PARTIE III: LA FEMME ET ISRAËL
SEPTIÈME CHAPITRE: De la haute dignité de la femme à la femme prêtre, « Marie symbole réel d’Israël » cf. Ps 22, 2; cf. Mt 27, 46; Mc 15, 34; Ps 22, 10-11 cf. Jn, 19, 25-27; Ps 22, 16 cf. Jn 19, 28
Afin de discerner avec acuité ma perception des fondements du ministère sacerdotal à partir de la pensée de Hans Urs von Balthasar, le titre du dernier chapitre de ma thèse s’intitule comme suit: De la haute dignité de la femme à la femme-prêtre: Marie, symbole réel d’Israël. Cette troisième partie atteint plus spécifiquement la thématique de ma recherche: La Déclaration Inter Insigniores. Analyse et prospectives à partir de la pensée de Hans Urs von Balthasar. Les articles balthasariens complètent divers points énoncés en théologie classique: le rapport entre la philosophie, la théologie, la sociologie et la tradition « vivante de l’Église », Marie symbole “réel” d’Israël et première disciple du Christ Jésus. Toutefois, bien que ce chapitre rend plus explicite la question posée par Inter Insigniores, ce n’est qu’en tenant compte de la méthodologie balthasarienne qu’il devient possible de saisir la profondeur et la justesse de son esthétique théologique dans l’indissociabilité entre le Beau, le Bon, le Vrai. Dans cette étude, je ne fais pas appel à une simple opinion personnelle mais j’analyse les fondements théologiques du ministère sacerdotal, tel que présenté dans l’oeuvre de Hans Urs von Balthasar. Fondés sur l’appel de Dieu (Inter Insigniores), l’approfondissement de ces fondements appellent son authentification par le Magistère de l’Église. Pour ce qui concerne la pensée des auteurs, cela fut effectué par divers colloques romains vonspeyrien ou balthasariens. Ceci étant dit, il devient alors possible de saisir le cheminement qui a conduit Hans Urs von Balthasar vers une prise-de-parole positive envers la question posée par Inter Insigniores. Peu à peu, la relecture des différents articles établit une constante souvent oubliée soit, l’interrelation entre la féminité vétérotestamentaire et le rôle de Marie, symbole "réel" d’Israël (Ps 22, 10-11 et la croix mathéenne et marcienne). J’ai traité quelque peu de cette question au sixième chapitre. L’analyse autorisée d’Inter Insigniores par Hans Urs von Balthasar soutient toutefois qu’au moment précis de la publication de la Déclaration, l’Église n’en était qu’à « ses premiers balbutiements» (Osservatore Romano, 2, 29-03-1977).
Pour ma part, l’étude balthasarienne de la "femme prêtre " constitue l’élément déclencheur qui m’a conduite vers une compréhension nouvelle des énoncés de Hans Urs von Balthasar. Le lien qu’il établissait entre la philosophie et la théologie m’interpella vivement. Principalement, sa perception de l’acte contemplatif actif. Par une attention au questionnement contemporain, von Balthasar ouvre de nouveaux horizons et nous conduit vers la féminité vétérotestamentaire du peuple Israël (épouse), lieu de discernement véritable de la haute dignité de la femme (cf. Ga 4, 4; cf. Ps 22, 10-11). En ce lieu , le rôle de Marie concerne le "réel" d’Israël (News Elucidations, Women Priests?NE-WP? 192). Nous percevons mieux alors l’insistance des co-auteurs envers ce qu’ils considèrent, tous deux, comme le noyau originel de l’Église, la théologie johannique. Von Balthasar conçoit son ecclésiologie comme suit : « L’Église vraiment johannique est celle qui, à la place de Pierre, se tient sous la croix pour y accueillir en son nom l’Église mariale ». (CA; cf. Mc 15, 34; Mt 27,46; cf. Ps 22,2. 10-11; Jn 19, 26-30). Chez von Balthasar, on ne saurait dissocier l’Église mariale et johannique (Le Complexe antiromain; The Office of Peter and the Structure of the Church). En ce lieu, l’identité johannique et mariale de l’apôtre Pierre est manifestée : « Simon, Fils de Jean, m’aimes-tu, "plus que ceux-ci "? » ( Jn 21, 15-16; cf. Jn 19, 26-27. 30). Conforté par sa trilogie, lieu où la gloire de Dieu atteste la grandeur de l’homme et de la femme (doxa grecque; kabôd hébraïque), le Logos divin, Verbe fait chair dans la nature humaine (Chalcédoine) devient l’archétype du féminin et du masculin ( hdf 2-30: cf. Ga 3, 28; Gn. 1,27). C’est pourquoi, je pose cette question. À l’instar de l’Église piétrinienne et de l’apôtre Pierre qui n’est pas considéré comme une simple symbolique, ne devons-nous pas à notre tour considérer le rôle personnel de l’”être femme” Marie au sein de l’Église mariale et johannique? Par ce «fait » même, le ministère de la femme ne se justifie-t-il pas pleinement en Marie, première disciple du Christ, première dans l’Appel et la mission (S.S. Paul VI, S.S. Jean-Paul II)
Plan du chapitre :
Afin de saisir comment Hans Urs von Balthasar ouvre ces horizons sur la spécificité féminine ministérielle posée au sein du christianisme par Inter Insigniores, il y a plus de trente-quatre ans (1976/2010), je ferai appel à quatre articles balthasariens (1977-1996) qui seront suivis d’un article de littérature secondaire, écrite par le traducteur des Prolégomènes de la Dramatique divine, le père Jacques Servais, s.j., actuel accompagnateur spirituel de la Communauté St-Jean fondée par Madame Adrienne von Speyr et le théologien Hans Urs von Balthasar. La relecture des articles spécifiquement balthasariens respecte les thématiques inscrites par l’auteur et l’un de ses traducteurs : Adrian Walker de la Communauté St-Jean. En ce lieu, les aspects spécifiques de la théologique classique sont revisités : révélation biblique, philosophie et théologie, sociologie, tradition et spiritualité : (1) de la Haute Dignité de la Femme; (2) la femme prêtre (News Elucidations, Women priests?) ; (3) réflexions sur la prêtrise de la femme Thoughts on the priesthood of women (1996).; (4) la tradition ininterrompue et la question de l’admission des femmes au sacerdoce ministériel (Inter Insigniores); (5) le ressourcement de la vie spirituelle sous la conduite d’Adrienne von Speyr et de Hans Urs von Balthasar. Les paragraphes 7.2 et 7.3 proviennent de la version anglaise.
1. De la haute dignité de la femme
2. La question de la femme-prêtre chez Hans Urs von Balthasar
3. Réflexions sur la prêtrise de la femme
4. La tradition ininterrompue et la question de l’admission des femmes au sacerdoce ministériel
5. Le ressourcement de la vie spirituelle sous la conduite d’Adrienne von Speyr et de Hans Urs von Balthasar
7.1 : De la haute dignité de la femme
Le premier article balthasarien concerne l’aspect spécifique de la haute dignité de la femme. En ce lieu, Hans Urs von Balthasar réaffirme l’"unité duelle" de l’homme et de la femme en Dieu et dans le Christ. Dans l’unité de l’Alliance, le couple que forme la femme avec l’homme reçoit, dans la Révélation, une telle dignité qui le rend modèle de la manifestation de Dieu en personne. En ce lieu, la féminité devient l’expression du peuple de Dieu (A.A. ; N.A.). Par une vision d’ensemble (Gestalt), von Balthasar conserve en tout temps la visée théologique de son œuvre. De la haute dignité de la femme est présentée sous trois aspects qui s’interpellent entre eux : (1) la relation-fidélité de Dieu envers son peuple (première alliance) ; (2) la mission "personnelle" comme lieu d’intégration à la "personne" du Christ ; (3) le couple au sein de la Trinité : le Logos archétype des deux sexes.
7.1.1: la relation-fidélité de Dieu envers son peuple (première alliance)
Dès la première alliance, la fidélité du couple fut comprise comme la relation-fidélité de Dieu envers son peuple. En elle, il n’y a pas la moindre place pour l’infidélité. (cf. Dt. 4, 29; 5, 9; 6, 15; l6, 21; Ex. 20, 6; 34, 14; Ct. des Ct. 8, 6). Cette pensée reprend ainsi la pensée fondamentale d’Inter Insigniores, car, ce serait par fidélité au Seigneur que le vide de la théologie classique théologique est évoqué. (lère partie). Dirigeant la réflexion vers un autre lieu, Hans Urs von Balthasar, théologien et philosophe, apporte un éclairage neuf à cet aspect. Il établit une nouvelle compréhension de la féminité ; la féminité ne concerne plus l’interdépendance de la femme envers l’homme, mais devient relation entre le peuple (épouse) et le Dieu de l’Alliance (Époux). Au-delà de l’alliance particulière de Dieu et d’Israël, l’appel à la conversion concerne tous les peuples. Une fois, la symbolique de l’adultère dépassée par le retour de la femme (peuple de Dieu), plus rien ne troublera le parfait amour entre l’époux divin et la femme créée. Peut-on répudier la femme de sa jeunesse? Pour von Balthasar, l’idylle du Cantique des cantiques définit cette alliance. En ce lieu, l’époux divin et la bergère sulamite forment un couple heureux, chacun comblant l’autre et chantant ses louanges : à travers l’éros, célébré dans beaucoup de civilisations comme pure réciprocité sexuelle, transparaît l’agapé unique entre Dieu et sa créature, représentée et symbolisée par Israël. (hdf 24-25) Une remarque fait apparaître un fait nouveau et la nécessité d’y remédier. Tel le poète investi d’une mission divine (Hésiode), von Balthasar déplore que l’”évolution de la femme” n’ait pas suivi au sein des cultures. La conscience populaire aurait sans doute perçu le symbolisme religieux comme une expression purement poétique, sans référence à l’Antiquité, lieu où le poète est investi d’une mission. Il en aura tiré des conséquences insuffisantes quant à la relation entre les deux sexes. Telle apparaît chez Balthasar, la transformation attendue. Fortement influencée par les remarques des femmes de son temps, Adrienne von Speyr, co-auteure de son œuvre, déplorait ce fait en regard du rôle des femmes dans l’Église (cf. la mission féminine de Mary Ward/ISJ 41; TH-EV 309)
7.1.2 : la mission "personnelle" comme intégration à la "personne" du Christ
Dès le point de départ de son analyse, Hans Urs von Balthasar attire l’attention sur l’interrelation entre l’homme et la femme. Dans le Christ Jésus, Verbe de Dieu fait chair. la parole de Dieu s’incarnant en un être masculin doit son existence à une femme. Constamment, celui-ci revient vers cette position fondamentale. Toutefois, et c’est là l’importance du "document de travail" sur le Nouveau Ministère selon la Nouvelle Alliance (CIT), c’est en tant que Serviteur de Dieu que la Fidélité du Fils à son Père est établie. Pour von Balthasar, il est essentiel de retenir que l’incarnation provient du Verbe fait chair en Marie, cette Femme choisie par Dieu. Il situe la mission "personnelle" dans l’action de celle qui reçoit et devient participante à l’œuvre divine: « bien qu’il s’agisse ici d’un processus charnel de son fils – ce n’est pas à Marie que revient l’initiative de cette fécondité, mais à la parole de Dieu qui, en elle, veut s’incarner, devenir humaine et masculine. Marie qui, à travers sa fécondité, accomplit l’acte parfait de foi et de disponibilité, se sait répondre à la fécondité de Dieu et être l’instrument de Celui qui aspire à prendre chair humaine et masculine. Et c’est cette volonté de s’incarner – Dieu ayant la primauté en tout – qui rend possible un engendrement spirituel et charnel de nature aussi parfaite dans la Femme choisie. » (hdf 26) Toutefois, seul le fiat de Marie est évoqué dans cette relation particulière entre la Mère et le Fils. La mission "personnelle" de Marie provient de la fin, de l’attestation johannique de la croix. Fondamentale pour la compréhension du ministère eucharistique, Marie est déjà potentiellement la quintessence de l’Église par la mission qui lui est confiée : sous la forme de l’eucharistie, il livre et offre tout son être de chair au corps de l’Église qu’il constitue ainsi. La croix devient la dernière actualisation d’une eucharistie commencée dès l’incarnation. En cela, il précède la pensée du pape Jean-Paul II qui voit en Marie, la femme eucharistique. Tout au cours de l’analyse, von Balthasar tient à préciser l’unité duelle de l’homme et la femme dans le Christ (Dramatique divine) : d’une part, il ne s’agit pas de définir la relation de l’homme et de la femme dans le Christ en regard de la sexualité, mais d’autre part, la femme, dans le Christ, perd tout aspect d’infériorité (Ga 3, 28 ; Ep. 5, 21-23). À cet effet, je vous invite à méditer la dernière prière de Jésus-de-Nazareth à la croix (Mc et Mt). Une relecture du Psaume 22 dans son entièreté permet de saisir davantage la théologie johannique. Hans Urs von Balhasar tient à se distancer d’une perception "dominé-dominant", où l’homme acquièrerait une certaine supériorité par rapport à la femme – supériorité qui ne trouverait sa justification que dans une imitation du Christ et dans son don sans réserve à l’Église. Aussi explique-t-il, cette pensée uniquement en regard de la perception du Dieu de la première alliance, lieu où la relation homme-femme devient le reflet en ce monde de la relation Dieu-créature (Époux-épouse). Pour von Balthasar, il serait inacceptable de justifier l’infériorité de la femme à partir de la première alliance. Dès la première alliance, plusieurs femmes, dans leur personnalité propre, sont en interrelation avec Dieu : Sara, Miryam, Débora, Hana, Avigayil (Abigaèl), Houlda, Esther-ha-Mahaka et autres prophétesses reconnues par le peuple juif.
