III: À l’école de Marie, la femme « eucharistique » – La transformation du rôle de Marie chez le pape Jean-Paul II Publié le 15 mai 2010 par Margo Gravel-Provencher
Interpellée spirituellement par le renouveau doctrinal ministériel, je suis convaincue de l’urgence d’accueillir les femmes au sein de tous les ministères ecclésiaux. Croyant à l’indissociabilité entre la mystique et la théologie, je rédigeais une thèse doctorale sous la thématique suivante : La mission « personnelle » de Marie et les missions féminines d’après l’œuvre de Hans Urs von Balthasar.
Tout en soutenant l’ouverture de ce dernier envers la femme-prêtre[1], l’étude de la spiritualité sacerdotale mariale constitue l’objet majeur de mes recherches théologiques depuis plus de 20 ans[2]. L’Année mariale est une année charnière pour l’expression de la pensée du pape Jean-Paul II (1987-1988) sur Marie. Je soutiens qu’à l’école de Marie femme « eucharistique », telle que pensée par les autorités catholiques, peuvent peut-être s’entrouvrir les portes closes d’Ordinatio Sacerdotalis. Le pape Jean-Paul II ouvre de nouveaux horizons par l’attention accordée au rôle indissociable de Marie, mère et figure de l’Église, comme élément essentiel de la vocation sacerdotale[3](cf. Jn 16,21-24; cf. Jn 19,25-30).
Je crois que les propos cités en introduction de la Déclaration Inter Insigniores (1976) et renouvelés dans la lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis (1994) ne peuvent justifier la non-admission des femmes dans les ministères sacerdotaux : « comme il s’agit là d’un débat sur lequel la théologie classique ne s’est guère attardée, l’argumentation actuelle risque de négliger des éléments essentiels. Pour ces raisons […] l’Église ne se sent pas autorisée […] »[4]. Or, nous savons aussi qu’en ce temps particulier de l’histoire ecclésiale, le pape Paul VI réformait la doctrine ministérielle (Liber de Ordinatione, 1968). Il y a donc possibilité d’ouvrir la question posée par Inter Insigniores. Dès lors, la reconnaissance de Marie, comme « première disciple du Christ » (Marialis Cultus, no 35) dans l’appel et la mission avant les apôtres (Redemptoris Mater, no 20) justifie la quête des éléments essentiels nécessaires au ministère sacerdotal.
Afin de saisir la profondeur du rôle de Marie femme « eucharistique » chez le pape Jean-Paul II, je limiterai mon analyse aux Lettres qu’il adressait aux prêtres pendant son pontificat à l’occasion du Jeudi Saint (1979-2005). Cette analyse sera développée en trois volets : la spiritualité sacerdotale mariale et le pouvoir eucharistique (1979-1986); l’Année mariale comme année charnière pour les nouveaux ministères féminins (1987-1988) et du Cénacle de la Pentecôte à la collégialité épiscopale (1989-2003).
II.I: La spiritualité sacerdotale mariale et le pouvoir eucharistique (1979-1986)
Toutes les Lettres aux prêtres à l’occasion du Jeudi Saint se terminent par une évocation mariale. Bien que le titre de « mère des prêtres » retienne plus spécifiquement l’attention, souvent sans référence à sa condition de disciple, un nouveau paradigme pointe à l’horizon et établit un déplacement. Désormais, l’attention ne sera plus uniquement tournée vers l’intériorité mariale du prêtre mais vers le « charisme fondateur » de Marie (Jn 16,21; Jn 19,26-27). Dès le début de son pontificat, le pape Jean-Paul II établit l’analogie entre le « pouvoir eucharistique » accordé aux apôtres et le « don maternel johannique » de Marie : « Nous tous, proclame le pape Jean-Paul II, recevons le même pouvoir par l’ordination sacerdotale, nous avons les premiers, en un certain sens, le droit de voir en elle notre Mère (afin que) vous retrouviez en Marie la Mère du sacerdoce que nous avons reçu du Christ » (Lettres aux prêtres, 1979, no 11)[5]. Selon le pape Jean-Paul II, il n’y a que Marie pour exprimer, comprendre et saisir dans sa plénitude, cette vie reçue et donnée en Jésus-Christ (cf. Lc 22,32; cf. Mt 12,49-50). À l’instar de l’analyse critique d’Inter Insigniores effectuée par Hans Urs von Balthasar, le « oui » de Marie sera proposé sous la dimension trinitaire du drame du salut. Le pape Jean-Paul II questionne « l’apparente » absence de Marie à la Cène du Seigneur: « Il ne nous est pas dit, écrit-il, si ta Mère se trouvait au Cénacle du Jeudi Saint. Toutefois, nous te prions spécialement par son intercession. Qu’est-ce qui peut lui être plus cher que le Corps et le Sang de son Fils confiés aux apôtres dans le mystère eucharistique, le Corps et le Sang que nos ‘mains sacerdotales’[6] offrent sans cesse en sacrifice pour la ‘vie du monde’ (Jn 6,51) ? » (Lettres aux prêtres, 1982, no 10). Nous retrouvons cette même pensée au concile Vatican II. Celui-ci ne percevait pas la médiation d’intercession de Marie comme un obstacle à l’unique médiation du Christ (Lumen gentium, no 60).
