, 10, 291)
5.2.2 : Dieu se révèle avec la compréhension de l’humanité (théologie des pères grecs)
À cet égard, l’expérience de foi engage non seulement la personne qui reçoit, mais elle favorise en même temps, une certaine compréhension de la nouveauté apparue "en" Jésus-Christ. À cette fin, une expérience vécue qui ne pourrait dévoiler son contenu ne servirait à rien. L’engagement entre Dieu et l’humanité doit conduire nécessairement à l’intelligence de la foi du sujet récepteur (voir Annexes 1 et 11). Tel est le sens profond de la dramatique, car, « la vision de Dieu, de l’univers et de l’humanité n’est pas une construction fondée sur la compréhension que la personne a d’elle-même; elle s’enracine dans le drame que Dieu met en scène avec l’univers et l’humanité, et où nous nous trouvons engagés comme partenaires. Loin d’être restrictive, une telle perspective qui s’ouvre, de la liberté finie vers la liberté infinie, s’avérera la plus large que l’on puisse avoir si elle se montre capable de déborder et d’intégrer tous les projets autonomes que l’intelligence humaine ait jamais pensés. » (DD-PDI 7. cf. 161-275) Le principe dialogal des Prolégomènes ouvre la dimension du réel, confrontant constamment la théologie la plus explicitement catholique avec la philosophie fondamentale et avec l’horizon plus large de la pensée surtout la pensée occidentale. On distingue alors deux champs d’action : le premier met en scène le rapport entre la foi et la culture et le second intègre l’histoire (Domaine de la Métaphysique). Dans ce lieu jaillissent les questions actuelles, les questions nouvelles. Von Balthasar nous invite alors à dépasser toutes les représentations qui ont existé au sujet de Dieu : « d’une part la mythologie, la cosmogonie et la perception de l’homme ; d’autre part une conception de la philosophie élevant Dieu tellement haut qu’il se désintéresse et se détache du drame humain. L’intérêt fondamentalement balthasarien concerne l’intégration de toute personne humaine sous la dimension trinitaire du salut en Jésus-Christ. » (DD-PDl 7. 876) Toutefois, pour atteindre cette compréhension, celui-ci ne fait pas abstraction de la philosophie. Il ne suffit pas alors d’affirmer une conviction profonde, mais bien de dévoiler son contenu. À titre d’exemple, il suggère la compréhension d’un spectateur ou d’une spectatrice qui verrait se dérouler le générique sans connaître le déroulement de la pièce. À quoi lui servira-t-il de connaître les noms et les rôles des personnages s’il n’en perçoit pas l’intrigue ? Dans cette perspective, ils chercheront, peut-être, à les repérer plus ou moins, mais ils n’apprendront rien du drame en lui-même ; ils ne pourront deviner ce qui va se passer. Tout au plus perçoivent-ils des relations sans contenu. Seule l’action leur dévoilera l’identité de chacun des personnages : non pas d’abord ce que celui-ci ou celui-là montrerait qu’il a toujours été, mais ce qu’il devient en agissant, en rencontrant d’autres personnes, en prenant ses propres décisions. En se référant à Newman, von Balthasar tient à spécifier que le christianisme est une histoire surnaturelle et presque un jeu scénique. Il nous dit qui est l’auteur en nous racontant ce qu’il a fait. Ceci est vrai a fortiori de l’homme et du cosmos, qui ont à devenir ce qu’ils sont. Cependant, celui-ci s’oppose à toute action prédéterminée, à toute théologie statique ou fixiste. Chez lui ,« le paradoxe de la "theologia" des pères grecs guide sa pensée: vouloir d’entrée de jeu déterminer les personnages apparaît pour lui, tout à fait contraire à l’essence du drame. Il réfute une théologie statique des essences où l’on se croirait autorisé, en doctrine trinitaire, en anthropologie et en christologie ou autre, à formuler des énoncés sur les êtres, avant que leur agir n’ait été déterminé (révélation de l’homme ou révélation de Dieu ?). » (DD-PDl 9) La théologie ne peut être en ce sens que théodramatique. Ouvert à la plénitude du Verbe, von Balthasar se distance d’un nouvel arianisme qui réfuterait l’incarnation du Verbe et la possibilité d’en révéler le Père. Selon cette pensée, « les pères cappadociens étaient capables de tenir, contre les ariens tardifs, les deux termes du paradoxe à la fois : d’une part, la distinction entre l’essence et les énergies en refusant ainsi l’impossibilité d’une représentation de Dieu par des représentations conceptuelles, et l’affirmation que la réalité de Dieu peut être reflétée en son Verbe, le Fils, en qui de toute éternité le Père s’est exprimé. Le dévoilement du "cœur de Dieu", l’acte qui nous montre réellement qui il est, ne s’opère que dans le déroulement de son histoire avec les personnes. » (cf. DD-PDl 10)
De là peut découler l’importance que j’apporte au rôle actif de la femme et à sa mission personnelle en Dieu, tout en n’ignorant pas la vision englobante développée dans la trilogie. Dès lors, je suis placée devant un fait remarquable. von Balthasar ne tente pas d’identifier l’essence des personnes humaines, selon un point de vue statique, il ouvre cette perception par une vision théologique fondamentalement offerte à toute personne. Chez lui, la théologie ne peut être que théodramatique. Sous cet aspect, la théologie balthasarienne ne peut évacuer ni la question de la femme, ni la dimension dialogale œcuménique et interreligieuse. Pour celui-ci, l’ “humain en Dieu”, masculin ou féminin, juif ou grec, ne peut être connue que dans son histoire, que dans le drame qui se joue entre elle et Dieu.