7.1.3 : le couple au sein de la Trinité : le Logos archétype des deux sexes
Demeurant ouvert à la théologie paulienne, Hans Urs von Balthasar revient toutefois au fondement théologique de sa trilogie: le Logos, Verbe de Dieu fait chair est présenté comme l’archétype du féminin et du masculin. Cette perception théologique est fondamentale pour une nouvelle interprétation des fondements du sacerdoce ministériel. Celui-ci établit un déplacement. Seule la filiation dans le Fils permet au Logos, Verbe de Dieu fait chair de devenir « l’archétype des deux sexes ». (hdf 28) En lui, nous devenons et sommes fils et filles de Dieu.
Un discernement sera toutefois effectué entre le pouvoir d’engendrement du couple humain et la dimension trinitaire de chacune des personnes divines. À cet égard, « si le masculin et le féminin sont indissociables dans l’engendrement d’un enfant, il n’en est pas ainsi de la dimension trinitaire en Dieu. Chaque personne divine a sa propre hypostase; elles sont proprement une et distincte. » (hdf 28) La dimension trinitaire de chaque être humain par la filiation du Fils, Verbe de Dieu fait chair, constitue la trame de sa réflexion : « les deux sexes créés dans le Fils se doivent en Lui et par Lui en dernière instance au Père, qui crée les possibilités originelles du masculin et du féminin. » (hdf 28) Profondément convaincu de la dignité de chacune des personnes humaines, von Balthasar réitère constamment cette affirmation. À cet égard, « si les deux sexes, dans une égale dignité, procèdent de Lui comme de leur source première, c’est le Fils qui demeure l’archétype de chacun d’eux. » (hdf 29) Celui-ci permet ainsi d’élargir la christologie du Nouveau ministère selon la Nouvelle Alliance qui consiste à définir le rôle de la femme, non pas à partir de la masculinité ou de la non-masculinité du candidat ou de la candidate, mais, à l’intérieur de l’ordre de la création et de l’Église. Pour l’auteur, l’action du Christ envers l’Église est un service tourné vers Dieu afin que le Royaume sous sa dimension trinitaire soit accompli (Serviteur de Dieu). Il en serait ainsi du sacerdoce ministériel, dans sa dimension de service, en vue de l’accomplissement de la fiancée de l’agneau, l’Église du Christ. Terminant cette brève analyse de la haute dignité de la femme, von Balathasar définit la féminité comme ministère d’unité, entre la première et la seconde Alliance, lieu où la Jérusalem céleste est identifiée à la Sulamite éternelle, aimée par le Salomon éternel. La féminité devient alors l’expression de la communauté croyante, homme ou femme. À cet égard, si la tragédie grecque est considérée comme la clé d’or à la compréhension de l’Événement Jésus-Christ, la "péripétie" de la fin (le Domaine de la Métaphysique) fait apparaître son intention première, son point de départ (beau) qui est l’intégration de la première alliance dans la Nouvelle Alliance, dans l’absoluité de Dieu (Barth et Balthasar; cf. Ps 22 de Mathieu et Marc). En ce lieu, la femme n’est plus considérée uniquement comme représentation, mais comme être réel : par ce qu’elle "est" (« tradition ininterrompue et admission des femmes au sacerdoce ministériel ») ; par ce qu’elle représente (peuple de Dieu), pour ce qu’elle reçoit (beau-bon-vrai), dans le Verbe de Dieu fait chair, archétype des deux sexes. ( cf. hdf 24-30)
7.2 : La question de la "femme prêtre" chez Hans Urs von Balthasar
La possible ordination de la "femme prêtre" fait l’objet d’un chapitre du livre New Elucidations. Partagé en deux parties, l’article reprend un des aspects fondamentaux de son esthétique théologique soit l’indissociabilité entre la philosophie et la théologie. En première partie, Hans Urs von Balthasar évoque en fait, ce qu’il évoquait dans sa Métaphysique, la perception du féminin en tout être humain, compris comme acte réceptif (philosophie). La deuxième partie intègre la philosophique à la théologie. La féminité en Marie réaffirme ce qu’il développait dans son article consacré à la haute dignité de la femme : il établit en elle le lien entre la première et la nouvelle Alliance, Marie, symbole "réel" d’Israël et Mère de l’Église "visible". Confortant ainsi la possible ordination de la femme prêtre, la présente analyse retient trois aspects : (1) la provenance du texte et son introduction ; (2) la perte de l’élément féminin en philosophie ; (3) la féminité comme essence et nature de l’Église visible.
7.2.1 : La provenance du texte et son introduction
Le texte auquel se réfère notre analyse fut publié dans un premier temps en original allemand ; il s’agit de l’un des chapitres du Neue Klarstellungen, traduit en version anglaise sous le thème New Elucidations. La traduction anglaise fut rédigée par une religieuse : Sœur Mary Theresilde Kerry. La présente étude provient de cette traduction. Un fait est à remarquer, la question de la "femme prêtre" sera reprise sous un autre facette dans la revue Communio quelques mois après la parution d’Ordinatio Sacerdotalis du pape Jean-Paul II (7.3).
Dès le point de départ de cette brève étude sur la femme prêtre, Hans Urs von Balthasar, philosophe et théologien, révèle la complexité de la question lorsque celle-ci est située au sein du dialogue œcuménique. Pour l’auteur, la question de la femme prêtre est fort complexe, car elle advient dans un temps de transformations fondamentales au sein de notre société ; la question concerne les Droits de l’Homme selon l’égalité, homme et femme. Tel ne sera pas le point de départ de l’analyse balthasarienne. L’analyse provient dans un premier temps des fondements de son esthétique théologique (La Gloire et la Croix). Celui-ci déplore les difficultés de notre société qui, tout en étant ouverte aux principes d’égalité des droits humains, ne considère souvent uniquement que l’aspect négatif de la question posée par Inter Insigniores. L’engagement des femmes pour la pleine reconnaissance de leurs droits n’est pas toujours compris (Jean-Marie Tillard). De là, la difficulté à se faire entendre où à reconnaître la femme pour ce qu’"elle est", dans sa réalité profonde (cf. NE-WP? 187). Tel que nous avons pu le percevoir dans l’article précédent, la question de la féminité, tout en intégrant la filiation de la femme dans le Christ, dépasse certains aspects du ministère sacerdotal. La problématique inscrite désormais au sein du dialogue oecuménique porte en soi une véritable question théologique selon que l’on considère le sacerdoce comme représentation du Dieu-Époux ou selon que nous attestions que dans la filiation du Christ, l’homme et la femme sont déjà représentés (6.1).
Dès lors, il semblerait nécessaire d’établir ma position. Désireuse de comprendre l’entièreté de l’analyse balthasarienne, je m’abstiens tout d’abord de toute remarque qui pourrait éloigner le lecteur ou la lectrice de l’objectif fixé par Hans Urs von Balthasar afin de donner au texte, la chance de se dire. En considérant que le volume fut publié en 1979, ce texte concerne toutefois les fondements de son esthétique théologique. Tentant de démontrer le lien entre le féminin en philosophie et la féminité en théologie du ministère, von Balthasar présente son argumentaire en deux parties : la première concerne la perte de l’élément féminin en philosophie et la seconde présente la féminité comme essence et nature de l’Église visible.
7.2.2 : La perte de l’élément féminin en philosophie
Dès le point de départ, von Balthasar reprend les éléments soutenus en théologie féministe : les questions du matriarcat et du patriarcat. Tout en reconnaissant que la culture matriarcale est terminée depuis longtemps, il souligne toutefois que la fin de la culture patriarcale ne fait que débuter. De là, le désir exprimé de comprendre cette problématique, essentielle en théologie du ministère. Posant la question de l’égalité homme-femme dans une société à prédominance masculine, il semblerait difficile à nos contemporains de saisir l’objectif fixé, sans une masculinisation surnaturelle de la femme ou un nivellement de la différence entre les sexes selon les critères uniquement sociologiques. Telle est la pointe de l’argumentaire balthasarien ! Fait-il alors allusion aux citations de l’introduction d’Inter Insigniores, uniquement centrées vers la constitution pastorale de l’Église (Gaudium et Spes) ? Fait-il référence au vide théologique mentionné ? Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons que déplorer l’absence de la Constitution dogmatique Lumen Gentium. Dans une étude des fondements du sacerdoce ministériel, comment omettre le fiat de Marie, aspect fondamental de la spiritualité du prêtre (2.1)? Toutefois, affirme l’auteur, si pour certains cette contradiction entre le masculin et le féminin peut être rejetée comme un illogisme féminin; elle révèle « l’une des plus profondes tragédies de notre siècle » (cf. NE-WP 188). On s’éloigne de l’acte "réceptif-contemplatif". De là jaillit, l’importance de jeter des ponts entre la foi et la culture. Il évoque la prédominance du rationalisme desquelles les choses naturelles et l’environnement signifient surtout les "matériaux" manufacturés. Aussi, rappelle-t-il une ouverture vers l’acte contemplatif. Depuis que la culture existe, l’homme a conservé son équilibre dans une attitude de contemplation de la nature tout en étant réceptif de son caractère essentiel, une attitude « possible » en terme généralement philosophique. (cf. NE-WP? 144) À cet effet, s’il était considéré pour ce qu’il est, l’acte réceptif ou attitude contemplative permettrait d’unifier le féminin (philosophie) et la féminité (théologie du ministère). Von Balthasar soutient que lorsque « la philosophie arrête là où le contemplatif-réceptif s’est transformé simplement en quelqu’un de calculateur, (ce que quelqu’un peut faire avec une chose), un élément féminin- pour le dire brièvement - qui met une personne en sécurité naturellement et comme cela étant, est abandonné en faveur de la prépondérance de l’élément masculin, lequel fait avancer les choses afin de les changer en implantant et en imposant quelque chose à sa façon » (cf. NE-WP? 188-189) . Constamment celui-ci revient à son esthétique théologique. Comment établir un lien entre les diverses disciplines sans un véritable dialogue entre la philosophie et la théologie. Von Balthasar rejette un positivisme du "faire" et de "l’artisan de son propre moi", axé uniquement sur la matérialité objective sans référence à l’élément actif du principe féminin. Dans ce contexte, même l’Esprit lui-même est en danger de devenir matière à manipulation personnelle, et dans sa globalité, devient une chose non réifiable, il est oublié.(cf. NE-WP? 189)
Tout en énonçant la diversité des mouvements féministes qui travaillent au renouveau de la pensée, il pose des exigences qui, selon sa perception, pourraient porter fruit dans un dialogue sincère entre l’homme et la femme. Von Balthasar désire ce dialogue et incite, alors, les femmes à l’engagement : « Nous ne devons pas imaginer, soutient-il, que les choses tomberont en place par elles-mêmes; cela prendrait des décisions morales profondes de la part des femmes pour saisir les rayons de la roue qui roulent autrement vers l’absurde ». (cf. NE-WP? 191) Toute transformation ecclésiale ne peut jaillir que dans la sérénité et par un lien indispensable avec une étude des fondements, une étude des sources. C’est en ce sens que la trilogie présente un apport considérable à l’étude de la femme prêtre.