II.2: L’Année mariale comme année charnière pour les nouveaux ministères féminins (1987-1988)
En l’Année mariale, la théologie du pape Jean-Paul II présentée dans les Lettres aux prêtres à l’occasion du Jeudi Saint associe la Cène du Seigneur et Gethsémani. En cette « heure » rédemptrice, Jésus de Nazareth authentifie la mission ecclésiale de Marie: « En effet, écrit-il, comme l’enseigne le Concile à la suite des Pères, Marie nous précède dans ce pèlerinage et elle nous offre un exemple sublime que j’ai cherché à mettre en relief également dans la récente encyclique, publiée en vue de l’Année mariale » (Lettres aux prêtres, 1987, no 13). Fondamentalement, la dimension trinitaire de l’ordination sacerdotale permet de saisir la relation particulière entre la maternité de Marie et la maternité spirituelle du prêtre : « le mystère de la fécondité surnaturelle par l’action de l’Esprit-Saint fait d’Elle, la ‘figure’ de l’Église qui à son tour devient Mère : par la prédication et le baptême, elle engendre à une vie nouvelle et immortelle des fils [et des filles] conçus du Saint-Esprit et né(e)s de Dieu (Lumen Gentium, no 64) » (Lettres aux prêtres, 1987, no 13). Conformément aux Écritures, le pape Jean-Paul II n’établit aucune dichotomie entre la maternité spirituelle de Marie et le pouvoir d’agir au nom du Christ Jésus (in persona Christi[7]: Jn 16,21-25; cf. Ga 4,19). « Dès lors, s’empresse-t-il d’ajouter, disons-le en concluant, pour que le témoignage de l’Apôtre (Jean ou Paul) puisse devenir aussi le nôtre, il faut que nous revenions constamment au Cénacle et à Gethsémani, et que nous retrouvions le centre même de notre sacerdoce dans la prière et par la prière » (Lettres aux prêtres, 1987, no 13). Conséquemment, il fixait cet impératif : « Il faut donc que chacun de nous l’accueille chez lui comme l’apôtre Jean l’accueillit sur le Golgotha, c’est-à-dire que chacun de nous permette à Marie de prendre demeure ‘dans la maison’ de son sacerdoce sacramentel, comme mère et médiatrice de ce ‘grand mystère’ (cf. Ep 5,32) que nous tous désirons servir par notre vie » (Lettres aux prêtres, 1987, no 13).