5.2.3 : l’égalité des personnes humaines en Dieu : l’existence duelle de l’humain
Ouvert à la réalité de toute personne humaine, Hans Urs von Balthasar spécifiera davantage cette pensée en intégrant l’existence “duelle” de l’humain qui n’est pas un dualisme. En ce lieu cette théologie nouvelle se réfère à la pensée antique, l’humain est alors considéré dans son intégralité. Cette pensée serait sous-jacente à toutes les perceptions qui se sont développées dans les commentaires juifs et chrétiens du second récit de la création : l’humain intégral, homme et femme, est façonné par les mains de Dieu à partir du limon préexistant, et gratifié des dons qu’il reçoit directement du souffle de la divinité. Telles seraient les pensées de Philon, d’Origène et de Basile. En ce sens, l’humain intégral, homme et femme, créé à l’image et à la ressemblance, comprend non seulement l’être collectif de l’humanité et sa limitation spatio-corporelle, mais aussi l’archétype de cette humanité qui apparaîtra à la fin, c’est-à-dire dans le Christ, en qui et pour qui tout a été créé et en lequel il y a l’homme et la femme comme manifestation de cette unité. Par l’incarnation du Verbe, ce que Dieu a ainsi en vue, c’est la réalité englobante de l’humanité qui, par rapport à l’espace et au temps est, à l’origine de l’histoire humano-divine . (cf. DD-PDl 318-333)
Tel que cité précédemment, les Prolégomènes tiennent en compte la dimension dialogale. Entrant en relation avec la pensée des pères grecs et plus spécifiquement avec Grégoire de Nysse, von Balthasar prend appui chez son ami Karl Barth, tout en apportant ses propres conclusions à la doctrine des pères grecs. Chez Barth, le récit de la Genèse concerne plus justement la relation homme-femme (GC-ESTH 325). Selon Barth, l’Ancien Testament ne se préoccuperait pas tant de la paternité ou de la maternité humaine, ni de la fondation de la cellule familiale, mais de la relation homme-femme en Dieu (Gn 1, 27; cf. Ps 22, 10-11). Par cette perception, la pensée biblique considérerait l’érotique bien plus au sérieux que toute la pensée grecque. Ce point est important pour Karl Barth, parce qu’il y voit une anticipation de la relation plénière du Christ et de l’Église, relation qui porte en elle et non à côté d’elle – toute fécondité. Cependant, von Balthasar propose une autre possibilité qui serait plus près de la pensée de Grégoire de Nysse pour qui le charnel ne concernerait non plus uniquement les rapports homme-femme mais l’écho atténué de l’idée plus haute de l’humain intégral. Cet humain intégral ne serait en définitive que le Corps du Christ, le plérôme remplissant tout. Sous cette perception, tout être humain, qu’il soit homme ou femme, est membre à part entière du Corps du Christ, dans son individualité et de manière personnelle (conscience de soi, être unique et liberté).(cf. DD-PDl 333-339)
À cet égard, la dramatique divine balthasarienne permet de faire évoluer la réflexion théologique envers la femme et le ministère sacerdotal. Nous retenons chez von Balthasar les pôles subjectifs de l’action dans le cadre spécifique de la Révélation. Par le passage de l’action au dénouement de celle-ci, la métaphysique des saints et des saintes permet d’établir la norme interprétative de la dramatique divine par l’attention au drame existentiel des individus (cf. la doctrine existentielle de sainte Catherine de Sienne). Dès lors est mis en valeur la proximité de Dieu avec l’existence humaine ; Dieu serait, selon cette perception, assez puissant pour construire à tout instant une œuvre nouvelle, une situation imprévue. Définissant la structure pour l’examen de la “preuve théologique”, von Balthasar soutient qu’on n’y parvient que dans la révélation. La révélation prise globalement obtient son centre d’unité dans le Christ, Parole définitive de Dieu (Retour au centre). De ce lieu provient la perspicacité de l’auteur envers les théologiens et les théologiennes de la modernité. Il alors serait possible que ceux-ci comprennent mieux les choses, en partant du sens que la modernité lui accorde, c’est-à-dire en acceptant sa perplexité devant la question du sens ultime de la vie. Celui-ci est convaincu que l’humain créé à l’image de Dieu perd tout ce qui serait aspect fixé et fixité objective, car, il ne peut y avoir de dichotomie entre la nature et l’esprit. Le critère décisif pour l’utilisation positive ou négative de cette nature surgit dans l’acte confié par le Créateur. La liberté infinie en Dieu permet à la liberté finie d’apprendre comment elle peut et doit se réaliser dans sa finitude et sa consistance de nature. À chaque étape de l’histoire humaine, l’essentiel est constamment présenté de nouveau et son développement ne saurait être linéaire puisque le centre est tourné vers l’infini et peut se dire en tous lieux. Le rôle du théologien et de la théologienne est de suivre pas à pas les jalons de la voie divine, d’épouser les lignes du modèle divin, en partant de l’unité pour aboutir à l’unité. Cette unité est l’expression trinitaire de Dieu. De là découle l’importance de poursuivre ce cheminement balthasarien qui nous conduit vers la communion des personnes dans le Christ. (cf. DD-PDl 209-234)
5.3 : les personnes du drame, les personnes dans le Christ
Présenté sous la thématique des personnes du drame : les personnes dans le Christ, le troisième volume de la Dramatique divine constitue un apport fondamental pour la thématique de ma thèse doctorale, plus spécifiquement par l’intégration des "missions" : personnelle de Marie et "féminines" de Marie de Magdala (annonciatrice de la Résurrection) et de Marie de Béthanie (modèle de la théologie), à la "constellation christologique" primitive des personnes théologiques. Dans ce volume, les questions les plus récurrentes sont traitées à fond et renouvelées ; le Christ est l’envoyé du Père et sa mission coïncide avec sa personne. La mariologie est ici partie prenante de la christologie : par Marie, la première chrétienne, la réponse humaine est esquissée. Elle est celle de l’Église, tirée des Juifs et des païens ; la lancinante question : qui est juif ? est abordée. Nous touchons en cela la perception fondamentale en théologie de l’in persona Christi, lieu où par sa valeur d’intégration, sous la constellation christologique, « les quatre "colonnes" de l’Église que sont Pierre, Paul, Jean et Jacques (Co 2,9; cf. Ac 3, 12) sont précédées par la "constellation christologique" primitive plus fondamentale dans laquelle la foi d’Israël provenant d’Abraham en Marie se rassemble pour la réception de la promesse définitive et par laquelle Jésus-Christ est mis au monde avec sa mission universelle. » (DD-PR 223-224) Confirmant la dimension eschatologique trinitaire comme révélation et accomplissement de la promesse, von Balthasar revient vers la dimension trinitaire proposée précédemment : « la Trinité, en elle-même et dans l’histoire, grâce à la double mission du Fils et de l’Esprit. » (cf. DD-PR 2 463-489)
Nous complétons ainsi les principaux éléments de la théologie classique, intégrés dans un premier temps aux volumes de la Gloire et la Croix et dont la Dramatique divine poursuit la démonstration. Par cette démonstration, je peux situer cette méthodologie de l’esthétique théologique (beau) comme lieu d’intégration à la dramatique (bon) et à la théologique. Celles-ci ne saurait s’en dissocier (vrai). Il devient possible de corroborer la pensée d’Origène pour qui la théologie est d’abord et avant tout une " théologie en acte ". À cet égard, est-il essentiel de noter que chez von Balthasar, l’eschatologie des fins dernières, n’est pas inaccessible au monde contemporain. Par une perception nouvelle, il confirme la nouveauté de la pensée qui émerge du concile Vatican II (ler chapitre) tout en réaffirmant l’ouverture offerte dans le "document de travail (2ème chapitre). Le concile Vatican II suscite une véritable révolution copernicienne par le lien rendu possible entre l’Antiquité, la première alliance et la nouvelle en Jésus-Christ qui se confirme dans la Métaphysique des saints et des saintes (3ème chapitre). À ce state-ci de cette réfexion, il est possible d’affirmer que l’Église concerne les Juifs et les païens. Le Christ en Son Église englobe l’humanité tout entière qui s’accomplit "en" et "par" le "oui" fondamental d’une femme, Myriam-Marie de Nazareth (cf. Ps 22, 2. 11-10). Cette pensée fondée sur la tradition vétérotestamentaire sera déterminante. La dimension eschatologique constitue la trame de fond. L’idée centrale de la deuxième partie de la Dramatique: les personnes du drame et l’homme en Dieu concerne la plénitude humaine : « Seulement le Christ, Verbe incarné comme unus de Trinitate, permet à tout être humain de devenir personne et personnage. En Lui, par sa Médiation Unique, la rencontre devient possible par le caractère unifié de sa personne. En ce lieu, le champ pour les autres personnes théologiques est ouvert, car il rend possible leur inclusion dans le Christ. La théologie de l’appel en constitue la prémisse.» (DD-PD2 418) Toutefois, von Balthasar creuse davantage cette relation entre la personne humaine et Dieu. Cette perception fut initiée par Grégoire de Nysse dans l’universalité du drame de la Croix : « Quiconque, dit von Balthasar, même en dehors du christianisme, veut briser son égoïsme étroit, et faire le bien pour l’amour du bien lui-même, reçoit une lumière qui lui indique un chemin qu’il peut et doit prendre, et qui apporte en même temps la révélation de la vérité et une vie plus vivante ». (DD-PD2 418)
Cette partie de la Dramatique divine présente en six axes les personnes du drame : les personnes dans le Christ : (1) les personnes théologiques; (2) la réponse de la femme et l’unité duelle de l’homme et de la femme; (3) la position christologique de la femme : de la personne individuelle à l’aspect social du nouveau Adam; (4) l’aspect personnel et l’aspect social de l’homme et de la femme (Marie, la Theotokos); (5) la réponse-réception de l’Église : le Christ Jésus, icône de la Trinité et icône de l’Humanité; (6) Marie, icône d’Israël et le ministère de Pierre.