7.2.3 : la féminité comme essence et nature de l’Église visible
Tel que perçu, tout au cours de l’étude de la trilogie balthasarienne, la théologie johannique fonde l’ensemble de cet argumentaire théologique. Par l’indissociabilité entre la philosophie et la théologie, fondement de son esthétique théologique, Hans Urs von Balthasar établit christologiquement le passage du "féminin" (philosophie) à la "féminité" du peuple Israël en Marie. En ce lieu, la mission "personnelle" de Marie, symbole “réel” d’Israël devient fondamental en christianisme. Il ne s’agit pas de percevoir la mission de la femme sous une symbolique ecclésiale, mais bien de saisir la mission "personnelle" de celle-ci qui, en théologie du ministère, constitue l’un de ses aspects fondamentaux : l’in persona Christi. En établissant le passage d’une conception communautaire de la féminité comme peuple de Dieu, à la reconnaissance de la « personne dans le Christ », von Balthasar établit le lien entre ce rôle essentiel et l’acte liturgique. Il est indéniable pour lui que l’Église du Christ débute par le "oui" de la Vierge de Nazareth, qui résume en elle, la foi d’Israël. Chez von Balthasar, il est fondamental de redécouvrir ce rôle essentiel de Marie comme mère des disciples, mère des apôtres, mère de l’Église visible. (cf. NE-WP? 192; cf. S.S. Jean-Paul 11, Lettres aux prêtres à l’occasion du Jeudi-Saint, 1987, a. 13)
Les théologies, lucanienne et johannique, ne sauraient omettre ce rôle fondamental. La fécondité active de Marie surpasse alors toutes les fécondités de femme (foi identitaire judaïque). Chez von Balthasar, la consécration officielle de Marie, mère de l’Église visible, constitue le fondement pour une transformation du ministère sacerdotal. Sous d’autres aspects, la reconnaissance de Marie, comme symbole "réel" d’Israël témoigne de la véracité de l’énoncé. L’article balthasarien permet de saisir l’ouverture, initiée par la Commission Internationale de Théologie envers Marie et Marie de Magdala (2e chapitre). Selon von Balthasar, les Douze qu’il a désignés et investis des pouvoirs nécessaires seront choisis trente ans plus tard. Ils ont reçu des fonctions masculines de direction et de représentation à l’intérieur de l’Église mariale, inclusivement et largement féminine. Celui-ci rappelle alors l’interrelation évoquée en théologie johannique, sous la constellation christologique primitive : « ce que Pierre recevra (…) pour ses fonctions de dirigeant sera une part partielle dans l’entière perfection de l’Église mariale et féminine. Et ce que les hommes consacrés reçoivent dans leur fonction, dans le sens du pouvoir de consacrer et d’absoudre comme une fonction spécifiquement masculine provient d’une part de cette fécondité mariale : avant l’eucharistie, elle a donné naissance au Christ et elle a été absoute pour toute l’éternité, appartenant non officiellement à la parfaite Église féminine. Pour Von Balthasar, le ministère ne provient pas uniquement de la "représentation" du Christ (7.4), mais, également du fiat de Marie intégrée à la filiation du Logos, Verbe de Dieu, fait chair, archétype des deux sexes (7.1). « Le Christ, d’autant qu’Il représente le Dieu de l’univers dans le monde, est également l’origine des deux principes, l’Église féminine et masculine. En considération de lui, Marie est « prérachetée » et Pierre et les Apôtres sont confirmés dans leur fonction. Et en tant que le Christ est homme, il représente encore l’origine, le Père, pour la fécondité de la femme qui est toujours dépendante de la fécondité originale. Aucun de ces points ne doit être relativisé, ni être la représentation résultante de l’origine du ministère de l’Église. » (cf. E-WP? 193-194) Von Balthasar affirme sous cet aspect que ce ne sont pas les apôtres qui ont attesté le ministère des femmes dans le christianisme primitif, mais le Jésus de la Croix johannique (Jn 16, 21 ; Jn 19, 26-27. 30 ; Jn 21, 15-16; cf. Mc 15, 34, Mt 27, 46 /Ps 22, 2. 10-11). La dimension mariale fondamentale de l’Église, telle que perçue par les pères de l’Église, par le Moyen Âge et même la période baroque confirme sa perception. De là, découle, son insistance envers la reconnaissance de Marie, comme Mère de l’Église visible. Le titre « Mère de l’Église » représente une tentative pour rattraper quelque chose de la conscience appartenant à la chrétienté depuis près de deux mille ans.(cf. NE-WP? 194)
Cependant, Hans Urs von Balthasar ne fait pas uniquement référence à la mission "personnelle" de Marie, mais proclame les diverses missions féminines qui depuis ce temps poursuivent leurs actions au sein de la vie de l’Église. Tel que présenté dans sa métaphysique des saints et des saintes et au premier volume de sa trilogie, von Balthasar est interpellé par la phénoménologie de la vérité (Vérité du monde). De Catherine Labouré à Bernadette de Lourdes, le témoignage de l’Ecclesia immaculata est ininterrompu. À cet égard, écrit-il, la hiérarchie masculine serait assez d’accord pour reconnaître les messages de Lourdes et de Fatima, et les nombreuses encycliques mariales des papes ont souligné l’importance de reconnaître la place légitime de la femme dans la nature profonde de l’Église. Par conséquent, dit-il, « on doit se prémunir contre l’exaltation ou l’élévation du service de l’évêque et du prêtre à une aptitude (quality) fondamentalement inaccessible aux femmes. » (NE-WP? 195-196) Cependant, von Balthasar termine son exposé par deux interrogations qu’on ne saurait ignorées dans une telle étude : « Qui, dit-il, a la préséance à la fin?: - l’homme portant un ministère pourvu qu’il représente le Christ dans et devant la communauté? - ou bien - la femme, en qui la nature de l’Église est incarnée- tant et si bien que chaque membre de l’Église et même les prêtres, doit conserver une ouverture féminine au Christ ? Dans le Seigneur, dit-il, la femme n’est pas indépendante de l’homme ni l’homme de la femme. Tout comme la femme (Ève) vient de l’homme, ainsi l’homme (incluant le Christ) vient par la femme; mais tout vient de Dieu (1 Cor 11 : 11-12).» (cf. NE-WP? 197; cf. Lettres aux prêtres... 1987, a. 13 )
Une autre facette nous est offerte. Le chapitre suivant du volume New Elucidations interrogent les rôles des théologiens et des théologiennes, qui dans notre contemporanéité répondent à l’appel reçu. Constamment, il justifie la place de la femme dans le ministère en rappelant les fondements de l’Église du Christ. En ce lieu, la mission "personnelle" de Marie apparaît avant l’appel des Douze. Nous retrouvons cette pensée chez l’exégète Raymond E. Brown (La mort du Messie, 1125. 1128) . Brown fonde l’Église du Christ en Jean, lieu où la mère n’est pas considérée uniquement en sa maternité physique, mais comme première disciple du Christ. (cf. Jn 16, 21 ; 19, 26-27. 30).
7.3 : Réflexions sur la prêtrise de la femme (1996)
Le troisième article concerne l’aspect psychosocial de la prêtrise de la femme. Cela signifie toujours chez Hans Urs von Balthasar, l’interaction entre la première alliance et la nouvelle Alliance. Il dénote que le seul principe qui pourrait conduire à fonder explicitement la non-ordination de la femme ne pourrait parvenir que de la rupture entre les deux alliances. Or, suite au renouveau exégétique, nous savons maintenant que la "gloire" de Dieu, ne crée aucune césure entre la doxa grecque et le kabôd hébraïque. Afin d’atteindre ce niveau de compréhension, von Balthasar partage son analyse en deux parties précédées de considérations préliminaires. Constamment interpellée par la théologie johannique, la foi "personnelle" et "féminine" de l’Église (mariale, johannique, pétrinienne) ne peut atteindre sa plénitude psychosociale que sous la dimension trinitaire eschatologique du nouveau ministère selon la Nouvelle Alliance, dans l’inward et l’outward, de l’unique sacerdoce du Christ Jésus (2e chapitre). Ces réflexions fondamentales sont essentielles dans une quête des fondements du ministère de la femme prêtre, elles sont présentées en trois temps : (1) les considérations préliminaires ; (2) le sacerdoce du Christ ; (3) le sacerdoce ministériel au sein de la vie de l’Église.
7.3.1 : les considérations préliminaires
Dans un premier temps, Hans Urs von Balthasar situe les divergences ecclésiologiques qui émergent sur la question de la femme prêtre : (1) la perspective sociologique de la théologie féministe ; (2) la succession apostolique considérée comme Loi divine; (3) la libération de la femme par le Christ; (4) l’inward et l’outward du ministère ordonné ; (5) l’interrelation entre le sacerdoce baptismal et le ministère sacerdotal.
7.3.1.1: la théologie féministe et sa perspective sociologique
Dès le point de départ, Hans Urs von Balthasar reprend sensiblement les points forts de son analyse de la femme prêtre (6.2). Cependant, il serait difficilement acceptable pour lui de traiter de la question de la femme prêtre uniquement à partir de son aspect sociologique. Dès le point de départ, il situe la question : « la non-ordination (Amt-fonction) de la femme proviendrait d’une incompréhension du judaïsme et de l’incompréhension de la féminité qui se perpétue toujours au sein de la vie de l’Église.» (cf. pw 701-702) Il reprend les énoncés souvent cités sur les notions de "pouvoir" et de "patriarcat" qui même s’ils tendent à disparaître, en constituent toujours le discours. Toutefois, von Balthasar s’éloigne de ce discours devant l’évidence égalitaire d’une analyse sociologique. (cf. pw 702)
7.3.1.2. la succession apostolique, une Loi divine.
Dans un deuxième temps, von Balthasar pose le principe de la Loi divine et de l’unique succession apostolique comme fondement du ministère sacerdotal. Aussi, est-il bon de mentionner que l’étude balthasarienne ne considère pas la question de la succession apostolique comme un obstacle à la prêtrise de la femme. Celui-ci déplore l'importance inappropriée accordée à la "différence" essentielle entre les constitutions des Églises chrétiennes qui ne concernent pas, sur ce point, la différence ou l’égalité entre les sexes, mais la validité du ministère "ordonné" (Inter Insigniores). Cependant, souligne-t-il, le premier point (de jure divino) demande que nous le considérions plus sérieusement afin de déterminer s’il est possible d’établir, en ce lieu, le point de départ du Nouveau ministère selon la Nouvelle Alliance pour une intégration de la femme à celui-ci.