À cet effet, si l’Année mariale ouvrait de nouveaux horizons envers le rôle maternel de Marie, la situation des femmes au sein de la vie de l’Église ne fut pas occultée pour autant. Dans ce temps particulier de l’histoire ecclésiale, la lettre apostolique de Jean-Paul II La dignité et la vocation de la femme interpellent le ministère : « Le prêtre, écrit le pape Jean-Paul II, en raison de sa vocation et de son ministère, doit découvrir d’une manière nouvelle le problème de la dignité et de la vocation de la femme, dans l’Église et dans le monde d’aujourd’hui. Il lui faut comprendre à fond ce que voulait nous dire à tous le Christ quand il parlait avec la Samaritaine (cf. Jn 4, 1-42), quand il défendait la femme adultère menacée de lapidation (cf. Jn 8,1-11), quand il rendait témoignage à celle dont les nombreux péchés avaient été remis parce qu’elle avait montré beaucoup d’amour (cf. Lc 7,36-50), quand il parlait avec Marie et Marthe à Béthanie (cf. Lc 10,38-42 ; Jn 11,1-44) et, enfin, quand il annonçait aux femmes, avant tout autre, ‘la Bonne Nouvelle’ pascale de sa Résurrection (cf. Mt 28, 1-10) » (Lettres aux prêtres, 1988, no 5).
À l’instar de l’« œuvre commune » de madame Adrienne von Speyr et de Hans Urs von Balthasar, objet de mes recherches doctorales, il s’agit de découvrir, à la suite de ces maîtres, la nouveauté christologique. Cela signifie « pour nous » un renversement de la pensée (Vertmittlung). En cet instant de grâce, le pape réhabilite la dignité véritable de la femme: « Auprès de Marie qui représente l’‘accomplissement’ [8] singulier de la ‘femme’ de la Bible dans le Protévangile (cf. Gn 3, 15) et l’Apocalypse (12,1), cherchons à obtenir aussi la capacité d’un juste rapport avec les femmes et l’attitude qu’avait Jésus de Nazareth lui-même à leur égard » (Lettres aux prêtres, 1988, no 5).
II.3: Du Cénacle de la Pentecôte à la collégialité épiscopale (1989-2003)
En dernière analyse, nous atteignons l’apogée de la pensée mariale du pape Jean-Paul II, soit l’indissociabilité entre le ministère apostolique de Marie et la collégialité épiscopale. Désormais, la maternité de Marie, « mère des prêtres et du sacerdoce » atteint sa plénitude. Érigée dans les dernières années du pontificat du pape Jean-Paul II (2003), la statue de Notre-Dame de l’Espérance indique la voie vers l’authentification du rôle « fondateur » de Marie au sein de l’Église-institution: « les apôtres, réunis autour de Marie au Cénacle de la Pentecôte, la regardent comme dans un miroir, un miroir dans lequel ils se voient eux-mêmes comme Église, Épouse du Christ » (Lettres aux prêtres, 1988, no 7). En ce lieu-source, Marie mère et figure de l’Église du Christ constitue « l’un des éléments essentiels de la vocation sacerdotale » (Lettres aux prêtres, 1988, no 7), tant recherchée par Inter Insigniores. Cela permet d’établir le passage entre la spiritualité (intériorité du prêtre) et la théologie du ministère: « L’Église, dit-il, a toujours enseigné que la première manifestation de l’Église dans le monde eut lieu le jour de la Pentecôte au Cénacle quand l’Esprit Saint descendit en langues de feu sur quelques femmes réunies avec Marie la Mère de Jésus, et les frères de Jésus (cf. Ac 1,14; cf. 2,1) » (Lettres aux prêtres, 1988, no 7). Chez lui, le rôle de Marie, la femme eucharistique ne peut être occulté du mémorial eucharistique : « ‘Faites ceci en mémoire de moi’ (Lc 22,19), dit-il. Dans le ‘mémorial’ du Calvaire est présent tout ce que le Christ a accompli dans sa passion et dans sa mort. C’est pourquoi ce que le Christ a accompli envers sa Mère, il l’accomplit aussi en notre faveur. Il lui a en effet confié le disciple bien-aimé et, en ce disciple, il lui confie également chacun de nous (cf. Jn 19,26-27). [9]» Associant les Églises d’Orient et d’Occident dans une foi commune, Marie participe « avec l’Église comme Mère de l’Église, en chacune des Célébrations eucharistiques. Si, Église et Eucharistie constituent un binôme inséparable, il faut en dire autant du binôme Marie et Eucharistie. »[10]
Tout au cours du pontificat de Jean-Paul II, de plus de 26 ans, une unique parole est proclamée, soit le lien indissociable entre la spiritualité sacerdotale mariale et la théologie du ministère eucharistique vécu en présence de Marie au sein de la collégialité apostolique. Cette vision appelle une réforme inévitable. En effet, comment attester en même temps de l’évolution du rôle de Marie au sein de la vie de l’Église « visible » et des ministères institués sans accueillir l’appel vocationnel des femmes ? Ayant reçu son appel, ces femmes ne se sont-elles pas engagées à sa suite, par la formation et l’engagement au sein des divers ministères pastoraux ?