5.3.1 : les personnes théologiques et la "constellation christologique" de la mission
Afin d’intégrer la personne dans le Christ à la dimension christologique et trinitaire de l’événement Jésus-Christ, Hans Urs von Balthasar présente la troisième partie du volume sous la thématique des personnes théologiques. Dans l’espace de jeu ouvert par le Christ, des sujets spirituels créés peuvent devenir des personnes théologiquement importantes, des partenaires de jeu dans le drame divin. Le principe étant posé, celui-ci évoque alors ce qui permet à l’être humain d’entrer en relation. Il perçoit dans l’élection, la vocation et la mission, l’espace qui confirme, grâce au Christ, la liberté de Dieu. Par l’acception libre de la mission reçue, la personne peut alors découvrir sa personnalité propre : l’élection, la vocation, la mission, venant du Dieu libre, dans le cas où elles sont acceptées et assumées librement, sont la chance suprême qu’a l’humain de se personnaliser, de prendre possession de son fondement propre ou de son Idée propre, qu’il ne pourrait trouver ailleurs. Toutefois, et c’est là un des aspects spécifiques de l’élection et de la mission, Dieu surgit et se donne. En ce lieu, la caractéristique de tous ceux et de toutes celles qui pénètrent ainsi en Christôi sur la scène théologique est que chez eux, contrairement à ce qu’on trouve dans le Christ, il n’existe aucune identité entre leur élection "éternelle" et leur vocation et mission "temporelle". Par ce don offert au milieu de leur vie quotidienne, les personnes de l’Ancienne et la Nouvelle Alliance sont surprises par une vocation inattendue et se voient "chargées" d’un rôle théologique. Dieu apparaît et invite des personnes qui en d’autres cas n’auraient pas été choisies; celles-ci se voient investies d’une mission. Von Balthasar énonce alors les divers rôles joués par les femmes: Sara, Anne, Élisabeth, Marie, Moïse, Jérémie. Il cite aussi Abraham qui à l’improviste doit quitter sa maison afin de réaliser le plan divin. Il en sera ainsi de toutes les vocations de disciples dans le Nouveau Testament. C’est pendant la pêche, le raccommodage des filets, au bureau de la douane, que retentit l’irrésistible "suis-moi ". Nous pouvons découvrir alors qu’il existe une analogie de l’élection, de la vocation et de la mission : d’une part entre l’élection de tout un peuple, que ce soit la Synagogue ou l’Église ou celui ou celle qui appartient au peuple entre dans l’espace de la vocation de l’individu; d’autre part, parmi le groupe des disciples, douze (apostoloi) seront choisis pour la mission évangélique. Von Balthasar associe alors à l’élection-vocation-mission de Jésus, l’élection-vocation-mission de tous ceux et de toutes celles qui "en lui" sont destinés à devenir des personnes théologiques. En ce lieu, il introduit la place prépondérante de Marie, tout en établissant « une différence entre la mission du Christ et les missions de la première alliance; elle est lieu d’une nouveauté pour Marie, en qui toute mission "personnelle" conduit la personne humaine à découvrir dans le Christ et par le Christ, sa vie d’union en Dieu. » (DD-PD2 215) Conformément au récit marcien (Mc 14, 62), le Christ balthasarien connaît son identité divine. De là découle sa liberté dans l’action:
La voix qui descend du ciel (bat quol) qui le désigne comme le Fils bien-aimé, lui révèle aussi peu qu’au Tabor ou au Temple (Jn 12,28) ce qu’il ne savait jusqu’à présent, tandis que le bat quol qui introduit Marie dans sa vocation et sa mission, lui dit quelque chose de parfaitement nouveau. Cela confirme que le renversement dans la vie de celui qui est appelé dans le Christ (ce qui s’applique aussi dans un sens large aux vocations de l’Ancienne Alliance) signifie un transport dans « l’espace de jeu » du Christ, un espace qui est comme tel depuis toujours ouvert dans sa personne. En ce sens non seulement temporel, mais aussi ontologique, le Baptiste peut dire : « Il est né avant que je fusse, il était avant moi» (Jn 1,30) et Jésus lui-même : « Avant qu’Abraham fût, je suis » (Jn 8, 58). Ce présent exprime l’identité immémoriale de sa conscience de personne et de sa conscience de mission. (DD-PD2 215)
Théologiquement, la mission de Jésus est unique. Du point de vue chrétien, la personne appelée découvre son identité propre en entrant au service de la mission reçue de Dieu en Jésus-Christ. « Pour tous et cela même pour Marie qui toutefois n’est pas soumise à la loi du péché; le fait de jouer dans l’espace de jeu du Christ consistera à faire passer la non-identité héréditaire. Cette marche à la suite du Christ, en qui règne l’identité fait entrer le sujet en une identité toujours plus proche de l’identité parfaite. De ce fait, il permet de faire coïncider le "Je" propre avec la mission donnée par Dieu. Tel est le fondement de l’identité propre offerte à l’homme ou à la femme. Ce qui oblige à tout quitter pour tout retrouver dans le seul accomplissement de la volonté du Père. » (DD-PD2 215)
Toutefois, je crois fondamental de m’attarder au sens profond du "tout quitter" pour accueillir la perception théologique nouvelle. Dans un premier temps, von Balthasar souligne la nécessité de percevoir le sens personnel de la mission : « les personnes vétérotestamentaires représentatives ne sont pas seulement des anticipations du Christ, qui achève leur mission d’une manière surabondante parce que supranationale et universaliste, mais aussi des anticipations de la possibilité, désormais donnée dans l’espace de jeu ouvert par le Christ, de recevoir une mission personnelle et par là, une mission sociale. » (DD-PD2 223) La mission ne peut alors qu’être différente de celle des personnes vétérostestamentaires dans la mesure où elles se tiennent à l’intérieur de l’espace marqué par la personne concrète, physico-pneumatique et de plus trinitaire, de Jésus-Christ, à la sacramentalité de laquelle elles participent d’une manière, à vrai dire, mystérieuse. En bref, dans ce "tout quitter", il nous faudrait peut-être comprendre une certaine perception du ministère sacerdotal uniquement réservé, jusqu’à nos jours, aux hommes seulement. Sur ce point, von Balthasar apporte une ouverture fondamentale en décrivant ce qu’il appelle "la constellation christologique" à