Le Christ en croix et la Vierge recueillant le sang en offrande au Père en rémission de tous les péchés de l'Humanité rite jésuite: dévotion de la mort heureuse gravure: Francesco Spierre
LA TRADITION ININTERROMPUE et la question de l'admission des femmes au sacerdoce ministériel. (Hans Urs von Balthasar, Osservatore Romano, 29-03-1977)
Féminité et représentation:
Cet article permet de comprendre l'analyse de la déclaration Inter Insigniores chez Hans Urs von Balthasar, source de mes recherches doctorales : projet et rédaction de thèse, présentées ultérieurement sous la thématique de La Déclaration Inter Insigniores. Analyse et prospectives à partir de la pensée de Hans Urs von Balthasar. (La mission 'personnelle' de Marie et les missions féminines sous la 'constatation primitive ' et sa valeur d'intégration, Mars 2007).
Décédé au moment de la publication d'Ordinatio Sacerdotalis, il n'y avait aucune objection à la recherche sur la question posée par Hans Urs von Balthasar. Dans cet article, vous y découvrirez ses points forts: la question de la représentation, la masculinité et la féminité, la tradition ininterrompue et l'indissociabilité entre le service apostolique du prêtre et la 'féminité' de l'Église « en » Marie. À remarquer comment le 'Fiat' de Marie à la mission de son Fils fonde cette réflexion.
« Elle seule au milieu de ceux qui sont présents à la croix, elle soulève le saint calice pour recueillir le sang du Christ » (op.cité ci-haut; par. IV du texte joint )
La tradition ininterrompue et la question de l’admission des femmes au sacerdoce ministériel par Hans Urs von BALTHASAR, membre de la Commission Théologique Internationale:
I: La Déclaration de la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi, au sujet de la demande d'admission des femmes au sacerdoce, a prudemment abordé toutes les dimensions importantes du problème et n'a pas craint de pénétrer dans la profondeur du mystère d’où resplendit, pour le vrai croyant, la lumière la plus libératrice et convaincante. Certes, la démonstration proprement dite concernant le droit dans la manière d'agir de l'Eglise et qui est présentée dans les chapitres 2-4, s'appuie sur le comportement normatif du Christ; puis, par conséquent, sur le comportement des apôtres et ensuite sur celui de la tradition ecclésiastique, dont la pratique constante est caractérisée à la fin non comme une "espèce d'archaïsme, mais comme une fidélité" a son Fondateur dont elle reçoit son "caractère normatif". Et c'est seulement après cette démonstration historique fondamentale que la Déclaration passe au chapitre 5 a la considération approfondie de la "convenance", en conformité avec ce qu'on appelle "l'analogie de la foi" de Saint Paul. Mais ici il ne s'agit pas de se laisser égarer par les mots: quand on parie du mystère de la foi, on appelle "convenance" quelque chose de très différent d'une simple exactitude approximative, ou d'une "conformité" purement humaine, voire seulement fortuite et relative; on entend plutôt, en effet, la signification du mot "convenance" dans son sens original: la concordance, l'harmonie interne que possède un organisme dans l'équilibre de ses différents organes. La Déclaration insiste beaucoup et explicitement sur l'impossibilité qu'il y a à transformer les mystères de la foi en vérités, susceptibles d'être considérées sous un angle purement rationnel; à ces mystères appartiennent aussi les sacrements et, par suite, l'institution des fonctions sacrées dans l'Eglise. Ces mystères relèvent d'une herméneutique et d'une interprétation propre qui ne devient accessible et raisonnable que pour celui qui, dans la foi, se laisse guider dans les profondeurs de leur harmonie interne et de leur plausibilité, par le mystère de Dieu dans ses aspects variés et organiquement homogènes. Saint Anselme n'a pas hésité à attribuer une "nécessité" a cette harmonie interne en Dieu, quoi qu'il en soit de la façon dont Dieu dispose de tout en toute liberté. De fait, même si nous devons toujours laisser à la souveraineté de Dieu la possibilité d'agir différemment de ce qui lui a più d'accomplir, cependant nous n'avons en aucune façon la liberté de relativiser sa logique — Il est la raison absolue et le logos en personne — et de nous représenter dans notre imagination d'autres voies qu'il aurait pu également parcourir.