7.3.1.3. la libération de la femme par le Christ, selon la Nouvelle Alliance
Fondant son énoncé à partir de l’événement Jésus-Christ, Hans Urs von Balthasar soutient que le Christ apporte en son temps une ouverture sans précédent envers la "libération de la femme" de l’esclavage. Afin d’expliciter sa position, il revient aux premiers volumes de sa trilogie, plus spécifiquement à la Nouvelle Alliance. Les récits lucaniens ne sont-ils pas considérés par lui, comme les premiers lieux d’intégration de la femme à l’homme (vir) Jésus-Christ (cf. 4.4.2.6; cf. 7.3.2.3). Divers textes bibliques sont alors cités : l’entretien de Jésus avec la Samaritaine; la pécheresse chez les pharisiens, l’épisode de la femme adultère; sa proximité à travers ses voyages envers les femmes de son entourage; le rôle apostolique de Marie Madeleine au matin de Pâques; les récits pauliniens accordant dans un premier temps, le divorce autant à la femme qu’à l’homme (l Cor 7, 10 ss.) et dans un deuxième temps, la position relativisée d’Ève en regard d’Adam (l Cor 11, 12) pour une reconnaissance des droits humains accordés aussi bien aux femmes qu’aux hommes (l Cor 7,4). (cf. PW 304-306) Von Balthasar déplore toutefois que cette "libération" de la femme puisse apparaître contre le principe de l’égalité (einmalig : unique) par une réévaluation permanente de la "différence" entre les genres. En fait, cette différence serait maintenue partout. Dans un premier temps, elle serait maintenue par la désignation spéciale de Marie comme mère du Seigneur et, dans un deuxième temps, en Jean l’ici de l’Église; cette différence serait liée à la relation sponsale "incarnée" entre le Christ-Époux et l’Église-épouse (Eph 5). Toutefois et c’est là, l’élément-clé pour une ouverture envers l’esthétique théologique balthasarienne, un fait est à noter : la teneur de la symbolique de la féminité, dans le premier article de cette troisième partie, soutient la préséance de la haute dignité de la femme. Chez von Balthasar, cette symbolique permet d’établir la perception de la première alliance entre Dieu et Israël qui n’avait pas encore écho dans la sphère de la sexualité, et qui n’avait aucun rapport avec le paganisme ou la "syzygies" de la Gnose (cf. pw 703; cf. 7.1). De là découle une demande de "réévaluation" du rôle de la "femme" (Bible et tradition). (cf. pw 703) Nous retrouvons ainsi l’un des éléments-clés qui sollicitent une réévaluation de la prêtrise féminine par une ouverture à la dimension trinitaire, christologique et pneumatologique, de l’acte eucharistique. Le christianisme, soutient-il, est la religion de l’amour incarné et cet amour ultime présuppose la dimension trinitaire de Dieu, en qui les "Personnes" sont si différentes qu’elles ne peuvent être soumises à aucun concept générique humain de "personne". Précisément, cela constitue l’unique et seule essence de Dieu. Ceci suggère alors le principe anthropologique suivant : la caractéristique la plus diversifiée de l’homme et de la femme dans l’identité de la nature humaine provient de leur "communion" dans l’amour. (cf. pw 703)
7.3.1.4. L’inward et l’outward du ministère ordonné
La dernière considération préliminaire présente l’égale dignité baptismale des personnes dans le Christ Jésus. En ce lieu, chacun ou chacune des baptisés (es) est "prêtre de Dieu" (Apoc. 1,6; 5,10), un "prêtre de Dieu et du Christ"(Apoc. 20,6). Comme prêtre, celle-ci offre "dons et sacrifices"(He 5,1) qui proviennent tous de sa "personne propre". Von Balthasar cite alors la péricope paulinienne : "présenter votre corps comme un sacrifice vivant, saint et acceptable à Dieu, qui est votre travail spirituel" (conforme au Logos; cf. Rm 12,1). Toutefois, et c’est là une des clés fondamentale pour la réévaluation de la prêtrise de la femme : le sacerdoce baptismal n’exclut pas le sacerdoce ministériel. Deux perceptions provenant de l’unique sacerdoce du Christ demandent la considération de l’intériorité de la personne appelée au sacerdoce ministériel : la prêtrise provenant de l’intériorité "inward", en contraste avec le ministère de la prêtrise ou office ministériel (Dienstamt : fonction, service) qui est un ministère "externe" (outward) . Afin de justifier théologiquement sa pensée, celui-ci fait appel à un autre point spécifique, la perception de la "multitude" souvent évoquée afin de fonder théologiquement le ministère sacerdotal. Il ne fait pas appel à ce critère. Seul l’appel "personnel" est considéré comme lieu possible d’ouverture : « la prêtrise (outward), soutient celui-ci, ne provient pas de l’ensemble, de la multitude, mais est donnée à l’"individu" qui par l’"imposition des mains" est consacré pour un "ministère spécifique, un ministère saint". Ce passage tend à démontrer que chaque ministre ordonné [Amtspriestertum], concerne ce qu’il convient d’appeler sainteté objective. Entièrement consacré au service de l’intériorité (personnelle, existentielle) ministérielle des croyants et croyantes, cela présuppose la réalisation inconditionnelle de la prêtrise (inward) dans le ministère ordonné. » (cf. pw 703) Toutefois, tout en spécifiant cet aspect, ignatien avant tout, celui-ci revient vers l’attitude mariale, essentielle chez les disciples de saint Ignace de Loyola. En ce lieu, Adrienne von Speyr et Hans Urs von Balthasar intègrent la mission "personnelle" de Marie et les missions féminines au ministère de Pierre (cf. 5.3.1). Cette pensée oriente l’ensemble de la trilogie : de la Gloire et la Croix à son Épilogue. Fondamentalement biblique, la question posée concerne l’identité mariale et johannique mentionnée dans le ministère de Pierre (apôtre marié). Ce sera comme fils de Jean, que celui-ci est installé dans son ministère : "do you love me more than these?". Si oui, "pais mes brebis". En ce lieu, la relation entre les deux formes (inward et outward) constitue le noyau fondamental de l’esthétique théologique vonspeyrienne et balthasarienne. Par ce point, von Balthasar revient au noyau central de son ecclésiologie et de sa christologie : l’intégration "des" et "dans" les fondements du ministère sacerdotal de Pierre, du ministère de Marie et par conséquent des missions féminines (théologie inductive). Dans une vision d’ensemble, il unifie les deux aspects du sacerdoce. (cf. CA 255; pw 703)
7.3.2 : les considérations théologiques et la masculinité du Christ
Le deuxième aspect concerne les considérations théologiques du sacerdoce ministériel. Plus spécifiquement, sa masculinité. Dans cette partie d’analyse, Hans Urs von Balthasar établit le passage de la masculinité du Fils dans son rapport au Père-Époux (A.T.) à la dimension trinitaire de la Nouvelle Alliance, lieu d’intégration de l’homme et de la femme dans le sacerdoce unique et spécifique du Christ Jésus (2e chapitre). En ce lieu, s’expriment la "continuité" et pourtant la "nouveauté" révélée en la divinité du Christ Jésus prenant nature humaine d’une femme (Chalcédoine). Cette partie de l’analyse propose à la réflexion, quatre aspects spécifiques : (1) l’inward et l’outward du sacerdoce du Christ ; (2) la distanciation balthasarienne avec le sens patriarcal de la modernité ; (3) l’intégration de la théologie mariale; (4) l’objection de la subordination de la femme selon la Nouvelle Alliance.
7.3.2.1. l’inward et l’outward du sacerdoce du Christ
Dans son essence, écrit von Balthasar, le Christ grand-prêtre est caractérisé par l’aspect personnel de son sacrifice unique : l’inward du sacerdoce du Christ (He 9, 12-14). Cette prêtrise, soutient-il, à la suite de la Commission Internationale de Théologie (2e chapitre) est absolument unique, parce que le sacrifice du Christ est fondé sur sa filiation divine. Toutefois, comme envoyé, il accomplit en même temps, le mandat reçu du Père. Il s’agit en son humanité d’une théologie de la réception. Cependant, identifiée d’une part selon son essence, une installation dans un ministère ou conférée par l’autorité, ecclésiale ou synagogale, n’apparaît point dans son cas ; le Christ n’a pas été choisi et investi des pouvoirs comme Fils de Dieu; aucun autre que le Messie d’Israël ne peut être ordonné à ce ministère spécifique. D’autre part, Jésus est envoyé par le père et il accomplit ce "mandat"(mandatum). Tel est le spécifique de cette pensée : Jésus meurt sur la croix dans un acte "personnel". Il perd sa vie pour les péchés du monde tout en représentant en Lui, l’amour réconciliatrice du Père (2 Co. 5,18). Ces deux aspects, soutient-il, sont inséparablement unis dans la communion de l’Esprit du Père et du Fils. Pour von Balthasar, ce serait à travers l’Esprit éternel que Jésus s’offre lui-même, sans souillure, à Dieu (He 9,14). La dualité des aspects de ce sacrifice particulier apparaît clairement en Jean, quand Jésus proclame sa propre autorité et son pouvoir plénier. Il fait cela parce qu’il sait qui il est. "Je rends témoignage à moi-même, et le Père qui m’envoie me rend témoignage". En ce lieu se situerait la plus profonde source de la division (trinitaire) entre le caractère interne et externe du sacerdoce dans l’Église : offrande de soi (Selbsthingabe : don de soi) – et envoyé (Auftrag : contrat). (cf. pw 704; TH-EV 338).
7.3.2.2. la distance balthasarienne avec le sens patriarcal de la modernité
Au deuxième point, Hans Urs von Balthasar pose la question fondamentale, la question de la masculinité évoquée pour éloigner la femme du ministère sacerdotal. Aussi, ne sera-t-il pas étonnant de le voir s’éloigner de cette perception : comme homme, la masculinité du Fils ne comprend pas le patriarcat selon la perception de la modernité. Von Balthasar atteste en même temps l’"unité duelle" de l’homme et de la femme dans le Christ Jésus. D’une part, aussi loin, dit-il, que l’incarnation du Fils doit révéler et représenter dans son existence l’amour du Père vis-à-vis du monde, il peut le faire uniquement comme être masculin. D’autre part, « cela ne suggère pas que le Père est l’archétype de l’être créé masculin (du Christ), qui lui-même provient de la femme (l Co. 11, 12) et qui ne porte fruit sans cette participation. La paternité de Dieu ne concerne en rien le "patriarcat". » (PW 704) Cependant, Von Balthasar tient à rappeler qu’en prenant nature humaine, le Fils de Dieu, Verbe fait chair, participe à la vie de l’homme et de la femme. Dès lors apparaît la dimension trinitaire de son Être. Son sacrifice unique ne demande alors aucun complément (Ergänzung : complément). « Jamais, stipule-t-il, celui-ci ne peut être enrichi par quoi que ce soit, à titre d’exemple par le sacrifice de l’Église (by the Church’s sacrifices, for example). En contre point, tout en considérant cet aspect de sa divinité (Dieu-homme), il ne devient pleinement humain que si cette "masculinité", pour atteindre la plénitude de sa grâce, est complétée par le "principe féminin". » (cf. pw 704) Cette considération justifierait l’ambiguïté corrigée par Paul : "dans ma chair, je complète ce qui manque aux détresses du Christ en faveur de son corps l’Église" (Co 1,24). De là découle la nécessité d’intégrer la théologie mariale au cœur même de la problématique ecclésiologique.
7.3.2.3. l’intégration de la théologie mariale
À cet égard, cette complémentarité ne peut être perçue que dans le développement total de la mariologie. En ce lieu, le point central de l’œuvre balthasarienne rend possible cette complémentarité qui ne peut arriver toutefois que sous le plan purement naturel de la "physiologie" ou de la "psychologie". Pour mieux dire, seulement si cet homme qui provient de la femme comprend que la femme a alors "quelque chose à faire" pour l’accomplissement de cet unique sacrifice. Cela présuppose un unique apport de sa nature graciée (union hypostatique et don de l’Esprit). Sous cet aspect, la nature graciée ne représente pas le Père mais l’accomplissement du sacrifice (Mt 5,17 ; Jn 19, 30 ; 2e chapitre). « Elle conserve son caractère propre pour le sacerdoce interne (inward, personnel, existentiel) pourvu que sa féminité complète la nature de l’homme. Élever par la grâce par l’Esprit, il nous faut comprendre que c’est l’unicité de la "tâche" et "la mission" du Fils de représenter le Père, un aspect qui serait dépendant de sa masculinité comme être divin. C’est en tant que Fils qu’il agit au nom du Père et c’est en Lui que nous recevons notre propre filiation de fils et filles du Père. » (PW 705) Le Logos, Verbe de Dieu fait chair, est l’archétype des deux sexes (7.1). Sous cette perception, je considère qu’il est fondamental de revenir à l’entièreté du Psaume 22, considéré par Marc et Mathieu comme la dernière prière de Jésus (cf. Guillaume de Menthière/L’Eucharistie, à l’école de Marie 126) En ce lieu, la mission du Fils n’est-il pas attestée « dès le sein de la mère » (Ps 22, 10-11) ?