laquelle, sans dichotomie, il inclut l’homme et la femme (de Marie à Jean, de Jean à Pierre). Cette pensée est fondamentale pour nous, car elle concerne la thématique de ma quête : ce qui signifie la mission spécifique de la femme au sein de la constellation christologique primitive. En premier lieu, il faut mentionner ce qui fut appelé "constellation christologique " : Pierre, sur le rocher duquel Jésus veut construire son Église, Paul, à qui est confié le vaste champ de l’apostolat des païens, le disciple bien-aimé, qui, lié si étroitement à Jésus et à Pierre, constitue un autre principe personnel de l’Église future, et (certes seulement complémentaire) Jacques, le frère du Seigneur, qui, opposé à Paul, incarne le principe "tradition" dans l’Église commençante. Ces quatre personnes théologiques qui sont considérées comme les véritables "colonnes" de l’Église (Ga 2,9; cf. Ac 3, 12), furent précédées par une autre plus fondamentale (…) dans laquelle la foi d’Israël provenant d’Abraham se rassemble pour la réception de la promesse définitive et par laquelle Jésus-Christ est mis au monde avec sa mission universelle : sa mère Marie (cf. Ps 22, 2. 10-11). Cette mission personnelle, qui se tient à la source de toute universalité intra-ecclésiale, est unique en son genre et englobe les missions ecclésiales nommées. À son ombre se tiennent les autres missions féminines qui font également partie de la "constellation christologique" primitive : celle de Marie de Magdala (…) se tenant au pied de la croix et l’annonciatrice du message de Pâques à l’Église officielle, et, encore plus profondément dans l’ombre, celle de Marie de Béthanie qui a choisi "la meilleure part". ( cf. DD-PD2 223-224) Sous l’unité duelle, von Balthasar nous invite à saisir davantage quoique sous un axe toutefois différent. Il s’agit de l’ouverture envers la reconnaissance de la "constellation christologique" primitive à laquelle sont intégrées les femmes, sans dichotomie à la "constellation christologique" de Pierre, Paul, Jean et Jacques.
5.3.2 : la réponse de la femme et l’unité duelle de l’homme et de la femme
La polarité homme-femme permet de découvrir les lieux qui jusqu’à nos jours ne furent que peu proposés à la réflexion chrétienne. Sous la thématique réponse, visage, Hans Urs von Balthasar présente la réponse de la femme. Il s’agit de l’attitude réceptive comme lieu christologique de la mission. Ici, la théologie de la réception prend tout son sens car elle se sait reçue de Dieu dans le Christ Jésus. Dans cette partie de la Dramatique divine, celui-ci développe la réciprocité lucanienne de l’homme et la femme. L’évangéliste Luc aurait été le premier à associer le rôle des femmes dans la mission du Christ Jésus. En ce lieu, dit-il, « l’homme (vir) Jésus-Christ intègre à l’avance dans son oeuvre l’humanité et son "oui de la femme". » (GC-NA 306) Par une ouverture envers la conception de l’être-homme (vir), von Balthasar remet toutefois en question la perception du Christ Jésus comme le "dernier Adam". Bien que cela puisse étonner, celui-ci ne saurait dissocier, sous cette perception, la dimension christologique de tout être humain dans le Christ Jésus. À cet égard, il identifie la féminité au Christ (épouse). Telle fut sa perception au premier volume de la trilogie, présenté sous les aspects esthétiques de la révélation divine (cf..4.1). L’hypothèse balthasarienne est la suivante : « si le Logos procède éternellement du Père, n’est-il pas en face de celui-ci (du moins quasi-) féminin? Et s’il est le "second Adam", ne doit-il pas aussi être vrai de lui qu’il reste un être inachevé, avant que Dieu ait formé la femme? C’est seulement, dit-il, lorsque Dieu créé la femme que la nature s’ouvre à lui avec une réponse appropriée : c’est l’os de mes os, la chair de ma chair. Celle-ci sera appelée femme (isha), car elle fut tirée de l’homme (ish) ». (DD-PD2 228) Dans le Christ, tous deux sont appelés à percevoir la plénitude de leur vie. La dramatique divine permet au théologien germaniste de définir la complexité de la réponse : « la femme comme réponse (Ant-Wort); dans le sens primitif "Ant " signifiant dans les langues indo-germaniques "gegen ; sens de "contre "(en grec "anti", en indien "ànti"…); soit dans le sens de vers (ancien saxon, ancien nordique, gothique "and"), si bien que les deux sens s’y trouvent contenus : vers quelque chose et opposition à quelque chose. » (DD-PD2 228) De là découle une autre hypothèse unifiant dans la réciprocité l’homme et la femme, l’être-en-relation, le vis-à-vis sans qui, ni l’un ni l’autre ne saurait exister pleinement. Von Balthasar reprendra cette ouverture dans son étude de la femme-prêtre. Je présente cet aspect en troisième partie de ma thèse. Cependant, la Dramatique divine ouvre de nouveaux horizons en intégrant la femme dans la plénitude de la foi, l’intelligence de la foi et la liberté de Dieu (4.4.2.6). Cette perception sera toutefois reprise en référence au second récit de la Genèse. En ce lieu, l’homme a de plus besoin de la femme pour entendre la Parole. Nous découvrons alors le sens profond de la réception, considéré comme attitude féminine (3e partie). En ce lieu, la rencontre ne peut s’effectuer que dans la réciprocité réceptive des personnes engagées dans le mariage; l’homme est alors invité à quitter son père et sa mère afin de devenir dans son union avec sa femme, une seule chair. La légende du paradis n’a pas d’autre moyen d’exprimer l’unité substantielle et l’égalité de parole et de réponse, l’unité duelle de l’homme et de la femme en Dieu et dans le Christ. (cf. DD-PD2)
5.3.3: la position christologique de la femme : de la personne individuelle à l’aspect social du nouvel Adam