Article publié en ligne dans la revue L’autre parole No. 125 – Une autre parole sur Marie (mai 2010) et reproduit avec les permissions requises.
NOTES
[1] Hans Urs von Balthasar. « Women Priests? », dans New Elucidations, San Francisco, Ignatius Press, p. 194; cf. ID, « La tradition ininterrompue », Osservatore Romano, 29 mars 1977, p. 2.
[2] Margo Gravel-Provencher. La spiritualité sacerdotale mariale au 17e siècle français d’après le dernier des grands bérulliens, saint Louis-Marie Grignion de Montfort, Mémoire de Maîtrise, Université de Montréal, 1989, 153 p.
[3] Cf. Jean-Paul II. Lettres aux prêtres à l’occasion du Jeudi-Saint, www.vatican.va. À l’avenir : Lettres aux prêtres dans le texte; cf. Hans Urs von Balthasar.« Women Priests? », New Elucidations, op. cit., p. 194.
[4] Congrégation de la Doctrine de la Foi. Inter Insigniores, no 4-5.
[5] Les italiques étaient dans le texte cité. Il en est de même pour les citations qui suivent.
[6] Nous reconnaissons dans cette expression, un clin d’œil à la spiritualité de l’École bérullienne : « le sacrifice eucharistique offert par les mains de Marie ».
[7] Voir Lettres aux prêtres, no 1.
[8] Voir Jn 19,30. L’œuvre commune d’Adrienne von Speyr et Hans Urs von Balthasar s’inscrit dans cette pensée.
[9] Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, no 57.
[10] Ibid.
cf. http://www.lautreparole.org/articles/257
Interpellée spirituellement par le renouveau doctrinal ministériel, je suis convaincue de l’urgence d’accueillir les femmes au sein de tous les ministères ecclésiaux. Croyant à l’indissociabilité entre la mystique et la théologie, je rédigeais une thèse doctorale sous la thématique suivante : La mission « personnelle » de Marie et les missions féminines d’après l’œuvre de Hans Urs von Balthasar.
Tout en soutenant l’ouverture de ce dernier envers la femme-prêtre[1], l’étude de la spiritualité sacerdotale mariale constitue l’objet majeur de mes recherches théologiques depuis plus de 20 ans[2]. L’Année mariale est une année charnière pour l’expression de la pensée du pape Jean-Paul II (1987-1988) sur Marie. Je soutiens qu’à l’école de Marie femme « eucharistique », telle que pensée par les autorités catholiques, peuvent peut-être s’entrouvrir les portes closes d’Ordinatio Sacerdotalis. Le pape Jean-Paul II ouvre de nouveaux horizons par l’attention accordée au rôle indissociable de Marie, mère et figure de l’Église, comme élément essentiel de la vocation sacerdotale[3](cf. Jn 16,21-24; cf. Jn 19,25-30).
Je crois que les propos cités en introduction de la Déclaration Inter Insigniores (1976) et renouvelés dans la lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis (1994) ne peuvent justifier la non-admission des femmes dans les ministères sacerdotaux : « comme il s’agit là d’un débat sur lequel la théologie classique ne s’est guère attardée, l’argumentation actuelle risque de négliger des éléments essentiels. Pour ces raisons […] l’Église ne se sent pas autorisée […] »[4]. Or, nous savons aussi qu’en ce temps particulier de l’histoire ecclésiale, le pape Paul VI réformait la doctrine ministérielle (Liber de Ordinatione, 1968). Il y a donc possibilité d’ouvrir la question posée par Inter Insigniores. Dès lors, la reconnaissance de Marie, comme « première disciple du Christ » (Marialis Cultus, no 35) dans l’appel et la mission avant les apôtres (Redemptoris Mater, no 20) justifie la quête des éléments essentiels nécessaires au ministère sacerdotal.