7.3.2.4. l’objection de la subordination de la femme selon la Nouvelle Alliance
Avant d’aller plus loin, Hans Urs von Balthasar questionne un autre point, l’objection formulée selon les sexes dans la Nouvelle Alliance. Une question le hante. Il s’agit pour lui de percevoir au sein du christianisme, le moment, où celui-ci élève la relation entre le Christ et l’Église (représentée archétypiquement par Marie) au statut de prototype du "mariage" pour exprimer les relations entre l’homme et la femme (2 Co 11,2; Eph. 5, 22-23). La question est importante, « car elle sous-tend la présumée subordination de la femme.» (pw 705) Ausssi, revient-il à l’énoncé de la question proposée en 7.1 de notre chapitre par l’analogie entre le Dieu-Époux (mari) et Israël-épouse (femme). La question est sérieuse, car selon sa pensée, ce postulat ne peut demeurer dans une conception de la nouvelle Alliance (théologie nouvelle). Selon cette pensée, ce fait ne pourrait demeurer, uniquement que si nous considérons une "rupture" entre la première et la nouvelle Alliance. Aussi, corrigera-t-il cette perception dans une communion d’amour. Von Balthasar ne peut toutefois qu’esquisser ce grand sommaire qui forme la réponse à cette objection: « la réponse commence en concédant ce qui suit; dans la relation originelle entre Dieu le créateur et le monde créé, la première créature qui se tient devant Dieu est féminine et réceptive. Cependant, cette réception ne doit pas être regardée comme une "passivité" de la part de la mère; son témoignage est suprêmement actif et fructueux. Fondamentalement, la plénitude de la grâce se tient dans une quasi "sagesse" féminine (kochma) présente en Dieu lui-même, qui demande à être développée dans et à travers la création.» (cf. PW 705) Prenant appui sur les pères de l’Église, celui-ci considère que ce qui se produit archétypiquement en Marie sera transformé analogiquement au sein de l’Église-Mère. Portant "à terme" tous les membres du Corps du Christ, celle-ci aide ainsi le Christ à atteindre la plénitude de la "nature humaine" (Eph 4.13).
Cependant, et cela est fondamental en théologie balthasarienne, cette brève réponse à l’objection posée ne peut toutefois être comprise que dans une vision englobante de la théologie (Gestalt). En ce lieu, il devient possible de saisir l’intégration de la femme à la "constellation christologique" primitive, telle l’intégration de Pierre, Paul, Jean et Jacques (Dramatique divine). Considérant, cette démonstration comme une "brève réponse" à l’objection soulevée lors des discussions sur la question de l’ordination de la femme à la prêtrise, celui-ci soutient que l’essence de la femme en tant que créature, mariologie et ecclésiologie doit toujours, si la discussion est théologique, se tenir dans une vision d’ensemble. Considérant que la légende du Paradis, selon laquelle la femme provient de la chair de l’homme n’est qu’occasionnellement citée dans le Nouveau Testament, cela ne signifie qu’une illustration de ce qui est vraiment important. La vérité du christianisme est que l’Église provient du Christ – qui, cependant, ne doit jamais oublier que le Christ est né de Marie. À cet égard, " si la femme provient de l’homme, l’homme est maintenant né de la femme. Et tout cela provient de Dieu. " (l Co. 11-12). Telle est aussi la conclusion de son article précédent sur la femme prêtre! (cf. pw 705)
7.3.3 : la prêtrise dans l’Église
La troisième partie de la "réflexion théologique" balthasarienne concerne la prêtrise de la femme dans l’Église. Elle est développée en trois aspects qui, en même temps qu’ecclésiologique elle est aussi considèrée sous son aspect physico-psychologique:(1) l’enfantement et son rôle spécifique; (2) le sacrifice de la femme comme analogie au sacrifice du Christ; (3) le sacerdoce interne (inward) et le sacerdoce externe (outward) du sacrifice du Christ.
7.3.3.1 : l’enfantement et son rôle spécifique
Dans un premier temps, Hans Urs von Balthasar rappelle son désir de procéder de la même manière que l’étude précédente pour ce qui concerne la physiologie de la femme. Celui-ci tient à souligner la contribution incomparable de la femme dans le processus d’enfantement d’un enfant. Cofondateur avec Adrienne von Speyr de la Communauté St-Jean, il n’oublie pas, en ce lieu, la formation de celle-ci comme médecin et pédiatre. Chez Adrienne, l’aspect prépondérant de la mère lors de la naissance d’un enfant ne saurait oublier le rôle du père. Cependant sous l’axe de cette recherche et de son orientation vers le questionnement contemporain envers la prêtrise de la femme, il semble important de comprendre ce rôle prépondérant. D’une part, von Balthasar établit une certaine différence entre le rôle de la mère et de l’enfant lors de l’enfantement. D’autre part, il perçoit sous son aspect physiologique et psychologique, comment la femme pendant les neuf mois de sa grossesse participe pleinement à la vie qui lui est donnée et qui sera donnée. La relation étant bien établie entre eux, la séparation de la "mère et de l’enfant" sera considérée par ce dernier comme un "sacrifice existentiel". Tentant toutefois de situer théologiquement la question, il reprend la perception biblique paulinienne du "chef" de famille attribué à l’homme et dont la femme en constitue fondamentalement le "coeur". Sous cet aspect, nous atteignons la spiritualité mariale des maîtres fondateurs de communautés sacerdotales et la "théologie du cœur", souvent énoncée en spiritualité sacerdotale ministérielle. Cependant, je tiens à souligner qu’il n’en fut pas ainsi chez saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Désirant faire évoluer la question du rôle de la femme au sein de la vie ministérielle de l’Église, von Balthasar construit sa pensée en rappelant la présence des saintes femmes à la Croix, spécialement la présence de Marie, la Mère qui donnant [dahingibt] son Fils sera séparée de lui. Théologiquement, par ce don reçu du Dieu-Père (inter testament), Marie redonne le Fils au monde entier (Jn 19, 26-29). Pour von Balthasar, « ce noyau ecclésial peut devenir la porte d’entrée pour comprendre le sacrifice du Fils – et, devant lui, celui du Père. La "voie d’accès", soutient-il, passe entièrement à travers le sacrifice interne (inward) de la femme. Toutefois, il n’est pas question ici de représentation mais de "re-présentation". La femme qui prend part au sacrifice de la Messe ne se regarde pas elle-même comme une "représentante" de l’Église, mais tout simplement comme une "partie" de celle-ci. De même, à l’exemple du Fils du Père, Marie ne "représente" aucun ou personne sous la Croix, mais elle est seulement "elle-même". Elle n’est pas plus et pas moins que la mère qui donne ce oui – jamais "interrompu" de la "délivrance"[Entbindung] de son Fils.» (cf. pw 707) Nous retrouverons cette pensée dans son analyse d’Inter Insigniores sous la thématique de la tradition ininterrompue. « Quand Marie, dit-il, est assignée au disciple Jean comme sa mère, elle obéit, comme offrande sacrificielle et victime, à la volonté de son Fils, et dans cette perspective, elle devient la "mère" non seulement de Jean, mais, à travers lui, de tous les enfants de Dieu. » (pw 707) Il reprend ainsi la même perception que l’analyse citée précédemment (7.1). La nouveauté émise dans cet article concerne le rôle spécifique de Jean : « certainement, Jean appartient à la communauté des hommes qui ont entendu "faites ceci en mémoire de moi" et ont de cette manière reçu l’"autorité" de re-présenter le sacrifice de Jésus dans l’Église. Comme disciple de l’amour, Jean est sans aucun doute prêt à accueillir "the internum" et "sacrificium externum". Selon les considérations théologiques balthasariennes, il serait, en fait, terriblement difficile pour Jean de séparer ces aspects fondamentaux des souffrances et de la mort du Maître car, en ce lieu, il donne à la Mère, une "nouvelle mission". Toutefois, si le sacrifice interne (inward) de l’apôtre Jean ne peut être comparé au sacrifice de la Mère des douleurs, celui-ci porte la mission d’intégrer celle-ci au sacrifice du Christ : « c’est sa tâche d’introduire le sacrificium internum de Marie, avec celui des autres saintes femmes, dans le "coeur" de l’Église. » (pw 705) Et ce sera à nous de le rendre visible, car tel est le lieu où nous conduit von Balthasar.
7.3.3.2: le sacrifice de Marie
Au point suivant, Hans Urs von Balthasar considère la présence de Marie à la Croix johannique sous son aspect sacrificiel plénier. En ce lieu advient cette mission sacrificielle, totalement féminine et offerte sous la "constellation christologique" qui, de l’incarnation à la Croix, ne s’est jamais contredite : elle porte l’enfant en son sein, donne naissance et le nourrit ; à la Croix, elle sait en ce moment crucial le sacrifice qui lui est alors demandé : voir son fils mourir, abandonné par Dieu, devient un glaive qui transperce l’entièreté de sa foi. En ce lieu, fondamentalement théologique, von Balthasar ouvre de nouveaux horizons. Sous la perception des fondements du ministère sacerdotal, il établit l’analogie entre cet "être-pour-les-autres" et l’aspect fondamental du ministère sacerdotal qui devient en elle, le fruit central des sacrifices existentiels vécus dans l’Église. (cf. wp 708) Concrètement, il s’agit de l’intégration de Marie dans le "coeur" de l’Église, en conformité avec tous les sacrifices de l’Église. En ce lieu apparaît le sens profond de sa maternité. Dès lors, il devient essentiel de découvrir ce que la fonction ministérielle (sacrificium externum) requiert dans ses fondements l’internum sacrificium. (cf. pw 708) À cet effet, Hans Urs von Balthasar établit une certaine distance entre le rôle ecclésial donné à Marie et la dimension trinitaire spécifique du sacrifice du Fils : Marie, sous la Croix, n’a pas à représenter l’amour du Père, comme son Fils, mais elle se tient seulement pour la créature, ensemble avec toutes les autres créatures : elle est. S’il est alors impensable que Marie ait pu exercer le ministère de l’Église ou prononcer les mots "hoc est corpus meum" [this is my body] ou "ego te absolvo " [I absolve you] ; par son corps donné, elle est en accord avec l’absolution de Dieu tout au long de sa vie. (cf. pw 708; voir S.S Jean-Paul II, Lettre aux prêtres.... 1987, a. 13)
7.3.3.3.: Le sacerdoce interne (inward) et le sacerdoce externe (outward) du sacrifice du Christ
Manifestant son "respect" pour l’Église, Hans Urs von Balthasar va plus loin et pose alors la question fondamentale. Selon ce dernier, il devient clair que les deux aspects de l’être même du Fils et de son sacrifice ne peuvent être présents qu’en lui; demeurant opposés en chacun d’eux, ils sont en même temps intrinsèquement reliés. En effet, écrit-il, si le Fils rend présent l’autorité du Père (Époux) dans le monde, le Fils ne peut être présent dans l’Église (épouse) sans l’aspect de l’autorité christologique, qui, à cause du Fils représente le Père comme être masculin. Von Balthasar questionne alors l’unicité masculine du ministère sacerdotal. Pour ce qui est de son rapport à Dieu, la filiation du Verbe de Dieu fait chair ne peut être complété par aucun d’autres. Dès lors, lorsque la question provient de la génération naturelle, von Balthasar considère l’humiliation de l’homme qui demande à être complété par le sacrificium internum de l’Église “féminine et mariale”. En effet, l’appel au ministère implique aussi une totale expropriation en faveur de l’Église et de l’Humanité. Néanmoins, il aura encore et encore à revivre l’"attitude de Marie" dans l’exercice du service ministériel. Finalement, en recherchant l’analogie entre la relation homme-femme et la relation entre the outward and the inward priesthood (et l’analogie est totalement fondée dans le Nouveau Testament), nous pouvons noter que les deux sacerdoces sont inséparables, voire indissociables. En effet, ce ne sera que par le partage interne (inward) dans le sacrifice de Jésus à la Croix eucharistiée que la sainteté de Marie, parfaite et personnelle, peut faire advenir à leur maturité tous les membres de l’Église. En ce lieu, la foi "personnelle" et "féminine" de l’Église ne peut atteindre sa plénitude (socio-psychologique) dans l’Église, en elle-même, mais uniquement qu’en étant intégrée dans l’unicité du sacrifice du Christ. (cf. pw 708-709)
7.4 : La tradition ininterrompue et la question de l’admission des femmes au sacerdoce ministériel
Le quatrième aspect concerne l’analyse-crique de la Déclaration magistérielle Inter Insigniores par Hans Urs von Balthasar. En ce lieu, la tradition créatrice mariale ininterrompue n’apparaît pas comme un obstacle à la question posée. Publié dans un premier temps comme analyse d’Inter Insigniores, dans le journal officiel de l’Église, l’Osservatore Romano, l’article sera repris intégralement dans la revue Communio, deux ans après la publication d’Ordinatio Sacerdotalis (1996). Toutefois, tout en conservant l’intégralité du texte romain sur la « question de l’admission des femmes au sacerdoce ministériel et la tradition ininterrompue » (29-03-1977), la revue Communio transformait uniquement le titre : Retrieving the Tradition: Hans Urs von Balhasar. On the male priesthood » . Après avoir puisé à la méthodologie balthasarienne de l’esthétique théologique, nous pouvons désormais soutenir notre hypothèse de recherche : la déclaration Inter Insigniores ne peut être considéré comme un débat clos. En effet, comment la considérer comme lieu de fermeture lorsque celle-ci affirme ne pouvoir accéder à la demande par "manque" d’études en théologie classique (1ère partie). La trilogie balthasarienne (2e partie) a su remédier à cette attente sous la dimension trinitaire, christologique et pneumatologique, de l’ordination ministérielle (Théologique). L’aspect fondamental cité à la fin de l’article présente cet aspect : le fiat de Marie au Dieu, un et trine et la question des fondements de la fonction ministérielle.