Ayant présenté la polarité homme-femme, Hans Urs von Balthasar établit sa position christologique féminine. Son point de départ est le Christ comme représentant de la nature humaine (aspect terrestre) et de la dimension trinitaire (aspect supraterrestre). Théologiquement, ce ne serait que lorsque l’aspect terrestre (homme-femme) et l’aspect supraterrestre (Dieu-monde) s’unissent dans l’Homme Jésus-Christ qu’apparaît comme troisième point la position christologique de la femme. Comme premier point, von Balthasar considère l’importance de la relation "personnelle". Selon ce dernier, « ce ne serait que dans la mesure où l’homme Jésus-Christ est un homme individuel que la relation à la femme sera aussi une relation individuelle; la femme à laquelle il se rapporte est une personne déterminée.» (DD-PD 231) Toutefois, et cela est fondamental pour la participation de la femme à la mission du Christ et de l’Église, toute relation individuelle porte aussi en soi indissociablement son aspect social (sociologie). Dès lors, la femme participe dans le Christ Jésus à la représentation de l’humanité: « Dans la mesure où l’homme Jésus, Verbe de Dieu incarné, accomplit par son existence la mission du Père, il accomplit la réconciliation de toute la création divine avec Dieu (2 Co 5,19). L’"aide" à laquelle il est rapporté comportera nécessairement, comme représentation de cette humanité, féminine devant Dieu, un aspect social. Ces deux aspects ne pourront, comme le côté humain et le côté divin de Jésus-Christ, être ni simplement identiques ni séparés l’un de l’autre. » (DD-PD2 231) Pour von Balthasar, il est important de retenir ces deux aspects qu’il ne faut pas toutefois confondre. L’humanité du Christ Jésus (vir) ne peut se dissocier de l’"unité duelle", du féminin et du masculin. « En tant que Verbe de Dieu,, on ne peut dire qu’il reste incomplet sans complément féminin. Cependant, le Christ, en tant que "personne divine", en même temps, vrai homme, et cela, comme vir, et il a par là comme second et dernier Adam, une certaine analogie avec le premier. Ce qui débute par une légende s’achève en celui-là d’une manière surabondante : du côté (blessé) de celui qui sommeille (sur la croix) est tiré le visage répondant de la femme, dont l’homme (vir) ne peut se passer. » (DD-PD2 232)
5.3.4 : les prolégomènes à la mariologie : le fiat "personnel" de la Mère du Seigneur
Dans ses prolégomènes à la mariologie, Hans Urs von Balthasar exprime sa réserve envers une pensée qui établirait une dichotomie entre l’homme (monade) et la femme (dyade). Il se distance de la pensée "monade" de l’homme et le caractère de "dyade" de la femme qui fonde une certaine prééminence de l’homme. Von Balthasar nous entraîne vers ces nouveaux horizons qui permettent de percevoir le rôle de la femme d’une façon plus éclairée. « La femme, dit-il, ne peut alors être "réduite" à une formule claire et simple [cf. commentaires d’ Inter Insigniores]. Elle est un processus changeant (de l’épouse virginale à la mère de l’Église, de la personne qui répond à l’origine de la génération) : seul l’effort d’interprétation théorique des hommes (viri) cherche à figer ce flot en un principe rigide. » (DD-PD2 235). Ces principes s’entrelacent et ne peuvent être dissociés l’un de l’autre, la femme individuelle et la femme sociale ecclésiale. La mariologie et l’ecclésiologie comme fonctionnement dépendent de la christologie. Toutefois, la christologie balthasarienne étant inséparable de la sotériologie, le problème des sexes apparaîtra en elles d’une manière particulièrement aiguë : en face de l’homme, la femme est fiancée et épouse; en face de l’enfant, elle est mère. Cette dyade (dyas) est un facteur entraînant et constitutif. Von Balthasar se distance alors de l’appréciation grecque qui met la "monade masculine" au-dessus de la "dyade féminine". Cependant, et cela est fondamental chez lui, le point de départ de son analyse ne comprend pas uniquement l’aspect social de l’Église comme élément premier mais sa dimension christologique (Christ-Marie-Église). Nous retrouvons ces principes dès l’introduction de sa trilogie. (cf. DD-PD2 235)
Hans Urs von Balthasar poursuit sa réflexion en situant dans la dramatique interne les principes évoqués. À cet effet, les rôles théodramatiques ne peuvent apparaître que dans leur dramatique interne, personnelle et sociale. Chez lui, le rôle de la femme engage l’ecclésiologie. Énonçant le principe marial qu’il reprend dans Points de repère, celui-ci comprend l’historicité interne de la femme, qui a besoin de l’étendue temporelle pour passer d’une épouse qui conçoit à une mère qui enfante, nourrit et élève son enfant. Dans le cadre de cette transformation, celui-ci stipule qu’« une mariologie "concrète" ne peut pas se passer d’une partie simplement narrative, énonçant les épisodes de la vie de Marie dans les évangiles. Bien que ces épisodes puissent être éclairés en direction de leur contenu théologique et rapportés concentriquement au centre de sa mission, on ne peut renoncer en christologie à la contemplation des événements historiques particuliers. » (DD-PD2 236) Nous retrouvons alors ce qui constitue la visée théologique de son œuvre : la reconnaissance du titre de "Marie, mère de l’Église". Elle est présente dans son étude de la femme prêtre. Il y aurait semble-t-il une certaine unité à établir entre le général et le particulier, entre la féminité englobante de l’Église et le fiat personnel de Marie au sein de celle-ci (cf. Jn 19, 26-27). Von Balthasar évite toutefois de reconnaître le caractère uniquement englobant de Marie sans énoncer sa mission “personnelle” : « Que l’Église, dit-il, puisse devenir la mère des croyants au Christ, suppose depuis toujours que Marie a conçu et mit au monde le Messie. Il est donc légitime de lui attribuer le titre de "Mère de l’Église" . Mais de même que le Christ est venu pour servir, de même la maternité de Marie en face de son Fils et de son Église est un service purement désintéressé. Personne, dit-il, n’a exprimé cela d’une manière plus belle que le Syrien Ephrem, qui aperçoit en même temps la complexité du rapport de cette mère à son Fils ». (DD-PD2 233-234) Considérant l’indissociabilité entre l’esthétique théologique et la dramatique divine, nous ne pouvons ignorer le point de départ de cette réflexion christologique qui provient de l’aperception vonspeyrienne (la Mère et l’enfant). L’argumentaire balthasarien est fondé sur le dogme de Chalcédoine qui établit en Marie, la nature humaine du Fils de Dieu (la Théotokos). Par ce rapport réellement humain, le Verbe de Dieu redonne à l’homme ou à la femme, son aspect personnel et son aspect social tout en unifiant par elle et en elle, le lien entre l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance (Magnificat/Ps 22, 10-11; cf. Mc 15, 34 ; Mt 27, 46).