II: Cette prémisse devait être posée avant de pouvoir envisager de manière approfondie le problème qui nous occupe. Or il est déjà clair a priori que le simple fait d'un usage ininterrompue de l'Eglise ne peut constituer un argument suffisant pour que cet usage ne puisse être changé sur la base de nouvelles conceptions ou d'un changement de circonstances culturelles. Quand on doit déduire quelque chose de la tradition ininterrompue, tout dépend alors de savoir si l'aspect en question appartient ou non à l'essence de la structure de l'Eglise telle qu'elle a été instituée. Il y a encore d'autres aspects pour lesquels on pourrait aussi indiquer d'importants motifs de convenance: ceux-ci cependant ne sont en réalité que des correspondances remarquables et non des "nécessités" selon Saint Anselme (comme par exemple le célibat sacerdotal). Ce sont des convenances en faveur desquelles on peut invoquer une longue et persistante tradition mais qui ne sont pas ancrées dans le mystère de l'Eglise d'une façon aussi centrale. C'est ce que démontrent les Lettres pastorales dans lesquelles il est question de pasteurs mariés des Eglises locales; de même la "belle-mère de Pierre" dans l'Evangile ainsi que la façon dont Jésus et Paul recommandent le célibat sous forme de simple conseil.
C'est pourquoi l'argumentation sur la base de la tradition de l'Eglise doit nécessairement pouvoir s'appuyer sur des éléments qui fassent partie de l'essence même de la structure de l'Eglise et de sa sacramentalité; des éléments soustraits à toute action modificatrice de la part de l'Eglise (car celle-ci ne peut se changer selon son bon plaisir, mais doit s'accepter elle-même comme elle est née) et qui dans leur logique complète et substantielle deviennent compréhensibles pour la foi seulement si on les considère dans "l'analogie de la foi" en connexion avec le mystère de la foi dans son ensemble. Or cette connexion fait partie également de l'harmonie essentielle entre l'ordre de la création et l'ordre de la rédemption. Le mystère de la rédemption, Christ-Eglise, est certainement l'accomplissement surabondant du mystère de la création entre l'homme et la femme; de sorte que, comme Paul l'affirme avec beaucoup d'énergie, le mystère fondamental de la création est appelé "grand" justement en vue de son accomplissement dans le mystère de la rédemption. La différence sexuelle naturelle est chargée, en tant que différence, d'un fort accent surnaturel, dont elle n'a elle-même aucun soupçon; et c'est ainsi que l'on arrive, en dehors de la révélation chrétienne, a des déformations variées de cette différence, comme par exemple, unilatéralement, a un matriarchat ou à un patriarchat, ou à une sous-estimation de la femme ou, enfin, a un nivellement des sexes qui détruit toutes les valeurs de la sexualité. C'est seulement à partir de l'indestructible différence entre le Christ et l'Eglise (préparée, mais pas encore incarnée, dans la différence entre Dieu et Israël) que se reflète la lumière décisive qui éclaire une vraie réciprocité entre l'homme et la femme.
III: La transmission de la fonction sacerdotale a l'homme, inchangée au cours d'une histoire de deux mille ans, montre assez clairement, comme le fait la Déclaration, que l'Eglise attribue ce fait a la substance qui lui a été assignée depuis sa fondation. Le témoignage de l'Eglise orientale est, à ce sujet, particulièrement important. Celle- ci ne s'est jamais détachée de la tradition des origines, bien que son "organisation ecclésiastique admette une grande différence en de nombreux autres cas". Et les déviations dans l'Eglise, nées de la Réforme, sont liées à un changement, à un affaiblissement de la relation entre peuple de l'Eglise et fonction apostolique; c'est cette relation qui ultérieurement a été détachée de la succession concrète des apôtres — et de ce fait détachée également de la structure de l'Eglise apostolique —: elle est immédiatement construite sur le sacerdoce commun de tous les fidèles.
Au contraire, dans l'Eglise catholique, comme dans l'Eglise orthodoxe, la succession apostolique est un élément décisif: de même que l'Eglise primitive par le moyen de la fonction instituée par le Christ pour la communauté des croyants — avec plein pouvoir sur l'annonce authentique de la Parole et l'administration des sacrements — était clairement une communauté structurée, de même elle devait demeurer, à travers tous les siècles, par le moyen d'un plein pouvoir toujours transmis d'une façon concrète et personnelle. La continuité avec les origines consiste, du point de vue catholique et orthodoxe, non seulement dans la foi, mais aussi dans l'organe responsable de la foi légitime (dont fait partie la présence du Christ dans le sacrement): la fonction épiscopale que le Christ donne avant l'existence d'une communauté concrète, a été préparée en tout cas par l'appel des Douze et par l'attribution qui leur est accordée de la plénitude du pouvoir. Or cette "plénitude de pouvoir" était déjà une faculté christologique d'annoncer, au nom du Christ, sa doctrine et de rejeter avec sa puissance, dans l'Esprit Saint, l'esprit de l'anti-christ. Ceci signifie par conséquent — vraisemblablement déjà dans les débuts de l'activité publique de Jésus — qu'une participation précise à sa fonction messianique a été accordée par lui. Et cette fonction de Messie était, en conformité avec l'attente de l'Ancien Testament, la représentation de Dieu et de son œuvre définitive de salut dans son peuple. De là le fait que la fonction apostolique sera toujours une fonction (et, par conséquent, une responsabilité) de représentation de Dieu, c'est-à-dire désormais, en termes concrets, de Jésus-Christ.