Toutefois, nous soulignons que l’ensemble de son Œuvre n’est pas encore publié lors de la rédaction d’Inter Insigniores, aussi est-il est difficile de saisir le lien établi par Hans Urs von Balthasar. Sans l’entièreté de son Œuvre, il semble difficile de saisir cette intentionnalité qui le conduit vers l’attestation de la haute dignité de la femme (7.1). Au temps d’Inter Insigniores, nous ne possédons pas encore l’ensemble de sa trilogie qui ne sera achevée qu’en 1987 (all.) et 1997 (fr.). Nous avons toutefois accès à la première partie de son œuvre en original allemand : La Gloire et la Croix est entièrement achevée et les deux premiers volumes de sa Dramatique divine sont déjà publiés. Alors, comment comprendre la richesse de l’argumentaire sans avoir saisi le lieu où celle-ci nous conduit : la dimension trinitaire de l’ordination sacerdotale selon les transformations émises par le pape Paul VI ? (élément essentiel en théologie classique). L’article proposé sous « la haute dignité de la femme », en révèle la teneur (1982). Dans ce contexte, il semblait difficile de saisir dans toute sa quintessence le rapport qu’il établit entre le Fiat marial et l’authentification de sa mission "personnelle", mission reçue et attestée par le Christ johannique, Logos fait chair, Fils du Père, archétype des deux sexes (cf 7.1).
La visée théologique de son argumentaire étant précisée, son analyse publiée sous la thématique de la tradition ininterrompue devient plus explicite lorsque relue à la lumière de la haute dignité de la femme et de son analyse de la femme prêtre."Realsymbol d’Israël". Tout comme le Collège des Douze, Marie reçoit le pouvoir de la représentation, en elle se résume la foi d’Israël (Ga 4, 4-5; cf. Ps 22, 10-11). Comment alors dissocier Marie de l’œuvre de son fils et Fils du Père, en qui l’Humanité redécouvre son intégrité première : l’Église immaculée telle que sortie des mains du Père (Ps 22, 10-11). Sous la thématique de la tradition ininterrompue, cinq aspects spécifiques sont présentés ; ils sont précédés d’une introduction explicitant son orientation : (1) la prémisse à la question ; (2) l’essence de l’Église; (3) la problématique de la représentation ; (4) la dimension eschatologique trinitaire, Christ-Église : problématique ou ouverture; (5) la dimension ecclésiale du service hiérarchique ; (6) le Fiat de Marie au Dieu, un et trine et la féminité ecclésiale de la fonction ministérielle.
7.4.1 : la prémisse à la question
Dans cette partie de l’analyse, Hans Urs von Balthasar présente la prémisse à la question posée par Inter Insigniores. Cette prémisse permettra de mieux saisir ce qui devient chez plusieurs critiques d’Inter Insigniores la pierre d’achoppement, soit la fidélité au Seigneur rendant caduque la question posée. Toutefois, nous tenons à le souligner de nouveau, dès le point de départ, von Balthasar se réfère à la pensée du Magistère et fait ressortir l’aspect positif de la Déclaration : « le magistère, écrit-il, a prudemment abordé toutes les dimensions importantes du problème et n’a pas craint de pénétrer dans la profondeur du mystère d’où resplendit la lumière la plus libératrice et convaincante ». (tr-in 2) Dès le point de départ, il commente les chapitres 2 à 4 d’Inter Insigniores : tradition - attitude du Christ - valeur permanente de cette attitude du Christ chez les apôtres. Conforme à tous les analystes, il reprend cette constante : par fidélité à son Fondateur, suite au vide énoncé en première partie de cette thèse, la question de l’accession des femmes au sacerdoce ministériel est reportée. Chez von Balthasar, la féminité de l’Église vétérotestamentaire n’est pas limitée uniquement à la femme puisqu’elle représente en même temps le "peuple" de Dieu qui, en soi et de fait, est homme ou femme. La prémisse concerne la question de la convenance théologique. En ce lieu, celui-ci reprend les intuitions théologiques pascaliennes, soit « l’intégration d’Israël comme préambule à l’incarnation du Verbe de Dieu, Logos divin. Tous les arguments de la théologie néotestamentaire indiquent une convenance insurpassable, sans pourtant fonder les articulations de la figure de révélation, à la manière de la logique humaine, sur des nécessités, car toute la figure baigne, d’une façon nouvelle en chacune de ses articulations, dans l’élément du libre amour. » (GC-ESTH 19) La méthode théologique ne peut jamais être déductive, car alors, elle soumettrait la liberté de la figure aux lois de la pensée humaine ; elle ne peut être qu’inductive (Newman) ; elle concerne le foyer unique ou brille la "gloire" divine : doxa grecque et kabôd hébraïque. C’est la méthode du reploiement qui enveloppe toute la figure (théologie symbolique grecque) ou le parcours inlassable par la raison du retour au centre, afin d’ouvrir à d’autres de multiples accès (théologie occidentale). (cf. op. cit.5.2)
7.4.2 : l’essence et la nature de l’Église du Christ
La prémisse posée, Hans Urs von Balthasar clarifie le "fait de la tradition". Il établit une distinction entre "tradition" et "usage" ininterrompus. Selon cette pensée, il est déjà clair a priori que le « simple fait d’un usage ininterrompu ne peut constituer un argument suffisant pour que cet usage ne puisse être changé sur la base de nouvelles conceptions ou d’un changement culturel ». (TR-IN 2) Nous retrouvons la pensée du pape Pie XII, cité dans Pacem in Terris (lère partie). Lorsque nous considérons le fait de la tradition, nous devons discerner ce que signifie le véritable sens de la tradition ininterrompue ; tout dépend alors de savoir si l’aspect en question appartient ou non à l’essence de la structure de l’Église (telle qu’elle a été instituée). Dans cette analyse, von Balthasar s’intéresse à de multiples aspects. Prenant appui sur la pensée de saint Anselme, von Balthasar remet en cause la discipline actuelle sur le célibat ministériel. À cet effet, si les perspectives d’avenir du "document de travail " (2e chapitre) acceptent la possible ordination d’hommes mariés, ce dernier cite, à titre d’exemple, les lettres pastorales dans lesquelles, il est question des pasteurs mariés et fait référence à Pierre comme apôtre marié. Il évoque aussi les enseignements de Jésus et de Paul qui recommandent le célibat sous forme de simple conseil. De là découle sa quête des éléments essentiels pour un véritable renouveau ecclésial car le sacerdoce ministériel, tel qu’évoqué dans la Théologique, provient de l’appel de Dieu et non de la prééminence du célibat ou du mariage (discipline ecclésiastique). Nous retrouvons également dans ce texte, l’explicitation donnée en première partie de notre recherche. Le Synode des évêques de 1971 étudie le passage d’une conception de l’Église-évangélisation à l’Église-sacrement. Cette pensée détermine l’essence même de l’Église c’est-à-dire comment celle-ci est née. Tout en considérant que l’Église ne peut se changer selon son bon plaisir, mais doit s’accepter elle-même comme elle est née, il devient possible par une vision d’ensemble (Gestalt), caractéristique de l’esthétique théologique balthasarienne (beau, bon, vrai), d’établir ses fondements, selon la sacramentalité de l’Église. Tel que nous avons pu le percevoir dans son article de la haute dignité de la femme, et cela en conformité avec le "document de travail", la tradition ininterrompue ne peut dissocier la première alliance (promesse) de la dimension eschatologique trinitaire du Ministère du Christ Jésus (accomplissement).(tr-in 2)
7.4.3 : la problématique de la représentation ministérielle et la perception de la diaconie chez von Balthasar
A priori, il semblerait qu’Hans Urs von Balthasar transforme la perception des rôles de l’homme et de la femme au sein de la vie de l’Église. Toutefois, ce ne sera pas par un nivellement des personnes (sociologie). Celui-ci accentue leur différence pour une ouverture envers l’égale dignité de chacun. La différence ne se situe plus au sein d’une relation homme ou femme, mais entre Dieu et l’Israël de Dieu. Tel que nous l’avons constaté dans son analyse de la haute dignité de la femme, cette partie de l’analyse est essentielle. À cet égard, il faut laisser toute latitude à l’auteur pour exprimer sa pensée. Pour l’auteur, la différence sexuelle est chargée d’un fort accent surnaturel, dont elle n’aurait pas encore soupçon. Aussi, déplore-t-il l’argumentation des critiques qui ne se référant pas à la foi chrétienne soutiennent une position unilatérale du matriarcat et du patriarcat ou une sous-estimation de la femme par rapport à l’homme. Il fait alors appel aux transformations conciliaires afin de retrouver les origines de l’Église et le sens véritable de la "féminité" du ministère ecclésial. Nous retrouvons cette perception dès le premier volume de la trilogie lorsque le service hiérarchique est présenté comme diaconie ecclésiale: « le service hiérarchique ne peut être qu’une diaconie ecclésiale (service auxiliaire), qui se ramène tout entier au service envers le Christ et la communauté, et qui par lui-même est effacé, quand bien même il lui incomberait de rendre possible la présence réciproque du Christ et de la communauté, conformément à l’ordre reçu». (GC-ESTH 485-486) La trilogie balthasarienne ouvre de nouveaux horizons par l’intégration de la femme à la mission de l’homme (vir), Jésus-de-Nazareth. En ce lieu, on ne peut dissocier la femme du « Logos qui dans sa relation au Père, se situe "en face" de celui-ci et devient par le fait même du moins quasi-féminin? »( DD-PD2 227; op. cité 7.1) Telle est la thèse développée précédemment, lieu où le Logos, Verbe fait chair, devient l’archétype des deux sexes. Nous retrouvons cette pensée dans le volume de la Nouvelle Alliance lorsque le Fils se présente devant le Père, non pas en qualité d’Époux de l’humanité, mais sous la symbolique de l’épouse-humanité (GC-NA 395). Le volume de la Gloire et la Croix, consacré à la Nouvelle Alliance permet aussi de discerner cet aspect fondamental. Dès lors, il semble fondamental de saisir la position balthasarienne sur la question du ministère ecclésial. Doit-on la considérer uniquement en regard des fondements ministériels Christ-Église (Inter Insigniores) ou la percevoir sous sa dimension trinitaire (Christ-Esprit), tel que soutenu dans sa Théologique ? Cette dernière question constitue l’originalité de la trilogie balthasarienne qui situe son œuvre, selon cette dernière perception. À cet effet, si nous unifions les chapitres cinq et six de la déclaration Inter Insigniores, ne pourrait-on pas reprendre la question de la représentation sous la dimension trinitaire du sacerdoce du Christ: le sacerdoce ministériel à la lumière du renouveau de l’ordination sacerdotale selon le pape Paul VI. (cf. tr-in 2)
7.4.4 : la continuité avec les origines : représentation et présence sacramentelle
Sur cette question, nous retrouvons sensiblement chez Hans Urs von Balthasar les divergences ecclésiologiques, énoncées au cinquième chapitre d’Inter Insigniores et reprise par Hervé Legrand, o.p. Citant Newman, celui-ci permet de saisir la problématique. Selon Legrand, la problématique se situerait dans le point de départ de l’analyse: « les anglicans, dit-il, croient qu’ils appartiennent à la vraie Église parce que leurs ordres sont valides, tandis que les catholiques croient que leurs ordres sont valides parce qu’ils sont membres de la vraie Église ». ( Hervé Legrand, IPTH-III 217) Selon von Balthasar, ces divergences proviendraient d’une incompréhension de la tradition. Sur ce point, il s’agit de divergences ecclésiologiques et non de la question posée par Inter Insigniores : le principe de l’ordination de la femme est déjà accepté en Angleterre tandis que, dans notre pays (Canada), des femmes anglicanes ont été ordonnées au ministère sacerdotal, au temps d’Inter Insigniores. Tout de même, von Balthasar tient à préciser le contexte historique de cette divergence ecclésiale qui correspond à l’étude citée en 7.1. La source des divergences ecclésiologiques proviendrait alors de l’affaiblissement de la relation entre le peuple de l’Église et la fonction ministérielle : « les déviations nées de la Réforme sont liées à un changement, à un affaiblissement de la relation entre le peuple de l’Église et la fonction apostolique; c’est cette relation qui ultérieurement a été détachée de la succession concrète des apôtres – et de ce fait détaché également de la structure de l’Église apostolique – elle est immédiatement construite sur le sacerdoce commun de tous les fidèles ». Au contraire, affirme von Balthasar, dans l’Église catholique, latine et romaine, comme dans l’Église orthodoxe, la féminité ecclésiale est fondamentale, car elle est le symbole de la communauté croyante : de la première et de la nouvelle Alliance (7.1). tr.in. 2) Toutefois, nous ne pouvons affirmer que cela est explicite dans son analyse d’Inter Insigniores.