5.3.5 : le Christ Jésus, icône de la Trinité et icône de l’Humanité
Dans cette partie du volume consacrée à la réponse de la femme, Hans Urs von Balthasar introduit la dimension trinitaire et ecclésiale du Christ Jésus : le Christ Jésus comme icône de la Trinité et icône de l’Humanité. Il inscrit dans une foi commune, l’Antiquité et la modernité. Chez von Balthasar la réponse de l’Église du Christ doit nécessairement comprendre, en même temps l’ouverture au judaïsme et le monde païen (doxa grecque; kabôd hébraïque). En ce lieu, l’être créé se tient inéluctablement en face de Dieu et cette situation témoigne de la libéralité de Dieu qui remet irrévocablement à un autre la liberté de l’être-soi et le constitue justement par là comme image et ressemblance de Dieu. Von Balthasar perçoit « la séparation des sexes non pas dans une dichotomie, mais comme lieu de manifestation de leur immanence réciproque féconde. Mais qu’arrive-t-il, dit-il, quand tout cet ordre de la création devient le fondement de son accomplissement dans la rédemption du Christ Jésus qui, d’une part est image corporelle (sômatikos) essentielle (eikön) de Dieu et d’autre part, il récapitule en lui, l’unité de la création ? » (DD-PD2 273) Selon von Balthasar, la "réponse-réception" de l’Église confesse la dimension trinitaire de l’Événement Jésus-Christ, pour notre humanité, comme icône de la Trinité et en Dieu, comme icône du monde par sa nature humaine (cf. Chalcédoine). Il atteste le Dieu de l’histoire et pose les jalons pour une compréhension plus en profondeur de la tradition créatrice ininterrompue. De là, l’importance de bien saisir ce renouveau théologique: Chez lui, il existe un lien fondamental entre la foi et la culture qui, en même temps, apparaît comme la continuation de la Synagogue dans la perception qu’elle a d’elle-même, à ce moment précis de l’histoire humano-divine. D’une part, du Royaume de Dieu s’élargissant progressivement. D’autre part, la partie de l’humanité qui répond, en fait, à l’appel de Dieu dans le Christ, et peut ainsi collaborer comme "aide", d’une manière missionnaire à l’exécution de la missio du Christ. Pour un vivre ensemble harmonieux, le fil conducteur ne peut faire abstraction de la mission christologique qui en découle. cf. (DD-PD2 274). C’est seulement à partir de ces présupposés complexes qu’il devient possible de recherche le « Qui », la « Personne » de l’Église. (Qui est l’Église ?).
5.3.6 : Marie et le ministère de Pierre
Dans le clair-obscur de la mission, la question que sous-tend notre recherche comprend aussi la mission déterminante de la femme. Dans son étude de la femme-prêtre, Hans Urs von Balthasar présente Marie comme le symbole de la foi d’Israël. (NE-WP? 192) Le développement de sa Dramatique divine concerne alors la place déterminante de la femme au sein de la vie de l’Église. De là dépend, la « réponse-réception » de l’Église contemporaine. À cet effet, comment comprendre l’ouverture balthasarienne au Dieu de l’Alliance qui se montre, se donne et se dit dans le Christ Jésus: Hommes et femmes, à son Image, Il les créa!
Deux auteurs contemporains nous invitent à redécouvrir ces aspects fondamentaux. À cet égard, Hans Küng et Jürgen Moltmann nous indiquent une voie possible . « Retournez à Myriam, la mère juive de Jésus », écrit le théologien protestant Jürgen Moltmann. Le décret conciliaire Nostra Aetate fait référence à cette ouverture pour un dialogue interreligieux fructueux : Marie, la mère de Jésus et les apôtres ne participaient-ils pas ensemble au nouveau ministère de Jésus-de-Nazareth ? C’est pourquoi, je poserai cette question: Comment interpréter es dernières paroles de Jésus qui sur la croix reprend le Psaume 22? En 22, 10-11, ne peut-on pas y établir le sens profond de l’identité juive par la matrilinéarité? Toutefois, en théologie balthasarienne, l’Éternel Féminin devient lieu d’unification du monde. Cependant ce sera sous sa dimension trinitaire qu’elle est établi. Chez von Balthasar, la relation de Marie à l’Église donne corps au Verbe dans un double mouvement : l’un provenant de la grâce, l’autre du Fils de Dieu lui-même. Von Balthasar et Adrienne perçoivent la dimension trinitaire de toute personne humaine qui n’est pas absente de la dimension trinitaire de l’Église. Cette dimension trinitaire ouvre ces nouveaux horizons lorsque Marie prononce au nom de l’Église nouvelle, son fiat au Dieu, un et trine qui se dit en son fils (Jn 19, 26-27). En elle, s’accomplissent en même temps la mission "personnelle" de celle-ci et l’ouverture aux missions féminines. Toutefois et cela est fondamental chez von Balthasar, on ne saurait dissocier en ce lieu les missions féminines du ministère de Pierre. Pour von Balthasar, le caractère d’éternité s’inscrit dans la relation nuptiale entre l’homme et la femme, entre le Christ et l’Église mariale, johannique et pétrinienne. Par le dépassement de la sexualité, l’homme et la femme deviennent par le fait même deux figures d’un seul corps mystique. Désormais sous la dimension trinitaire de l’Église du Christ, l’unité de l’époux et de l’épouse sera indissolublement conjointe.(cf. DD-DN 438; cf. GC-ESTH, 509)
5.4: L’interprétation théologique, une théologie en acte
Le quatrième volume de la Dramatique divine s’intitule : l’Action. Cette thématique développée par von Balthasar entre au cœur du sujet, l’”action” comme possible interprétation théologique. Selon la philologie du langage, le mot choisi serait davantage : "péripétie". Elle est le virement de l’action (Handlung) dans le sens contraire. À la fin de la Dramatique divine, je percevais la nouveauté de la méthodologie balthasarienne qui surgit dans un événement surprenant, un dévoilement ou la reconnaissance éclatante d’un fait secret. Le “dénouement” est la résultante de la péripétie car elle intégre les récits scripturaires de Madame Adrienne von Speyr. Ces récits furents rédigés par von Balthasar sous la dictée de celle qu’il considère comme la co-auteure de son oeuvre, Madame von Speyr. Sous le signe de l’Apocalypse le théâtre pathétique du monde (Apoc 12, 1-2). Deux aspects de cette dramatique transforment l’histoire de l’humanité. Ils vous sont présentés comme suit : (1) l’Apocalypse comme action du Christ, une interprétation théologique ; (2) la préhistoire d’Israël et l’Évènement Jésus-Christ.