Afin de saisir la profondeur du rôle de Marie femme « eucharistique » chez le pape Jean-Paul II, je limiterai mon analyse aux Lettres qu’il adressait aux prêtres pendant son pontificat à l’occasion du Jeudi Saint (1979-2005). Cette analyse sera développée en trois volets : la spiritualité sacerdotale mariale et le pouvoir eucharistique (1979-1986); l’Année mariale comme année charnière pour les nouveaux ministères féminins (1987-1988) et du Cénacle de la Pentecôte à la collégialité épiscopale (1989-2003).
II.I: La spiritualité sacerdotale mariale et le pouvoir eucharistique (1979-1986)
Toutes les Lettres aux prêtres à l’occasion du Jeudi Saint se terminent par une évocation mariale. Bien que le titre de « mère des prêtres » retienne plus spécifiquement l’attention, souvent sans référence à sa condition de disciple, un nouveau paradigme pointe à l’horizon et établit un déplacement. Désormais, l’attention ne sera plus uniquement tournée vers l’intériorité mariale du prêtre mais vers le « charisme fondateur » de Marie (Jn 16,21; Jn 19,26-27). Dès le début de son pontificat, le pape Jean-Paul II établit l’analogie entre le « pouvoir eucharistique » accordé aux apôtres et le « don maternel johannique » de Marie : « Nous tous, proclame le pape Jean-Paul II, recevons le même pouvoir par l’ordination sacerdotale, nous avons les premiers, en un certain sens, le droit de voir en elle notre Mère (afin que) vous retrouviez en Marie la Mère du sacerdoce que nous avons reçu du Christ » (Lettres aux prêtres, 1979, no 11)[5]. Selon le pape Jean-Paul II, il n’y a que Marie pour exprimer, comprendre et saisir dans sa plénitude, cette vie reçue et donnée en Jésus-Christ (cf. Lc 22,32; cf. Mt 12,49-50). À l’instar de l’analyse critique d’Inter Insigniores effectuée par Hans Urs von Balthasar, le « oui » de Marie sera proposé sous la dimension trinitaire du drame du salut. Le pape Jean-Paul II questionne « l’apparente » absence de Marie à la Cène du Seigneur: « Il ne nous est pas dit, écrit-il, si ta Mère se trouvait au Cénacle du Jeudi Saint. Toutefois, nous te prions spécialement par son intercession. Qu’est-ce qui peut lui être plus cher que le Corps et le Sang de son Fils confiés aux apôtres dans le mystère eucharistique, le Corps et le Sang que nos ‘mains sacerdotales’[6] offrent sans cesse en sacrifice pour la ‘vie du monde’ (Jn 6,51) ? » (Lettres aux prêtres, 1982, no 10). Nous retrouvons cette même pensée au concile Vatican II. Celui-ci ne percevait pas la médiation d’intercession de Marie comme un obstacle à l’unique médiation du Christ (Lumen gentium, no 60).