7.4.5 : l’ambivalence de la représentation ministérielle : grâce sacerdotale (ecclésiale) et fonction ministérielle ecclésiale (service)
La représentation ministérielle possède chez Hans Urs von Balthasar deux aspects spécifiques qui portent en soi un caractère positif et un caractère négatif. Ces caractères provoqueraient une certaine ambivalence pour la compréhension des fondements du ministère lorsque celui-ci est perçu comme représentation du Christ ou de l’Église. La pensée balthasarienne désire nous faire saisir que la grâce sacerdotale est d’abord et avant tout une grâce, non pas particulière, mais une grâce ecclésiale, tournée vers le ministère à rendre ecclésialement. À cet égard, « le représentant [ou la future représentante] reçoit du représenté le plein pouvoir de rendre présent quelque chose de sa supériorité ou de sa dignité sans pouvoir prétendre pour soi-même – et c’est là l’aspect négatif – à cette supériorité, à cette dignité. Il définit alors le ministère selon la théologie thomiste, lieu où la grâce sacerdotale n’est point perçue comme "une grâce pour soi, mais une grâce pour les autres". » (H. De Lubac, IPTH III 265) Cependant, la dualité de la représentation ou de la fonction apostolique est extrêmement vulnérable et sujette à des abus. À cet égard, celui-ci déplore l’excessive exaltation du prêtre comme un autre Christ, ce qui ne peut exister, écrit-il. Cette question d’exaltation revient dans son étude de la femme prêtre : « on doit se prévenir, dit-il, contre l’exaltation ou l’élévation du service de l’évêque et du prêtre à une qualité fondamentalement inaccessible aux femmes ». (NE-WP? 196) Aussi oriente-t-il le lecteur ou la lectrice vers cette constituante de son analyse. Dans l’ordre naturel des sexes, la représentation de Dieu et de sa gloire consiste dans la création de l’homme (homme ou femme). Citant constamment la péricope paulinienne de la Genèse, il n’attribue aucune supériorité ou privilège à la masculinité du sujet. À cet effet, si la femme est tirée de l’homme, l’homme naît en elle et devient ainsi, expression de la volonté divine : tout vient de Dieu. Aussi déplore-t-il l’orientation uniquement masculine du ministère sacerdotal.
En ce lieu, un déplacement majeur doit être effectué, car, lorsqu’uniquement centrée sur la "masculinité" comme interprétation unique du ministère, l’identification reprend le symbole de l’Époux (Dieu) selon la perception de Dieu dans la première alliance. De là, découle une perte majeure qui aurait des conséquences néfastes en ce temps de renouveau exégétique et d’herméneutique théologique. Le nouveau ministère eschatologique dans le Christ Jésus n’unifie-t-il pas en Lui, l’Humanité, homme-femme (cf. 2e chapitre). Établissant son esthétique théologique comme source de renouveau, von Balthasar ne dissocie pas la philosophie de la théologie, la mystique objective de la théologique : « la fonction apostolique est reconnue comme un service de l’Église et dans l’Église, c’est-à-dire un authentique service parce qu’il est un service qualifié. En définitive, le service de la transmission des dons de Dieu n’appartient pas au prêtre, en lui-même, mais il appartient au peuple auquel, il se consacre ». ( tr-in 2) Tel est le sens profond de la grâce sacerdotale, grâce qui intègre la mission "personnelle" de l’individu et à laquelle l’Église doit répondre (théologie d’appel et de réception).
7.4.6 : la féminité et la surestimation de la masculinité
Hans Urs von Balthasar porte alors une attention spéciale à la féminité de l’Église. Il énonce la problématique actuelle qui empêche l’acception de l’accession des femmes au sacerdoce ministériel et qui serait attribuable aux limites imposées par la rationalité des Lumières (Aufklärung). Puisant aux sources de la patristique, il présente sous deux volets (1) la féminité de l’Église dans la théologie du ministère et (2) la surestimation de la masculinité en théologie du ministère.
7.4.6.1 : la féminité-peuple d’Israël et ecclésiologie ministérielle
Tel que présenté dans l’article précédent, la féminité dépasse la question spécifique de l’accession des femmes au sacerdoce ministériel tout en ne l’excluant pas du ministère ecclésial. Au contraire, von Balthasar intègre la féminité-peuple d’Israël à l’ensemble de l’ecclésiologie vétérotestamentaire : « Or, écrit-il, cette Église qui, pour ne pas mentionner l’image vétérotestamentaire d’Israël comme épouse du Seigneur, se présente toujours dans le Nouveau Testament comme une figure féminine. » (tr-in 2) L’importance de cet aspect permet de saisir pourquoi von Balthasar n’effectue pas son point de départ dans la modernité tout en ne l’excluant pas de la question nouvellement posée. Souvenons-nous du titre de l’introduction d’Inter Insigniores : la place de la femme moderne dans la société et dans l’Église. Tel que déjà cité, la « féminité de l’Église fait partie de la grande méditation sur l’Église, qui est bien fondée sur le Nouveau Testament, et qui est certainement aussi profonde que la transmission de la fonction apostolique à l’homme ». Nous retrouverons cette même pensée dans son analyse de la femme prêtre : « les Douze, écrit-il, reçoivent les fonctions masculines de leadersphip et de représentation à l’intérieur de l’Église mariale, inclusivement et largement féminine ». (NE-WP? 192) Il y présentait alors Marie, comme “realsymbol d’Israël”. Rappelant la grande méditation de l’Église, le ministère devient la symbolique de la féminité, de la sagesse divine . « Pour la théologie de la patristique, de la scolastique du Moyen Age et également de la Renaissance, l’Église est la mère des fidèles et pareillement l’épouse du Christ. Elle se tient droite aux porches des églises, comme une noble dame devant la synagogue agenouillée; dans d’innombrables miniatures, elle soulève le calice pour recevoir le sang du Christ; elle est surtout dans la théologie orientale, l’incarnation définitive de la sagesse divine, qui reçoit dans son sein toutes les semences du Logos qui se sont dispersées dans la création et tout le long de l’histoire du salut. » (tr-in 220)
Cette perception peut aussi être attribuée à la spiritualité ignatienne, telle la Dévotion de la Mort heureuse : « un de ses dessins représente le Christ en croix et la Vierge recueillant le sang qui coule à torrent de ses blessures pour en faire offrande au Père ». (Jérémie Wood) Nous retrouvons dans ce texte, le fil d’Ariane de l’esthétique balthasarienne : de l’Antiquité à la "post"-chrétienté, la gloire de Dieu est manifestée (doxa grecque, kabod hébraïque). Bien que non mentionné explicitement dans cette analyse, il est possible de discerner les fondements du sacerdoce ministériel selon les grandes orientations du concile de Florence. La Bulle d’union avec les Arméniens Exultate Deo est décrite comme suit: « Le sixième sacrement est le sacrement de l’ordre dont la matière est ce par transmission de quoi est conféré l’ordre. Par exemple, la prêtrise est transmise par l’acte de tendre le calice avec le vin » (Dz 1326). Cet aspect de la théologie classique concernant la matière et la forme de l’ordination fut transformé théologiquement. Dès l’introduction, le premier volume de la trilogie concerne le couple philosophique matière-forme. Selon cette perception, celui-ci est approfondi et transfiguré jusqu’à devenir la relation d’épouse à époux, union qui constitue dans le Christ, un seul être. (cf. GC-ESTH 92) Pour von Balthasar, il est essentiel que l’on redonne à la femme, sa dignité première : « la femme repose sur elle-même, elle est pleinement ce qu’elle est, c’est-à-dire qu’elle est toute la réalité d’un être créé qui se présente en face de Dieu, comme partenaire et les âmes masculines leur sont associées, non point en vertu de leur masculinité, mais dans ce qu’elles comportent aussi de féminin. » (tr-in 2)
7.4.6.2 : la surestimation de la masculinité
Poursuivant cette pensée, Hans Urs von Balthasar pointe les analyses qui sont davantage orientées vers la conception actuelle des droits humains sans référence à la grâce reçue comme ouverture à tout possible. Von Balthasar tient à se distancer de l’étroitesse d’un dialogue qui ne porterait que sur les fondements masculins du ministère sacerdotal. Pour l’auteur, la fonction apostolique va au-delà du physiologique, nous sommes en présence du mystère de la foi, de la foi d’un peuple, de la foi eucharistique : « il y aurait à discuter, d’une part, la question de la masculinité du Christ, particulièrement dans son Eucharistie, dans laquelle en dehors de toute raison sexuelle, il se fait tout entier semence de Dieu et se donne à l’Église; de l’autre, la participation, difficile à formuler, de la fonction apostolique à cette fécondité masculine, qui est au-delà du sexe.» (TR-IN 2)
7.4.7 : l’intégration du fiat marial à la dimension trinitaire du ministère sacerdotal
En dernière analyse, l’auteur reprend les fondements de son esthétique théologique et intègre la mission "personnelle" à la constellation christologique primitive : le fiat marial au Dieu, un et trine. Permettant de redécouvrir la véritable identité ministérielle (2e chapitre), le texte balthasarien associe la féminité à la dignité du ministère: « toute personne, dit-il, qui exerce une fonction dans l’Église devrait éprouver un sentiment élevé du fait qu’elle se sait – surtout dans la Vierge Marie – le lieu privilégié où Dieu peut et veut être reçu dans le monde. » (TR-IN 2) On retrouve chez lui, la spiritualité des fondateurs de communautés sacerdotales du 17e siècle français qui fondent leur spiritualité sacerdotale dans le parallélisme entre la foi du Christ en Marie et la foi mariale christocentrique du prêtre. L’esthétique théologique balthasarien soutient le lien indissociable entre la première incarnation du Verbe de Dieu en Marie (inward) et sa venue toujours nouvelle dans l’Église qui le reçoit. Celui-ci ne saurait dissocier le "fiat" quasi-féminin du Christ dans son offrande au Père (4e chapitre; cf. les citations mathéenne et marcienne de la Croix e le Psaume 22, 10-11). La fonction ministérielle ne peut être dissociée de la féminité d’ensemble de l’Église mariale. Le "décisif" concerne cette attitude fondamentale de la Mère du Seigneur au sein de la constellation christologique primitive. Pour l’auteur, le ministère piétrinien ne saurait se dissocier du ministère marial et johannique de l’Église, il en est la constituante (5e chapitre). Terminant son article, Hans Urs von Balthasar corrobore cet aspect fondamental : « celui qui a une fonction dans l’Église doit s’efforcer, dans la mesure du possible, d’écarter cette déficience, mais non parce qu’il s’approche du Christ en tant que Celui-ci est chef de l’Église, mais parce qu’il apprend à exprimer et à mieux vivre le Fiat que Marie a adressé au Dieu, un et trine ». (tr-in 2). Au dernier paragraphe, il souligne que l’Église n’en est qu’à « ses premiers balbutiements ».