5.4.1 : l’Apocalypse comme action du Christ : une interprétation théologique
Selon le traducteur du livre en version française, C. Dumont, s.j., le mot " théâtre" est pris en son sens premier. Il serait le lieu où se déroule l’action qui révèle le pathétique de la vie actuelle, au plan horizontal de la scène du monde. En théologie classique, ce pathétique consiste dans le désir naturel, inassouvi, de voir Dieu. À cette fin, la Dramatique divine établit le point de rencontre entre la tragédie grecque et la péripétie du dénouement. L’Apocalypse n’est pas plus considérée comme un écrit qui établit un point final à la révélation ; il n’est plus perçu comme un prolongement des Actes des Apôtres ou une narration d’ensemble de l’histoire de l’Église et du monde. « Le langage apocalyptique entre intrinsèquement dans les images et devient lieu d’interprétation authentique. L’espace où se joue et se déroule le drame de l’Apocalypse, c’est le monde créé avec ce qui, dès l’origine (Genèse), le répartit entre ciel et terre. L’espace-temps joue dans l’Apocalypse un rôle décisif. De nombreux termes servent à le désigner, selon des nuances diverses : kairos, chronos, hêmera, hôra, aiôn. L’événement du Christ en est le seul centre. Il est l’Alpha et Omega, le commencement et la fin.» (DD-AC 15) Cet encadrement permet de découvrir non point à l’instar de saint Augustin dans la Cité de Dieu, le combat entre l’injustice et la justice, mais, les fondements johanniques de l’esthétique balthasarienne. Les visions apocalyptiques représentent les valeurs transformatives d’une société : charité, humilité, foi, progrès spirituel, œuvres, fidélité au Seigneur. Il ne s’agit pas d’une analyse de faits figés, mais d’une ouverture offerte en tout temps de l’histoire humano-dvine. En ce lieu, von Balthasr contemple dans toute sa splendeur (splendor) la liberté extrême en l’acte posé. Tout l’agir pathétique de cette créature libre allant vers la mort est placé sous le signe de l’Apocalypse et peut ainsi s’exercer "dans la passion de Dieu". Dans cette action extrême comme expression d’amour entre le Fils, le Père et l’Humanité, commence jusqu’à la fin du drame, en théologie unifiée balthasarienne et vonspeyrienne,, la bataille du Logos dans le temps que Jésus a instauré qui est devenu celui de son Église. En ce lieu le vaincu devient le vainqueur. Nous retrouverons sensiblement cette pensée dans l’étude de la dignité de la femme en troisième partie de notre thèse, lieu où la féminité dépasse la question de l’unicité de la femme mais le rôle particulier d’une femme nommée Marie comme représentante du peuple Israël (cf. Apoc., 12, 1-2) ; cf. Ps 22, 2. 10-11; cf. Mc 15, 34 ; Mt. 27, 46). En ce lieu ecclésial, le Logos devient l’archétype de l’homme et de la femme (Ga, 3,28 ; Jn 1, 14; cf. DD-AC 396 et ss.).
5.4.2 : La préhistoire d’Israël et l’universalité de l’événement Jésus-Christ
Enraciné au cœur de l’histoire, l’Événement Jésus-Christ possède en soi, sa préhistoire en Israël. Les années de décompte de l’histoire : avant et après Jésus-Christ sont fondés en théologie. Par une théologie de la récapitulation, l’entrée en scène du Christ lance non seulement la lumière vers l’avant, mais vers l’arrière en remontant jusqu’au commencement, comme dans la thématique de l’Ecclesia ab Abel. Au sommet de l’Action, quelque chose se trouve définitivement acquis. Bien qu’en première partie, Hans Urs von Balthasar se laisse emporter par l’Écriture (l’Apocalypse), la deuxième partie devient théologie de l’histoire car elle englobe l’ensemble de l’Humanité (Christ créateur/Christ rédempteur). À cette fin,je revisiterai avec ces maîtres les textes de l’Apocalypse. Pour une théologie de l’Histoire, nous devons « puiser dans la philosophie, la psychologie et la sociologie, dans les trésors de la littérature, de l’art et de la musique et intéresse ainsi toutes les disciplines. » (DD-AC postface) En ce sens, ceci permet d’établir un rapprochement avec la quête des éléments essentiels de la théologie classique (cf. I.I. 4-5) Le jeu qui se joue dans l’histoire fait apparaître l’interrelation entre la sainteté du contemplatif et et la visée théologique que son expérience et son interprétation sous-tend. Tous deux s’unissent dans un même acte, et caractérisent l’ensemble de la scène dramatique. Progressivement, l’ esthétique théologique intègre dans son devenir la philosophie et la théologie. Au cœur de l’Action apparaît la main du Maître et l’aperception de Madame von Speyr: « À la flagellation, il prend le péché de l’homme et de la femme sur son corps, qui devient un corps ‘universel’. » ( DD-PD2 193, note 20; cf. Nachlasswerke IX, 442). « La théologie, dit Origène, n’est-elle pas une théologie en acte ? (PMO 12) De là nous pouvons saisir la péripétie (tragédie grecque). Le Ressuscité est le Crucifié et celui-ci ne peut être perçu qu’en Dieu et sa dimension trinitaire (des événements de la fin à la genèse créatrice).
5.5: Le dénouement : la dimension trinitaire de l’événement Jésus-Christ
Le cinquième volume de la Dramatique divine s’intitule Le dénouement. Si le premier volume de cette Dramatique était anthropologique, le deuxième christologique, le troisième sotériologique, celui-ci présente la dimension trinitaire de l’Événement Jésus-Christ. Il est lieu de reconnaissance du don divin. Cette théologie nouvelle provient chez von Balthasar d’un lieu précis: les récits scripturaires de Madame Adrienne von Speyr. Les 2/3 du volume intègre, dans son argumentaire, les citations de plus de 40 volumes de Madame Adrienne von Speyr. Hans Urs von Balthasar n’occulte pas le rôle de la fondatrice, il la nomme explicitement. Dans cette péripétie de la fin, le dernier volume de la Dramatique divine décrit la visée théologique de la trilogie. Cependant, et cela est fondamental en théologie vonsperienne et balthasarienne, la trilogie retient les conseils de l’Aquinate (Thomas d’Aquin): les co-auteurs se sont efforcés de construire leur théologie sur les articles de foi et non inversement. Le point de départ comprend le Dieu qui se dit (Théologique) dans les événements de la fin, lieu où : la triple dimension de l’incarnation du Fils: a) sa fonction substitutive en notre faveur dans la Mort-Résurrection, b) l’envoi de l’Esprit dans l’Église apostolique; c) la communion des saints et des saintes dans l’ici-maintenant d’une histoire en constante évolution. En tenant compte des récits vonsepyriens, von Balthasr expose la question des fins dernières: la mort, le jugement et la destinée éternelle sont discernés à la lumière de la foi (don de l’Esprit au monde). Il s’agit de la question fondamentale posée tout au cours de cette traversée : la vie trinitaire de Dieu révélée en Jésus-Christ et non l’étude des trois personnes de la Trinité dans leur spécificité propre. Telle est la théologie nouvelle balthasarienne ! Fondamentalement christologique, von Balthasar prend appui sur l’exégèse de Johann Weiss. « Weiss aurait introduit une autre manière de parler de l’eschatologie et de son désir paradisiaque dans le judaïsme au temps de Jésus. L’exégèse de Weiss devient l’élément-clé pour la compréhension de l’eschatologie balthasarienne, car elle permet de concilier deux notions divergentes de l’eschatologie : le dogme et l’exégèse. » (DD-DN 13-14) Tentant de comprendre cet aspect spécifique qui peut susciter l’étonnement ; elle réclamera une sérieuse conversion de la pensée ainsi qu’un nouvel ajustement de la perspective. Trois thèmes permettront de poursuivre l’objectif fixé dans cette recherche doctorale; : 1) la prise de position théologique; 2) la vie humaine et la vie divine de l’être Jésus, Fils du Père; 3) la matrilinéarité juive en Marie et les dernières paroles de Jésus (Ga 4, 4-5; cf. Ps 22, 11-10).