II.2: L’Année mariale comme année charnière pour les nouveaux ministères féminins (1987-1988)
En l’Année mariale, la théologie du pape Jean-Paul II présentée dans les Lettres aux prêtres à l’occasion du Jeudi Saint associe la Cène du Seigneur et Gethsémani. En cette « heure » rédemptrice, Jésus de Nazareth authentifie la mission ecclésiale de Marie: « En effet, écrit-il, comme l’enseigne le Concile à la suite des Pères, Marie nous précède dans ce pèlerinage et elle nous offre un exemple sublime que j’ai cherché à mettre en relief également dans la récente encyclique, publiée en vue de l’Année mariale » (Lettres aux prêtres, 1987, no 13). Fondamentalement, la dimension trinitaire de l’ordination sacerdotale permet de saisir la relation particulière entre la maternité de Marie et la maternité spirituelle du prêtre : « le mystère de la fécondité surnaturelle par l’action de l’Esprit-Saint fait d’Elle, la ‘figure’ de l’Église qui à son tour devient Mère : par la prédication et le baptême, elle engendre à une vie nouvelle et immortelle des fils [et des filles] conçus du Saint-Esprit et né(e)s de Dieu (Lumen Gentium, no 64) » (Lettres aux prêtres, 1987, no 13). Conformément aux Écritures, le pape Jean-Paul II n’établit aucune dichotomie entre la maternité spirituelle de Marie et le pouvoir d’agir au nom du Christ Jésus (in persona Christi[7]: Jn 16,21-25; cf. Ga 4,19). « Dès lors, s’empresse-t-il d’ajouter, disons-le en concluant, pour que le témoignage de l’Apôtre (Jean ou Paul) puisse devenir aussi le nôtre, il faut que nous revenions constamment au Cénacle et à Gethsémani, et que nous retrouvions le centre même de notre sacerdoce dans la prière et par la prière » (Lettres aux prêtres, 1987, no 13). Conséquemment, il fixait cet impératif : « Il faut donc que chacun de nous l’accueille chez lui comme l’apôtre Jean l’accueillit sur le Golgotha, c’est-à-dire que chacun de nous permette à Marie de prendre demeure ‘dans la maison’ de son sacerdoce sacramentel, comme mère et médiatrice de ce ‘grand mystère’ (cf. Ep 5,32) que nous tous désirons servir par notre vie » (Lettres aux prêtres, 1987, no 13).
À cet effet, si l’Année mariale ouvrait de nouveaux horizons envers le rôle maternel de Marie, la situation des femmes au sein de la vie de l’Église ne fut pas occultée pour autant. Dans ce temps particulier de l’histoire ecclésiale, la lettre apostolique de Jean-Paul II La dignité et la vocation de la femme interpellent le ministère : « Le prêtre, écrit le pape Jean-Paul II, en raison de sa vocation et de son ministère, doit découvrir d’une manière nouvelle le problème de la dignité et de la vocation de la femme, dans l’Église et dans le monde d’aujourd’hui. Il lui faut comprendre à fond ce que voulait nous dire à tous le Christ quand il parlait avec la Samaritaine (cf. Jn 4, 1-42), quand il défendait la femme adultère menacée de lapidation (cf. Jn 8,1-11), quand il rendait témoignage à celle dont les nombreux péchés avaient été remis parce qu’elle avait montré beaucoup d’amour (cf. Lc 7,36-50), quand il parlait avec Marie et Marthe à Béthanie (cf. Lc 10,38-42 ; Jn 11,1-44) et, enfin, quand il annonçait aux femmes, avant tout autre, ‘la Bonne Nouvelle’ pascale de sa Résurrection (cf. Mt 28, 1-10) » (Lettres aux prêtres, 1988, no 5).
À l’instar de l’« œuvre commune » de madame Adrienne von Speyr et de Hans Urs von Balthasar, objet de mes recherches doctorales, il s’agit de découvrir, à la suite de ces maîtres, la nouveauté christologique. Cela signifie « pour nous » un renversement de la pensée (Vertmittlung). En cet instant de grâce, le pape réhabilite la dignité véritable de la femme: « Auprès de Marie qui représente l’‘accomplissement’ [8] singulier de la ‘femme’ de la Bible dans le Protévangile (cf. Gn 3, 15) et l’Apocalypse (12,1), cherchons à obtenir aussi la capacité d’un juste rapport avec les femmes et l’attitude qu’avait Jésus de Nazareth lui-même à leur égard » (Lettres aux prêtres, 1988, no 5).