7.5 : Le ressourcement de la vie spirituelle sous la conduite d’Adrienne von Speyr et de Hans Urs von Balthasar
Dans ce processus de compréhension du rôle de Marie sous la constellation christologique primitive, il serait difficile d’omettre l’analyse du père Jacques Servais, s.j., traducteur des Prolégomènes de la Dramatique divine et accompagnateur spirituel de la Communauté St-Jean. Commentant les Exercices spirituels selon Hans Urs von Balthasar et Adrienne von Speyr, j’ai pu constater pourquoi et comment l’approfondissement de la trilogie balthasarienne permet de saisir cette pensée réformatrice. Chez le père Servais, l’expérience vécue par Madame Adrienne von Speyr, cofondatrice de la Communauté est indispensable. Toutefois, l’article ne sera pas analysé dans son entièreté, car celle-ci correspond à la pensée fondamentale de cette recherche: la Déclaration Inter Insigniores. Analyse et prospectives à partir de la pensée de Hans Urs von Balthasar. Pour cette dernière partie de mon analyse, je retiens deux aspects : (1) la "conversion" balthasarienne à la médiation maternelle ; (2) la réceptivité spirituelle, « Vermittlung », clé herméneutique de l’œuvre balthasarien.
7.5.1 : la conversion balthasarienne à la médiation maternelle
Lors de l’émission Rencontre présentée à Radio-Canada, Hans Urs von Balthasar révèle la teneur de son engagement : «fonder une grande théologie ignatienne qui serait derrière les Exercices, derrière tout ce qu’Ignace a pensé et dit. » (Archives nationales du Canada 331208-0338/0338) Le ressourcement spirituel, tel que perçu par le père Servais, pointe vers cet horizon théologique fondamental. La médiation maternelle de Marie, symbole réel d’Israël, ne saurait être dissociée de la constellation christologique primitive. Dès le point de départ, le père Servais détermine ce que signifie chez von Balthasar, le thème allemand : Vermittlung als Auftrag (médiation comme mission). Par là, celui-ci se distance d’une théologie de la médiation (Vermittlungstheologie), uniquement centrée sur des notions de soi contradictoires, en voulant, non point les harmoniser, mais en les dépassant par la création d’un troisième terme (Aufhebung), comme dans la philosophie hégélienne. Ce qui est visé n’est pas la conception de la médiation de Jésus comme point de contact entre deux moments fondamentalement opposés : la transcendance et l’historicité de la Révélation. Le père Servais se détache d’une perception de la théologie balthasarienne qui ne serait qu’une reprise du paradoxe, élément central de la théologie dialectique protestante. Toutefois, il y a là une équivoque, car en se basant sur la catégorie centrale du surnaturel, notre auteur entend précisément surmonter les "déficiences" internes de cette théologie (7.4). L’œuvre balthasarienne consiste à jeter des ponts entre la théologie barthienne et la doctrine catholique. Toutefois, tel qu’Hans Urs von Balthasar l’indiquait, Barth et lui ont engagé un véritable dialogue, l’un influençant l’autre. Pour le père Servais, toute personne « qui veut être fidèle à son héritage devrait entrer courageusement en dialogue avec le monde contemporain, en particulier avec ceux et celles qui proposent des vues alternatives. Il devra prendre attentivement en considération la situation actuelle du monde comme de l’Église et faire œuvre de réconciliation entre des univers contrastés. » (COLL.2 75-78)
Au centre du dialogue apparaît la foi de l’individu. La foi de l’individu n’est plus présentée par une méthode indirecte (Rahner). La question posée par von Balthasar comporte toutefois une autre facette à la méthode. Pour lui, il faut se demander comment ces voies d’accès extérieures à soi (ad extra) peuvent-elles être considérées comme voies d’accès ? Il ne suffit pas alors d’attirer des personnes à l’Église, mais de rallumer en celle-ci la lumière qui éclairera le monde Le père Servais établit un bref survol de l’œuvre balthasarienne par une appropriation des volumes, autres que la trilogie. Tous convergent vers un lieu unique, un retour au centre (Einfaltungen) afin d’établir une percée à partir des lois les plus élémentaires de la foi chrétienne ; au cœur de la Révélation, définitivement accomplie (2e chapitre). Par une théologie descendante et ascendante, il accueille les missions personnelles (Domaine de la Métaphysique). Il s’agit alors de comprendre cette théologie descendante où tout ne semblerait ne venir que d’en-haut afin de tourner notre regard vers la relation "personnelle" de l’être humain en dialogue avec sa foi (théologie ascendante). En ce lieu, le fiat de Marie devient le modèle parfait. Selon l’auteur de l’article, la mission d’Adrienne von Speyr et Hans Urs von Balthasar possède l’ampleur des missions qui apportent à une époque donnée de l’histoire la réponse providentielle que celle-ci attendait secrètement. Le charisme d’Adrienne von Speyr déployé au sein de l’esthétique théologique balthasarienne (Dénouement et Esprit de Vérité) permet alors à l’être croyant de se découvrir participant à la tradition créatrice. Il s’agit alors de cette attitude de confession vis-à-vis du Christ, cette disposition activement réceptive du sujet à l’égard de Dieu. Nous touchons là, au charisme qui donne à l’œuvre de nos auteurs son actualité pour le monde d’aujourd’hui. Il s’agit d’une disponibilité inconditionnelle face à Dieu et que le fiat de Marie permet de mettre en évidence. Or, dans cette étude « la grâce conférée au Christ en tant que tête se répercute sur tous les membres ; elle est grâce pour autrui. » (S.Th III 48, 1, c.et ad 2.) La réconciliation opérée par la Croix est l’acte dramatique du Christ Tête. La Rédemption qu’annonce le miracle de Cana est l’œuvre du Christ seul. Cependant, l’Église ne sera constituée formellement qu’au pied de la Croix, en raison de cette inclusion préalable de tous les humains en lui (doxa grecque ; kabôd hébraïque). Nous retrouvons alors, en ce lieu, le sens profond du Logos, archétype des deux sexes, archétype de l’Humanité. Ainsi se manifeste « la diastase entre le Fils offert et la Mère acceptant son sacrifice, comme l’unité, dans une seule chair. » (Jn 2, 4; 19, 26; cf. Jn 16, 21; cf. Mc 15, 34, ; cf. Mt 27. 46 ; cf. Ps 22. 2. 10-11. 16)
7.5.2 : la réceptivité spirituelle « Vermittlung », clé herméneutique de l’œuvre commune
Tel que nous avons pu le saisir tout au cours de notre analyse, Hans Urs von Balthasar ne saurait dissocier le point de départ de son œuvre qui provient de la rencontre personnelle vécue selon l’obéissance ignatienne, et du désir de situer théologiquement les Exercices spirituels de saint Ignace. À cet égard, celui-ci conçoit la rationalité des Lumières comme une tendance à édulcorer les aspects esthétiques de la révélation divine par une rationalité excessive tandis que le rapport entre “la foi et la raison” favorise la découverte de nouveaux horizons. Aussi semble-t-il essentiel que la personne humaine découvre, au creux de son expérience spirituelle, son incapacité à réaliser par elle-même la médiation entre les éléments en tension. On doit avoir le courage d’accepter sa finitude comme le signe de notre dépendance ontologique, non plus comprise dans une conception homme-femme mais comme dépendance ontologique en Jésus-Christ. Selon les auteurs des Exercices spirituels selon saint Ignace, nous devons nous ouvrir à un autre type de médiation, la médiation maternelle de Marie attestée par le Jésus johannique qu’Hans Urs von Balthasar justifie par la mission "personnelle" de celle-ci. Je la complète par les versets bibliques cités en 7.5.1. selon les principes énoncés subséquemment.
La « Vermittlung », qui au cœur de la mission théologique d’Adrienne von Speyr et Hans Urs von Balthasar, n’est pas d’abord un principe d’opération de l’esprit humain, cherchant à résoudre par ses propres aptitudes, les tensions de l’être créatural. Elle est le fruit d’une grâce mariale de disponibilité inconditionnelle à l’action de Dieu dans l’histoire. Par le renversement d’attitude qu’elle rend possible, la médiation maternelle de Marie engendre le sujet à la connaissance du Mystère de l’amour manifesté à la Croix. En effet, « ce Mystère dont l’irradiation seule peut convertir le monde, ne nous est pas révélé sous forme de doctrine, mais d’auto-manifestation agissante ». (RC 89) Sa force propre de révélation ne peut être efficace que lorsque le croyant et la croyante vivent de cet esprit de réceptivité et d’amour qui les rend prêt à se laisser combler par le don reçu au nom de leurs frères et de leurs sœurs. En spiritualité ignatienne, dont est issu Hans Urs von Balthasar, « l’abandon est une attitude féminine et, sur le plan de la création, elle est celle d’une servante, mais sur celui de la révélation d’amour de Dieu, elle est sponsale [comm-union] ; l’idée d’abandon pénétrant au lieu de la transcendance devient le kairos de la manière divine de s’exprimer, dans une Église elle-même comprise comme une femme ». (GC-MPH-2-CONST 145)
Nous retrouvons alors l’aspect fondamental soutenu dans l’ensemble de l’œuvre balthasarienne et qui fut repris dans son analyse de la Déclaration Inter Insigniores. La logique de l’amour qui informe l’œuvre de nos auteurs (Balthasar et von Speyr) trouve son lieu spirituel dans le rapport nuptial entre le Christ, Marie et l’Église. C’est à l’intérieur de ce rapport, lui-même inclus à l’intérieur du mystère trinitaire, que l’humain est invité à entrer. L’amour crédible aux yeux des personnes humaines est cet amour provenant en nous de la "foi mariale", qui prolonge dans notre vie l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ. La logique de l’amour nous conduit à la Réalité elle-même. C’est en nous laissant engendrer, tels Jean et Simon, fils de Jean, par la Femme que l’Homme des douleurs lui donne pour Mère, que nous pouvons espérer contribuer au ressourcement de la vie spirituelle d’aujourd’hui [cf.Ps 22, 10-11]. Chez nos auteurs, la relation particulière entre Marie et l’Église est exprimée selon le livre de l’Apocalypse [Apoc. 12] et l’évangile de Jean qui tous deux décrivent comment la Femme enceinte conduit le croyant et la croyante vers une métanoia personnelle. C’est alors que le père Servais déclare que la mission des auteurs (Balthasar et von Speyr) ne pourra se diffuser dans le monde auquel elle est destinée, que si elle trouve des hommes et des femmes prêtes à réaliser en eux-mêmes le renversement d’attitude, à vivre la réceptivité spirituelle, clé herméneutique de leur œuvre. La tâche de « Vermittlung » qui nous incombe est donc bien plus qu’une communication extérieure, une transposition de leurs écrits dans un langage plus adapté à notre temps ou la poursuite simplement linéaire de ce qui a été transmis : c’est un travail de médiation, exercé dans l’obéissance intérieure à la mission qu’ils ont eux-mêmes servie. La réponse que pareille mission apporte aux nécessités de notre temps a la simplicité des authentiques renouveaux. (COLL 2 119-140)