5.5.1 : une prise de position théologique au sujet de Jésus
Dans ce cinquième volume, le dénouement ou dénouement du nœud de l’intrigue permet à Hans Urs von Balthasar de dégager deux accents principaux qui définissent la prise de position théologique au sujet de Jésus ; d’une part la conscience de Jésus et, d’autre part la conscience de l’Église primitive qui, dans sa foi au Christ, attribue à Jésus la conscience d’être le Messie d’Israël. Cette position théologique est bien affirmée dans la Nouvelle Alliance, même s’il en refusait le titre pour de bonnes raisons. En reconnaissant ce titre, le temps de la fin avait commencé pour Israël et pour les disciples de Jésus, fin qui concerne toujours la foi de l’Église du Christ. Toutefois, est-il fondamental de bien saisir la pensée théologique du volume. Ce n’est qu’en ne dissociant pas les deux pôles de l’Ancienne et la Nouvelle Alliance qu’il devient possible de percevoir le véritable sens de l’eschatologie des fins dernières en Jésus-de-Nazareth, Verbe de Dieu fait chair. À cet effet, on ne tente pas tant de déterminer le destin d’Israël, mais bien, la prise de position théologique au sujet de Jésus, Messie et Fils de Dieu. Cette fin sera liée à l’eschatologie personnelle de Jésus-Christ, même si, comme le veut saint Paul, finalement tout Israël doit être sauvé et avec eux, l’ensemble de l’humanité (doxa grecque ; kabôd hébraïque). On retrouve une fois de plus, au sein de cette pensée, la question fondamentale posée par Jésus à ses disciples avant sa passion: pour vous, qui suis-je ? Question toujours actuelle au cœur de tout sujet humain : la dramatique ne se joue-t-elle pas au cœur de l’action, dans le "présent" de Dieu ? Le temps apocalyptique se renverse à la verticale du fait que Dieu et désormais l’eschaton est présent au monde. Ce qui est dernier devient actuel. De ce fait, il nous est donc possible, et je le ferai, de poser la question de la femme au nom même de l’eschatologie des fins dernières, advenue et non actualisée au sein de la vie de notre Église. La péripétie est renversement historique, mais non pas révolution en Dieu, ce qui serait un mythe. (cf. C. Dumont, NRT 1161/994 730)
5.5.2 : la dimension trinitaire en l’humanité de Jésus, juif et Fils du Père
Par ce questionnement, nous découvrons la pointe des transformations conciliaires : « le statut de l’Église après le Christ en tant qu’Israël-de-Dieu et ouverture au dialogue interreligieux. (cf. Ga 6, 16) Quelques soient les connotations d’apocalyptique juive que l’on trouve encore dans bien des écrits néo-testamentaires, « l’accent principal, depuis Paul qui est le premier grand interprète de l’événement christique, ne porte plus sur le judaïsme, mais sur la condition chrétienne déterminée par le destin eschatologique de Jésus : les chrétiens et les chrétiennes confessent leur foi en la mort-résurrection ; par le baptême chrétien, ils attestent qu’ils sont morts et ressuscités avec lui. La loi de l’eschatologie englobante du Christ est une loi générale, même si tous ne le comprennent pas et continuent peut-être à s’en tenir, de manière anachronique, à l’attente judéo-apocalyptique de la fin. » (DD-DN 15) La perception du dénouement, présentée comme tragédie, réunit le Dieu souffrant de l’Ancienne Alliance à la tradition rabbinique. Sous cet aspect, la relecture est linéaire et révèle l’historicité de la foi d’Israël. Selon von Balthasar, « il ne faudrait pas toutefois considérer que les lamentations de Jésus sur Israël ne concerneraient que sa nature humaine. Cette souffrance révèle le cœur de Dieu, l’humanité de Dieu, l’auto-manifestation divine. » (DD-DN 194) Cette perception du dénouement comme drame trinitaire devient alors plus explicite car il ne dissocie pas la vie divine, de l’humanité du Fils. Ceci signifie que la vie divine et la vie humaine se compénétrent et ouvrent de nouveaux horizons par une ouverture au rôle de l’Esprit en cet acte même. Selon cette perception, Dieu le Père n’a pas créé le monde en dehors de lui. Cela signifie que l’incarnation du Fils peut être perçue dans sa dimension trinitaire (Créateur et Rédempteur). Autrement dit, « c’est le Dieu trine, en Jésus de Nazareth, qui est l’eschaton prédéterminant le monde et l’histoire. » (DD-DN 225)
Tout en révélant la vie du Christ, le drame de la « fin » permet de nous découvrir en Dieu. Par là, le récit paulinien tourne notre regard de foi vers notre propre réalisation. Avec Lui, par Lui et en Lui, hommes et femmes sont créés à son Image. (Ga 3, 28; Gn 1, 27) Telle est la grille de lecture fondamentale de l’oeuvre commune de Hans Urs von Balthasar et d’Adrienne von Speyr. Par cette interprétation théologique, il offre de nouvelles possibilités au dialogue interreligieux et aussi, de nouveaux horizons à la question posée par Inter Insigniores sur les critères d’accessibilité des femmes au sacerdoce ministériel. Sous la dimension trinitaire du Dieu de l’Alliance en Jésus, le Christ, toute personne créée n’est-elle pas invitée à "manifester" la foi qui l’habite et cela au cœur même de la liturgie eucharistique? « L’ultime résultante n’est pas encore accomplie, ni pour chacun, ni pour chacune, ni pour la totalité de l’univers. De là, le tragique et la dramatique de l’existence chrétienne présentée sous la constellation christologique des personnes théologiques » (DD-DN 225). En ce lieu, la mission " personnelle " de Marie et les missions féminines personnellement touchées par le Christ Jésus attestent la dimension trinitaire de sa mission salvifique (Ga. 3, 28 ; Gn. 1,27).