Mais la représentation est un phénomène étrangement ambivalent. Il dit, en premier lieu, quelque chose de positif: le représentant a reçu du représenté le plein pouvoir de rendre présent quelque chose de sa supériorité ou de sa dignité, sans pouvoir prétendre pour soi-même — et c'est l'aspect négatif — à cette supériorité ou à cette dignité. Ce dualisme rend la notion de représentation, et ainsi également celle de fonction apostolique, extrêmement vulnérable et sujette à des abus.
Dans l'ordre naturel des sexes la représentation de Dieu et de sa "gloire" est, selon Paul, dans la création de l'homme (1 Co 11, 7). Cependant, puisqu'il n'est qu'un reflet et non la gloire elle-même, il est précisé aussitôt après: "Comme (dans la Genèse) la femme a été tirée de l'homme, ainsi l'homme nait de la femme, et tout vient de Dieu" (v. 12). Dans l'ordre surnaturel chrétien, qui se fonde sur l'ordre naturel, le doublé aspect est encore plus remarquable: l'apôtre comme "collaborateur de Dieu", justement à cause de la représentation de Dieu, est mis "au dernier rang", il est le serviteur de tous et il considère comme une chose normale que "nous soyons faibles, vous forts; vous honorés, nous méprisés" (1 Co 4, 9 ss).
Or, dans la tradition chrétienne et son concept de succession concrète, on trouve, au moins secrètement, la conscience de ce dualisme impossible à réduire car il est intrinsèque a la représentation sacerdotale. Même si souvent, par un oubli coupable, dans un cléricalisme présomptueux, on a unilatéralement mis en relief l'aspect positif de la représentation -- jusqu'à l'excessive exaltation du prêtre comme un "autre Christ", ce qui ne peut exister. Cependant, les Saints ont toujours explicitement rappelé, et également l'autorité ecclésiastique, que la fonction apostolique est seulement un service de l'Eglise et dans l'Eglise, c'est-à-dire qu'il est d'autant plus un pur service qu'il est un service qualifié. C'est, en définitive, le service de la transmission des dons de Dieu, que le prêtre ne possède en aucune façon de lui- même, ou encore seulement en lui-même, mais que par fonction il transmet d'autant mieux qu'il se fait totalement un pur instrument de transmission.
IV: Or, tout ceci ne devient transparent que si l'on fixe des yeux le sujet à qui le service apostolique doit activement se consacrer: l'Eglise des fidèles du Christ, qui — pour ne pas mentionner l'image vétérotestamentaire d'Israël comme épouse du Seigneur — se présente toujours dans le Nouveau Testament comme une figure féminine. Cette "féminité" de l'Eglise fait partie de la grande méditation sur l'Eglise, qui est bien fondée sur les énoncés du Nouveau Testament, et qui est certainement aussi profonde dans la tradition que la transmission de la fonction apostolique à l'homme. Pour la théologie de la patristique, de la scolastique du Moyen-Age et également de la Renaissance, l'Eglise est la mère des fidèles et pareillement l'épouse du Christ. Elle se tient droite aux porches des églises, comme une noble dame en face de la synagogue agenouillée; dans d'innombrables miniatures, elle seule au milieu de ceux qui sont présents à la croix, elle soulève le saint calice pour recueillir le sang du Christ; elle est, surtout dans lathéologie orientale, l'incarnation définitive de la sagesse divine, qui reçoit et porte dans son sein toutes les semences du Logos qui sont dispersées dans la création et tout le long de l'histoire du salut.
Je ne puis m'empêcher, ici, de penser à deux livres de Louis Bouyer: le premier Le trône de la Sagesse est déjà vieux (1957), tandis que le second Mystère et ministère de la femme (Aubier 1976) est nouveau et touche explicitement notre thème. Son but principal est de mettre en lumière, avant même la "féminité" de l'Eglise, le rôle sexuel-personnel de la femme, tandis que l'homme, sous l'angle de la sexualité, représente seulement ce qu'il n'est pas et transmet ce qu'en vérité il ne possède pas; donc, tandis qu'il est à la fois plus et moins que soi-même, la femme repose sur elle- même, elle est pleinement ce qu'elle est, c'est-à-dire qu'elle est toute la réalité d'un être créé qui se présente en face de Dieu comme "partenaire", elle reçoit de Lui le principe biologique de la vie et l'esprit, elle le conserve, le porte à maturation le développe et enfin l'éduque. Cette théorie de Bouyer peut provoquer quelques questions et nous les poserons ailleurs. Mais, avant tout, son point central est certainement à retenir d'autant plus qu'il représente le noyau d'une tradition ecclésiastique qui ici est libre de toutes les scories périphériques et des obscurités dues à la misogynie hellénistique que l'on retrouve en partie chez les pères de l'Eglise et au Moyen-Age.