II.3: Du Cénacle de la Pentecôte à la collégialité épiscopale (1989-2003)
En dernière analyse, nous atteignons l’apogée de la pensée mariale du pape Jean-Paul II, soit l’indissociabilité entre le ministère apostolique de Marie et la collégialité épiscopale. Désormais, la maternité de Marie, « mère des prêtres et du sacerdoce » atteint sa plénitude. Érigée dans les dernières années du pontificat du pape Jean-Paul II (2003), la statue de Notre-Dame de l’Espérance indique la voie vers l’authentification du rôle « fondateur » de Marie au sein de l’Église-institution: « les apôtres, réunis autour de Marie au Cénacle de la Pentecôte, la regardent comme dans un miroir, un miroir dans lequel ils se voient eux-mêmes comme Église, Épouse du Christ » (Lettres aux prêtres, 1988, no 7). En ce lieu-source, Marie mère et figure de l’Église du Christ constitue « l’un des éléments essentiels de la vocation sacerdotale » (Lettres aux prêtres, 1988, no 7), tant recherchée par Inter Insigniores. Cela permet d’établir le passage entre la spiritualité (intériorité du prêtre) et la théologie du ministère: « L’Église, dit-il, a toujours enseigné que la première manifestation de l’Église dans le monde eut lieu le jour de la Pentecôte au Cénacle quand l’Esprit Saint descendit en langues de feu sur quelques femmes réunies avec Marie la Mère de Jésus, et les frères de Jésus (cf. Ac 1,14; cf. 2,1) » (Lettres aux prêtres, 1988, no 7). Chez lui, le rôle de Marie, la femme eucharistique ne peut être occulté du mémorial eucharistique : « ‘Faites ceci en mémoire de moi’ (Lc 22,19), dit-il. Dans le ‘mémorial’ du Calvaire est présent tout ce que le Christ a accompli dans sa passion et dans sa mort. C’est pourquoi ce que le Christ a accompli envers sa Mère, il l’accomplit aussi en notre faveur. Il lui a en effet confié le disciple bien-aimé et, en ce disciple, il lui confie également chacun de nous (cf. Jn 19,26-27). [9]» Associant les Églises d’Orient et d’Occident dans une foi commune, Marie participe « avec l’Église comme Mère de l’Église, en chacune des Célébrations eucharistiques. Si, Église et Eucharistie constituent un binôme inséparable, il faut en dire autant du binôme Marie et Eucharistie. »[10]
Tout au cours du pontificat de Jean-Paul II, de plus de 26 ans, une unique parole est proclamée, soit le lien indissociable entre la spiritualité sacerdotale mariale et la théologie du ministère eucharistique vécu en présence de Marie au sein de la collégialité apostolique. Cette vision appelle une réforme inévitable. En effet, comment attester en même temps de l’évolution du rôle de Marie au sein de la vie de l’Église « visible » et des ministères institués sans accueillir l’appel vocationnel des femmes ? Ayant reçu son appel, ces femmes ne se sont-elles pas engagées à sa suite, par la formation et l’engagement au sein des divers ministères pastoraux ?
Article publié en ligne dans la revue L’autre parole No. 125 – Une autre parole sur Marie (mai 2010) et reproduit avec les permissions requises.
NOTES
[1] Hans Urs von Balthasar. « Women Priests? », dans New Elucidations, San Francisco, Ignatius Press, p. 194; cf. ID, « La tradition ininterrompue », Osservatore Romano, 29 mars 1977, p. 2.
[2] Margo Gravel-Provencher. La spiritualité sacerdotale mariale au 17e siècle français d’après le dernier des grands bérulliens, saint Louis-Marie Grignion de Montfort, Mémoire de Maîtrise, Université de Montréal, 1989, 153 p.
[3] Cf. Jean-Paul II. Lettres aux prêtres à l’occasion du Jeudi-Saint, www.vatican.va. À l’avenir : Lettres aux prêtres dans le texte; cf. Hans Urs von Balthasar.« Women Priests? », New Elucidations, op. cit., p. 194.
[4] Congrégation de la Doctrine de la Foi. Inter Insigniores, no 4-5.
[5] Les italiques étaient dans le texte cité. Il en est de même pour les citations qui suivent.
[6] Nous reconnaissons dans cette expression, un clin d’œil à la spiritualité de l’École bérullienne : « le sacrifice eucharistique offert par les mains de Marie ».
[7] Voir Lettres aux prêtres, no 1.
[8] Voir Jn 19,30. L’œuvre commune d’Adrienne von Speyr et Hans Urs von Balthasar s’inscrit dans cette pensée.
[9] Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, no 57.
[10] Ibid.
cf. http://www.lautreparole.org/articles/257