Malheureusement, cette libération et ce renouvellement d'une grande tradition, parallèle à celle du ministère sacré, survient à une époque dans laquelle la fécondité de la différenciation des sexes, dans leurs fonctions respectives, est toujours davantage laissée dans l'oubli et intentionnellement étouffée. Et ceci en faveur d'une "masculinisation" de toute une civilisation caractérisée par une rationalité technique masculine: on recherche cette masculinisation sous prétexte d'égalité de droits et de parité des sexes. Et tandis que le domaine sexuel est ouvert à toutes les manipulations techniques, la hauteur et la profondeur personnelle de la différence des sexes perd sa signification. Puisque toutes les "fonctions" sont actionnées de la même manière et sont par conséquent interchangeables, même si l'homme ne peut ni concevoir ni enfanter, pourquoi la femme ne peut-elle remplir dans l'Eglise chacune de ces "fonctions" qui, semble-t-il, sont neutres et sont confiées à l'homme?
C'est surtout cette surestimation de la masculinité, qui fait de l'esprit un objet et emprisonne la sexualité dans la bassesse du domaine physiologique qui s'oppose aujourd'hui à la compréhension de l'attitude de l'Eglise, quand elle entend rester fidèle à sa tradition. l"est aussi à sa valeur le principe qui veut que "la grâce suppose la nature"; la réintégration de la nature devrait — à l'intérieur de la parité de nature et de la parité de valeur des sexes — mettre surtout en lumière la différence fondamentale, selon laquelle la femme ne représente pas, mais est, tandis que l'homme a à représenter et, pour cela, est plus et moins que ce qu'il est. En tant qu'il est davantage, il est le "chef" de la femme et, chrétiennement parlant, l'intermédiaire des biens divins; en tant qu'il est moins, il est ordonné a la femme comme demeure du salut et réalisation exemplaire.
L'espace nous manque ici pour montrer dans le détail, cette différence dans l’ègalité de la nature; surtout, il y aurait à discuter, d'une part, la question de la "masculinité" du Christ, particulièrement dans son Eucharistie, dans laquelle, en dehors de toute raison sexuelle, il se fait tout entier semence de Dieu et se donne à l'Eglise; de l'autre, la participation, difficile à formuler, de la fonction apostolique a cette fécondité masculine, qui est au-delà du sexe. C'est seulement si cet aspect était pleinement mis en lumière, que l'on pourrait d'une certaine façon surmonter cette infériorité de l'homme en face de la femme, qui est latente dans ce qui vient d'être dit plus haut. Mais il suffit d'avoir évoqué cette notion.
V: La femme devrait éprouver un sentiment élevé du fait qu'elle se sait — surtout dans la Vierge Marie — le "lieu" privilégié où Dieu peut et veut être reçu dans le monde. Il y a une continuité interne entre la première Incarnation du Verbe de Dieu en Marie et sa venue toujours nouvelle dans l'Eglise qui le reçoit. Ceci et seulement ceci est l'événement chrétien décisif et, du moment qu'il y a des hommes dans l'Eglise, ils doivent — qu'ils remplissent ou non une fonction —- participer à cette "féminité" d'ensemble de l'Eglise mariale. En Marie, l'Eglise et — qu'on le remarque — l'Eglise parfaite, est déjà une réalité bien avant qu'il y ait une fonction apostolique. Celle-ci reste secondaire et fonctionnelle dans sa représentation et, précisément à cause de la faiblesse de celui qui en est investi (Pierre!), elle est ainsi faite que la grâce transmise reste essentiellement indemne de cette déficience. Celui qui a une fonction doit s'efforcer, dans la mesure du possible, d'écarter cette déficience mais non parce qu'il approche du Christ en tant que Celui-ci est chef de l'Eglise mais parce qu'il apprend à exprimer et à mieux vivre le Fìat que Marie a adressé au Dieu un et trine.
Il est évident à partir de ces réflexions que la tradition de l'Eglise est beaucoup plus profondément enracinée qu'il ne paraît à première vue. Elle descend à des profondeurs insondables; mais le peu que nous pouvons en recueillir pour le formuler en balbutiant, nous démontre qu'elle est dans son bon droit et reste inattaquable malgré les mutations des temps et des opinions même à propos du rôle des sexes.